Le théâtre de Ludmilla Razoumovskaïa n’est pas très connu en France. Didier Bezace a monté une première version de Chère Elena Sergueievna en 2002 au Théâtre de la Commune. Didier Long confie le rôle à Myriam Boyer au Poche Montparnasse. Elle est entourée de quatre jeunes comédiens prometteurs.
Des élèves de Terminale B s’invitent chez leur professeur de mathématique le soir du jour de son anniversaire. Une visite qui n’a rien de très amicale. La pauvre Elena va être victime d’une nuit d’horreur. Torture mentale, violence physique, beuverie, viol…le texte de Ludmilla Razoumovskaïa ne nous épargne pas. Elena est victime d’une pression psychologique de la part de ces élèves sans vergogne, maniulateurs et calculateurs qui veulent « se battre pour vivre » alors que leurs parents tentent de « survivre« . Elena tente un temps de les ramener à la raison. « L’important est de rester honnête » dit-elle. Mais ils vont lui faire vivre un enfer et tenter de la corrompre pour qu’elle falsifie leurs notes.
Cette pièce écrite au début des années 80 annonce déjà la Russie du 21ème siècle. Créée en Estonie, elle a été interdite en 1983 puis est sortie du placard après la « perestroïka ». Avec un style incisif et des références littéraires distillées habilement (Antigone, Shakespeare et le Iago d’Othello) la pièce de Ludmilla Razoumovskaïa est une formidable interrogation sur la façon dont peut se construire une pensée violente, voir fasciste. D’ailleurs Elena se pose la question: « A-t-elle engendré des monstres ? » L’action de la pièce se situe dans une société russe qui n’a pas encore pansé les plaies de la révolution de 1917, un pays au bord de l’implosion et en prise à une crise économique dévastatrice. Et la réaction explosive de ces jeunes pourtant de bonne famille n’est que le résultat de cette révolte.
Myriam Boyer nage dans le bonheur au milieu de ces quatre jeunes comédiens, emmenés par le chef de la bande, le gourou, Volodia interprété par François Deblock. Il a un peu plus d’expérience que ses camarades. On l’avait déjà remarqué dans les premières pièces de Jean Bellorini. Dans La Bonne Ame du Se-Tchouan il incarnait Wang, le marchand d’eau et lançait admirablement bien le spectacle avec beaucoup d’énergie et d’espièglerie. Ici c’est la même chose dans un rôle beaucoup plus glaçant.
La mise en scène de Didier Long suit la progression de l’action et va crescendo dans l’analyse de la psychologie des personnages. L’appartement d’Elena se transforme en capharnaüm en une fraction de secondes, effet réussi sur le plateau exigu du Poche Montparnasse. Le thriller est un genre peu traité au théâtre, un genre un peu casse-gueule. On ne sort pas indemne de ce huis clos parfaitement bien huilé et captivant.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Chère Elena
De Ludmilla Razoumovskaïa
Traduction de Joëlle et Marc Blondel
Mise en scène de Didier Long
Avec
Myriam Boyer, Elena
Gauthier Battoue, Pacha
Julien Crampon,Vitia
François Deblock ou Alexis Gillot,Volodia
Jeanne Ruff, Lialia
Scénographie, Jean Michel Adam et Didier Long
Musique, François PeyronyLa pièce Chère Elena Sergueievna est éditée à L’avant-scène théâtre, Collection des quatre-vents, dans une traduction de Joëlle et Marc Blondel.
L’Arche est agent théâtral du texte représenté. www.arche-editeur.com Production Théâtre de Poche-MontparnasseDurée : 1h40
À partir du 2 septembre 2014 au Poche-Montparnasse
Représentations du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h
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