Au lendemain des annonces de Manuel Valls sur le conflit avec les intermittents, Olivier Py, le directeur du Festival d’Avignon livre ses premières impressions.
Quel est votre sentiment au lendemain des annonces du Premier Ministre ?
Il est un paradoxal, parce que visiblement il ne satisfait pas les coordinations. C’est paradoxal parce que les intermittents ont obtenu de grandes choses historiques que personne n’a obtenu avant eux, et cela grâce à leur mobilisation. Il va y avoir une fissure dans le fonctionnement de l’UNEDIC et il est important que l’État entre dans les négociations. Et puis il y a une autre chose importante c’est l’affirmation par le Premier Ministre que la culture est un secteur économique au même titre que l’industrie automobile, voire plus. Cela n’était jamais arrivé. Il a sanctuarisé les budgets de la culture pour au moins trois ans. C’est très important pour l’emploi. C’est une grande victoire qui n’était pas gagné il y a quinze jours. Mais il reste le point de cristallisation qui est l’agrément. C’était un préalable aux négociations. Or ils ne l’ont pas obtenu. Et cela c’est embêtant.
Est-ce que malgré ce point de blocage, les mesures sont de nature à apaiser le climat ?
Je suis bien en peine de le dire. Le Gouvernement n’a répondu que sur un des points des revendications, c’est la rustine financière pour que le délai de carence ne crée pas de précarité. Pour régler les autres points, j’appelle à des négociations, c’est indispensable pour tout le monde.
Quel est le climat au sein des équipes du festival ?
Il y a une angoisse. En tout cas je n’annulerai pas le festival. Ce qui s’est passé en 2003 ne se passera pas avec moi. Il est possible que nous ne puissions pas jouer, mais jusqu’à la fin nous n’annulerons pas.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
Monsieur Py,
Non, ce n’est pas « visiblement » mais viscéralement que les annonces du Premier Ministre ne satisfont pas les coordinations des intermittents et précaires.
Non, l’insatisfaction n’est pas celle des coordinations seules, mais au-delà celles de tous, hommes et femmes de culture, hommes et femmes citoyens de ce pays.
Non, il n’y a rien de « paradoxal » à ne pas se satisfaire d’être soigné au pied quand on est malade du cœur,
Rien de paradoxal à ne pas se satisfaire d’un petit pansement aux dessins fleuris pour cautériser une plaie béante.
Non, le paradoxe n’est pas ici à chercher du côté des intermittents. Eux savent ce qu’ils veulent et désirent, ce pour quoi ils se battent et se mobilisent. Quel chemin ils veulent suivre.
Non, le paradoxe se trouve chez nos gouvernants.
Non, rien « d’historique » n’a été obtenu hier soir par les hommes et les femmes du spectacle et de l’audiovisuel.
Ou d’historique alors il s’agit ici de les retirer discrètement de la solidarité interprofessionnelle propre à la caisse d’assurance chômage, afin de les isoler un peu plus. Afin que leur combat ne puisse être demain que le leur quand il est aujourd’hui celui de tous.
Comment dit-on déjà ? Ah, oui, diviser pour mieux régner.
Ou d’historique alors il en est du démantèlement progressif de l’ensemble de notre système social et solidaire, construit historiquement par les luttes, sang et sueur de nos aïeux.
Non, il n’y a pas de victoire à « sanctuariser » les budgets de la culture.
Car non, ce n’est pas d’une culture sanctuarisée dont nous avons besoin, nous, hommes et femmes d’aujourd’hui et de demain, de France et d’ailleurs. La culture se doit d’être vivante. Vivante et active, en prise avec son temps et ses réalités, battante comme nos cœurs, en mouvement.
Non, cela n’est pas « embêtant » que le gouvernement décide d’agréer l’accord du 22 Mars. Cela est grave.
Car oui cela signifie que ce gouvernement et ceux qui le composent n’ont ni paroles, ni courage et surtout point d’honneur.
Car oui cela signifie que ce gouvernement a choisi son camp, qui n’est pas le nôtre, ni le votre ni le mien.
Car oui cela signifie que ce gouvernement nous dit ici que nos vies, notre honneur, notre respectabilité, notre pensée, notre travail, notre intelligence, que tout cela et plus encore n’a nulle valeur.
Car oui cela signifie que ce gouvernement nous dit ici que nos voies ne portent pas. Que nous ne sommes et ne serons peut-être jamais entendus.
Car oui cela signifie que ce gouvernement nous dit ici que nos bulletins de vote ne valent rien.
Car oui cela signifie que ce gouvernement reconnaît sa faiblesse et sa lâcheté et peut-être plus encore, son inutilité.
Car oui cela signifie que ce gouvernement lance un appel à la rébellion et la révolte.
Car oui cela signifie que ce gouvernement déterre la hache de guerre.
Oui, Monsieur Py, vous êtes « bien en peine » de pouvoir dire si le climat peut ici s’apaiser car vous n’êtes point météorologue dans un conflit qui ne relève point de la météorologie.
Car tous ces hommes et ces femmes en lutte ne sont pas des nuages que le vent disperse mais des hommes et des femmes en lutte pour des droits et un monde, peut-être, plus juste.
Oui, il y a de « l’angoisse ».
Mais surtout de la désolation, de la désespérance, de l’incompréhension, de la colère, de la rage…
de tout ce que ce gouvernement sacrifie au nom d’un idéologie nauséabonde
et de ce que vous, monsieur Py, directeur du festival d’Avignon In, à qui il appartient pourtant de porter aujourd’hui la flamme d’un combat honorable et honorifique, vous qui nous encouragiez à « Cultivez votre tempête »
que vous, monsieur Py, décidez de ne pas répondre : NON.
Nouvelle lettre ouverte à Olivier Py,
Montpellier le 21 juin 2014
Olivier , à toi que je ne connais pas,
Respect total pour tous les artistes, techniciens et personnels du spectacle vivant et de l’audiovisuel qui se battent contre la signature des accords du 22 mars, permettant la création en france et le service public de la culture. Respect total à ceux grévistes qui au prix de leurs salaires, et de leurs heures de travail ne font pas de différence entre leur conditions d’artistes et techniciens et leur condition d’homme.
Par ce combat juste, ils affirment leur foi en ces valeurs essentielles.
En renonçant, si les techniciens reprenaient le travail, si les artistes jouaient les spectacles en ce moment crucial où la victoire est possible, ils abaisseraient, nous abaisserions la création en la soumettant à des conditions de précarité telles, qu’à terme, nous ne saurions même plus comment créer dans des conditions dignes et remplir cette mission de service public de la culture qui fonde pour partie notre République.
En conscience de ce possible désastre – d’autant plus aberrant qu’il vient d’un gouvernement socialiste – nombre d’élus , députés, sénateurs, maires , conseillers généraux, conseillers régionaux, ancien ministres, anciens dirigeants du parti socialiste, toutes, tous ont dénoncés et dénoncent encore autant l’esprit que le contenu de ces accords. Et ce ne sont pas les mesures prises à la va vite par le premier ministre jusqu’à l’invention désastreuse d’une caisse d’Etat, ou la soit disant sanctuarisation d’un budget de la culture qui n’est même pas à la hauteur de 1% du PIB, qui change quoique ce soit à la nature du problème.
Tant par la forme que par le fond c’est un nouvel aveuglement à la chose simple qui est demandée par tous et par l’ensemble des parlementaires la veille même de la déclaration du premier Ministre. A savoir le Non agrément de ces accords du 22 mars et l’ouverture immédiate de négociations sur la base du rapport du comité de suivi , pour la mise en oeuvre d’une refonte juste des annexes des professionnels du spectacle et de l’audiovisuel.
Mais il semblerait que les élus du peuple soient comme le peuple lui même considérés comme des vassaux, puisque le gouvernement demeure sourd à leurs appels, et ne considère même pas leur analyse.
Que serait un acte artistique dans un champ de ruine?
Doit-on jouer tandis que le navire coule , sabordé par ceux qui prétendent sauver ceux là même qu’ils ont noyés ?!
Nous avons alerter le gouvernement, cela n’a rien produit.
Nous avons lu des textes à la fin de nos spectacles, cela n’a rien produit.
Nous avons pris des rendez-vous, cela n’a rien produit.
Nous avons manifesté, cela n’a rien produit.
Nous ne sommes audibles que par l’argument économique, c’est donc par l’argument économique que nous luttons, au prix de nos salaires, au prix de notre travail, au prix de nos propres oeuvres, parce que nous avons foi dans le service public de la la culture.
La culture pas un magasin qui devrait rester ouvert pendant que tomberaient ceux qui travaillent, ceux qui créent. Ce n’est pas une question de public, c’est une question de société, c’est une question d’humanité.
La lutte a gagné tout le territoire puisque la souffrance est celle de tout le peuple face à l’écrasement des politiques d’austérité, à l’autisme du gouvernement, et au mépris dans lequel est tenu le peuple. Sommes nous encore une République, sommes nous une démocratie ? Est-‐ce que le peuple est encore souverain ? La violence dans laquelle sont entretenus les plus précaires d’entre nous, l’abaissement supplémentaire que proposent les accords Unedic est une honte.
Comment peut-‐on continuer de dévêtir ceux qui sont nus ?
Quel peuple veut-‐on nous faire devenir ?
Quelle humanité sommes nous en train de devenir ?
Puisqu’il reconnaît que les intermittents ne sont pas des privilégiés, puisqu’il reconnaît la légitimité des coordinations, puisqu’il reconnaît la nullité des accords du moins pour ce qui concerne les annexes 8 et 10.
Alors il suffit de commencer par le début NE PAS AGREER
Il sera temps à ce moment là d’ouvrir de véritables négociations
Si les négociations ne sont pas ré-‐ouvertes immédiatement, le gouvernement jouerait alors le jeu d’une soumission et d’une vassalité -‐ non pas « aux économies nécessaires en temps de crise » (économies auxquelles nous souscrivons nous mêmes, puisque la plate-‐forme, mise sur pied par le comité de suivi depuis 2003, propose précisément des économies et la régulation de ce régime spécifique). Nous serions en droit d’interpréter cela comme une obéissance aux règles de l’économie libérale qui ne supporte pas qu’un champ d’activité lui échappe.
Il s’agit à terme de livrer le champ entier de la culture aux entreprises privées, aux prestataires de service, puisqu’il est avéré désormais et chiffré depuis le conflit de 2003, que la culture, l’audio-‐visuel, les spectacles rapportent, rapportent beaucoup, beaucoup d’argent en activité et en retombées.
J’imagine que ce n’est pas à toi qu’il faut le dire. Alors parles pour nous, AVEC NOUS à ceux qui peut- etre t’ecouteront. Mais saches que nous ne lâcheront pas.
Les propositions du mouvement unitaire, de la coordination des intermittents et précaires et du comité de suivi composé d’élus, économistes , de sociologues ont mis sur pied une plate-forme qui propose des solutions : c’est à dire un système pérenne du régime spécifique de l’intermittence qui fonde nos métiers.
Cette plate-‐forme, Monsieur Rebsamen la connaît, il l’a approuvée lorsqu’il n’était pas encore ministre et c’est la raison pour laquelle il est accusé de « traitrise » . Si le mot lui semble insultant, il se trompe car la traîtrise est celle de la pensée. Il se cache derrière la soit disant négociation des partenaires sociaux qui fut encore une fois une pantalonnade de démocratie. Le Medef gère les affaires. Après la main mise sur la pensée économique et sociale, il s’empare progressivement des syndicats CFDT et maintenant FO. Les propositions faites par le comité de suivi sont économiquement viables. Pourquoi, alors qu’elles proposent un système pérenne et socialement juste, alors qu’elles réduisent les abus, plafonnent les niveaux d’allocations des plus haut salaires -‐ lorsque la réforme en cours, elle, déstructure l’ensemble de la profession, et, pas seulement les petits pourcentages qu’inventent les conseillers de Monsieur Rebsamen et qu’il égrène à chacune de ses interviews, pourquoi nos propositions n’ont-‐elles pas été considérées ? Alors que ces accords du 22 mars ne font aucune chasse à aucun des faux intermittents, ou des contrats permanents déguisés en intermittence -‐ pourquoi ?
Nous nous battons pour tous, chômeurs, précaires, nous nous battons pour une certaine conception de la culture.
Les festivals tel le Printemps des comédiens, tel le Festival d’Aix, tel le festival d’Avignon que tu dirigés aujourd’hui et tant d’autres qui portent si haut cette conception , ces festivals sont grands uniquement parce qu’il font rayonner sur tout le territoire ces notions d’art et de service culturel public.
Non à l’agrément des accords unedic du 22 mars.
Ce n’est pas tel ou tel festival qui est en péril, c’est la création entière qui est attaquée et c’est l’avenir de nos métiers et de la création qui se joue aujourd’hui dans cette question des annexes 8 et 10.
Nous aimons nos spectacles, nous voulons jouer nos spectacles, mais nous ne jouerons pas sur une terre dévastée.
Nous serons heureux de compter sur toi et l’équipe du festival d’Avignon, à nos côtés.
Bien amicalement
Jacques
Jacques Allaire
Metteur en scène de Marx Matériau, spectacle programmé du 6 au 14 juin 2014 au festival printemps des comédiens de Montpellier. En grève depuis l’ouverture du festival.
M. Allaire,
L’accord sera agréé, c’est un fait.
Le différé a été supprimé ; les négociations sont réouvertes et la nomination d’Archambault pour les piloter est une excellente nouvelle. A vous de saisir le geste qui a été fait.
Faire grève et faire annuler les festivals rime à quoi désormais ? Supprimer un accord qui aura déjà été agréé et validé par les syndicats majoritaires des employés ? Nous savons que c’est impossible.
Il vaut mieux négocier, oui, tout de suite. Et montrer que les intermittents font rayonner la France, une fois de plus.
Montrer au public qu’ils ne le laissent pas tomber.
Voilà aussi ce qui est important.
Evidemment, il faut porter un combat pour une politique générale plus juste et plus solidaire !…
Mais il s’agit là de révolution, et non plus de combattre un texte déjà validé et dont la répercussion pour les intermittents est maintenant considérée comme nulle… A quoi bon ?
Alors faisons la révolution, peut-être.
Mais jouons !
Excellente prise de position de Gérard Gélas !
http://www.laprovence.com/article/papier/2928385/nous-allons-faire-greve-tout-en-jouant.html
Un grand merci de ne pas annuler le festival et de comprendre qu’il y a d’autres moyens que la grève, qu’il ne faut pas prendre en otage les spectateurs, les programmateurs, mettre en péril les petites compagnies et au delà du statut les salaires du jour de chacun. Merci d’encourager aux actions telles que des manifestations hors des heures de travail et ainsi de ne pas contribuer à faire passer encore plus les intermittents pour des glandeurs qui travaillent le moins possible et saute sur chaque occasion pour ne pas travailler, ou pour des personnes sans lucidité bloquant tout sans cesse sans réflexion. Et merci aussi de ne pas soutenir cette réforme aberrante qu’il faut combattre.