Catherine Anne met en relation deux textes qui racontent l’histoire de deux Agnès à trois siècles de distance : L’école des Femmes de Molière et Agnès dont l’action se déroule dans les années 70. Catherine Anne, ancienne directrice du Théâtre de l’Est Parisien revient sur le devant de la scène en cette rentrée 2014. Elle crée ce diptyque au Théâtre des Quartiers d’Ivry avec une « sacrée bande de comédiennes » comme elle aime à le souligner. Elles jouent tous les rôles, y compris les rôles masculins. En tête de distribution figure Marie-Armelle Deguy, étonnante dans le rôle du père violeur dans la pièce Agnès. Catherine Anne nous a permis d’assister à un filage de Agnès, pièce bouleversante sur le viol incestueux. L’occasion d’évoquer avec elle son travail et la place des femmes dans le monde culturel.
Pourquoi mettre en relation ces deux textes ?
J’ai écrit Agnès il y a un vingtaine d’années suite à la lecture d’un témoignage d’une jeune femmes qui avait vécu une situation incestueuse de la part de son père et qui m’avait bouleversé. Et en voyant l’Ecole des Femmes je me suis dit que cela avait déjà été écrit d’une certaine manière. J’ai donc écrit sur cette question de l’emprise de la jeune fille vierge par l’homme qui a l’autorité paternelle. J’ai monté les deux textes avec l’envie de faire entendre ces deux écritures avec la même scénographie et les mêmes actrices qui jouent tous les rôles, y compris les rôles féminins. On travaille la circulation des thématiques et la circulation des gestes.
Etait-il important que tous les rôles soient tenus par des comédiennes ?
Cela a été ma façon de résoudre deux désirs. Le premier était de monter ces deux pièces avec une seule troupe et avec une scénographie unique. Et l’autre désir a été de travailler sur le masculin/féminin à partir d’une équipe de femmes. Il s’agit de faire du théâtre universel avec une bande de femmes. Il y a là la recherche de ce que cela veut dire de se positionner en tant qu’homme ou en tant que femme l’un par rapport à l’autre. C’est une belle façon de s’interroger sur la façon dont on parle, dont on regarde, dont on prend la parole et comme l’on est regardé selon que l’on soit un homme ou une femme. Du coup j’ai mis ces deux désirs dans cette histoire là. Molière a écrit une pièce avec énormément de personnages masculins. Et moi j’ai écrit une pièce avec énormément de personnages féminins.
S’agit-il d’un théâtre féministe ?
Oui sans doute un peu. Je me sens tranquillement féministe. En même temps je trouve que c’est une étiquette qui complique parfois la vision que l’on a de ce que l’on fait. J’ai réalisé que j’ai été élevée dans une forme de naïveté par rapport à cela. J’ai réalisé à certains moments de ma vie qu’être une femme n’est pas tout à fait la même chose qu’être un homme. Dans le domaine de l’art, dans le domaine du pouvoir, dans le domaine du politique, on sent qu’il y a moins d’espace, il y a moins de liberté, il y a moins d’argent, il y a moins de considération…Au bout d’un moment cela donne à réfléchir et cela donne envie de faire sur un plateau de théâtre un geste féminin universel.
Vous avez-été directrice du Théâtre de l’Est Parisien. Que pensez-vous de la volonté d’Aurélie Filippetti de féminiser les postes ?
Je salue très sincèrement le travail qui a été fait. Ce n’est pas évident. Les résistances sot profondes. Alors qu’au plus haut niveau de l’Etat la ministre porte cette parole là c’est important. Ce sont des gestes concrets qui obligent à reconsidérer le regard sur l’art du côté féminin. C’est très bien mais sur le terrain cela reste un combat de tous les jours. C’est en mouvement, en bataille. Et c’est tant mieux que le pouvoir politique en ait conscience et qu’il ait envie de façon déterminée de faire bouger les lignes. Tant mieux.
Quelques jours après la création de ce diptyque, Joël Pommerat va mettre en scène votre premier texte « Une année sans été »…
Je suis très heureuse. C’est une belle coïncidence. Joël Pommerat aime ce texte depuis très longtemps. J’aime beaucoup son travail. Je suis très curieuse de découvrir cette mise en scène par ce grand artiste qui pour la première fois monte un texte qu’il n’a pas écrit !
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
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