Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar sont de retour en France. Les deux tunisiens sont artistes associés à Chailot et présentent leur dernière création : Tsunami. Véritable réquisitoire contre l’islamisation latente de leur pays. Coup de cœur !
On avait quitté Fadehl Jaïbi en juillet 2012 après la présentation à Avignon de Amnesia, spectacle sur la chute d’un dictateur qui avait été créé en Tunisie sous la présidence de Ben Ali. Déjà à l’époque Fadehl Jaïbi, quelques mois après le printemps arabe, s’inquiétait pour l’avenir de son pays, et sentait monter le pouvoir des religieux. C’est cette « théocratie fascisante » qui menace aujourd’hui la Tunisie et qui est magnifiquement bien démontrée sur scène. Le fil rouge du spectacle est l’histoire d’une jeune femme qui publie sur son profil Facebook un texte dénonçant les salafistes et qui sera traquée par les religieux.
Devant nous se joue le « scénario catastrophe » d’un pays qui se croyait libéré et qui lentement bascule dans une « guerre civile » comme l’explique Fadhel Jaïbi. Les comédiens arrivent lentement sur le plateau, habillés de pulls colorés, signe d’un espoir retrouvé depuis la chute de Ben Ali et depuis Amnesia. Cette vague lente est magnifique. « Lentement la déferlante s’évanouit » dit le texte en voix off. Le mur de fond devient rouge sang, de magnifiques projections vont accompagner tout le spectacle. L’espoir aura été de courte durée dans le pays. Des femmes voilées se mêlent aux salafistes tandis que l’hymne tunisien se confond avec l’hymne salafiste. Une femme crie « malédiction aux croyants !». Les images sont fortes. Peu à peu les couleurs disparaissent dans les costumes des comédiens. Le noir l’emporte.
Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar continuent de se mettre en danger et restent vigilants. La fin du spectacle ne laisse pas beaucoup d’espoir. Ils imaginent la Tunisie à l’orée de 2015, un pays menacé par la guerre civile. Leur théâtre est essentiel. La pièce n’est malheureusement jouée que trois fois à Chaillot.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Nous sommes encore dans le cadre d’une tragédie qui nous projette dans l’avènement possible d’une théocratie fascisante qui voudrait imposer à tous les Tunisiens un système politique fondé sur la Charia réelle ou rampante. Cela aurait pour conséquence une mainmise totale sur les libertés individuelles, sur les arts, sur les médias, sur la justice. C’est notre crainte et cette crainte est partagée par une partie très importante du peuple tunisien qui voit avec inquiétude se mettre en place les prémices d’une guerre civile au prix d’une confrontation, allant en se radicalisant. Confrontation entre deux projets de société : l’une qui nous replongerait dans les ténèbres d’un nouveau moyen âge obscurantiste, l’autre rêvant d’une Tunisie démocratique, laïque et moderniste. Aujourd’hui nous avons le sentiment de voir s’écrire sous nos yeux un scénario catastrophe. Nous voulons une fois de plus donner à réfléchir et mettre le doigt sur ce danger grâce au théâtre qui peut ébranler les consciences plus fortement parfois que les simples et simplistes discours politiques.
Nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter, beaucoup d’intellectuels, de sociologues, psychologues, anthropologues et d’artistes tentent d’analyser cette situation face à ceux qui ne pensent qu’à des moyens coercitifs, brutaux qui terrorisent les populations, pour imposer leur propre vision au détriment des autres visions possibles quant au projet démocratique en Tunisie. Il s’agit donc, dans notre travail, de faire entendre une parole laïque, rationnelle, poétique face à la parole qui se cache derrière le livre saint, derrière le bréviaire.
Nous voulons refuser les manichéismes d’où qu’ils viennent, de droite ou de gauche, qui ne sont que volonté de manipulation à tout prix. Et de prise de pouvoir. Il faut lutter aussi contre une hégémonie islamiste qui n’a d’autres arguments que la force brutale opposée au pacifisme parfois candide de ses adversaires. La référence la plus évidente pour moi dans le travail que nous engageons par rapport à cette situation c’est le Massacre à Paris de Christopher Marlowe. Nous vivons dans un pays bouleversé, totalement déstabilisé en ses repères et ses valeurs ancestrales. Fadhel Jaïbi d’après interview dans dossier de presse.
Tsunami
Fadhel Jaïbi
Jalila Baccar
Première en France
Texte Jalila Baccar
Mise en scène Fadhel Jaïbi
Production Familia Productions
Coproduction Théâtre National de Chaillot
Durée: 1h50
Salle Jean Vilar
Du 23 au 25 mai 2013, 20h30
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