Spectacles déprogrammés, sorties annulées : le gel des crédits du pass Culture, largement utilisé par les collèges et lycées, fragilise théâtres et compagnies, qui s’inquiètent de restrictions supplémentaires en 2026.
En Normandie, la Comédie de Caen, qui travaille toute l’année avec les élèves de 21 collèges et de 17 lycées, explique avoir perdu entre septembre et décembre 400 places pré-réservées sur 2 000. « Une catastrophe pour tout le monde » car, à moyen terme, « ça veut dire des spectacles qui ne peuvent pas rayonner sur le territoire » et « du travail en moins pour les artistes », regrette la secrétaire générale de ce théâtre, Virginie Pencole.
Ces activités, comme les sorties au cinéma ou au musée, sont financées depuis 2022 en grande partie par la part « collective » du pass Culture, demandée par les établissements scolaires via l’application Adage pour les élèves de la sixième à la terminale. Conçu pour permettre l’accès aux pratiques culturelles au plus grand nombre, ce mécanisme semble aujourd’hui victime de son succès. En 2023-2024, 98% des collèges et 95% des lycées l’ont utilisé, selon un rapport du ministère de la Culture paru lundi 15 décembre, qui note que « le niveau de dépenses a fortement augmenté » par rapport à la première année de déploiement.
Pour cette année, l’enveloppe était plafonnée à 72 millions d’euros. Mais les demandes de réservations via l’application Adage ont été massives dès le début d’année. Pour éviter un dépassement similaire à celui de l’an passé (35 millions d’euros), elles ont été brusquement suspendues dès le mois de février. À la rentrée de septembre, il ne restait que 15 millions d’euros à dépenser, une déception dans les milieux éducatifs et culturels.
Pièces de théâtre, ateliers de pratique artistique, rencontres avec des comédiens, ce sont tous ces projets d’éducation artistique et culturelle (EAC) que les enseignants ont parfois dû déprogrammer, à leur grand dam. À Cergy-Pontoise, près de Paris, « 1 300 places scolaires ont été annulées, sur 10 000 » cette année, indique Fériel Bakouri, directrice du théâtre Points Communs.
Annulations
Le gel du pass Culture a représenté « un quart de billetterie en moins » pour les 78 scènes nationales entre septembre et décembre, selon Claire Guièze, co-présidente du Syndeac (syndicat des entreprises artistiques et culturelles, premier du secteur public). Une estimation établie à partir des remontées de 33 scènes qui ont dû « annuler 17.000 billets ».
La troupe nancéienne Le LEM – Cie En Verre et contre Tout s’est vue contrainte d’annuler des représentations prévues en décembre devant 150 lycéens et les discussions avec un autre établissement se sont arrêtées net, faute de financements. Soit « une baisse de 25% du budget annuel réservé à la production et la diffusion de spectacles », témoigne Margot Millotte, chargée de production de cette petite compagnie, composée de deux permanents.
Le risque est aussi que les sorties ne reposent davantage sur le porte-monnaie des familles : « une inégalité sociale, doublée d’une inégalité territoriale », pointe Fériel Bakouri à Cergy-Pontoise. La question est d’autant plus problématique que la mise en place du pass Culture « a eu pour effet pervers le désengagement financier des collectivités territoriales », rappelle Claire Guièze.
Restrictions en 2026
De nouvelles restrictions sont envisagées pour 2026 : l’enveloppe proposée dans le cadre du budget de l’Etat baisse de 10 millions d’euros, à 61,8 millions d’euros. De nouvelles dispositions inquiètent également les syndicats enseignants.
Selon un décret publié au Journal officiel la semaine dernière, elles suppriment la règle de répartition des crédits qui prévalait jusqu’ici, à savoir un montant forfaitaire alloué par élève (25 euros par élève de la sixième à la troisième, 20 euros en première et terminale, 30 euros en seconde).
« C’est la mort annoncée du pass Culture » collectif, selon Jérôme Fournier, secrétaire national du SE Unsa. « Avant, on avait une allocation par élève donc on avait une idée du budget qu’on recevait ». Interrogé, le ministère de l’Éducation a justifié que « les chefs d’établissement mobilisent les crédits de manière globale, à l’échelle » du collège ou du lycée. Dès lors, « la notion de ‘taux par élève’ est apparue peu adaptée ».
Karine Perret © Agence France-Presse


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