Rien n’est jamais acquis et le droit à l’avortement trop souvent remis en question. Si l’interruption volontaire de grossesse a été inscrite dans la Constitution en France en 2024, ce n’est pas le cas partout, et The Aborrrtion Ship de Mathilde Wind remet les pendules à l’heure avec une verve rock’n’roll et une charge documentaire passionnante. Remise en contexte, éclairage détaillé, on navigue entre précieuses informations et incandescence musicale au contact d’une comédienne qui en impose.
En ce moment, à La Reine Blanche, l’alternance de spectacles qui se jouent sous la charpente de la salle Marie Curie crée des étincelles de sens, des liens subtils, des rebonds thématiques, des échos signifiants. La jeunesse à l’œuvre dans ce qu’elle a de meilleur, une énergie sans faille, la volonté de s’emparer de sujets aussi intimes que de société, le besoin de comprendre et de transmettre, de faire du théâtre comme on s’engage, avec foi. D’un jour sur l’autre, on peut y voir Mère de la compagnie La Tronçonneuse portée par Ambre Matton et The Aborrrtion Ship (avec trois r, c’est important) de la Compagnie Stadios, sélectionné cette année dans le cadre du Festival Impatience. Dans un cas, on dépèce les relations mère-fille dans leur réalité économique, le poids de ce que l’on doit autant que le prix de ce que l’on donne ; dans l’autre, on plonge dans le quotidien d’une gynécologue et on fait le point sur la situation de l’avortement dans l’Hexagone. Dans les deux spectacles, documentation et humour font bon ménage et donnent à la représentation une dynamique jubilatoire.
Autre relai entre les deux projets, Mathilde Wind, comédienne dans Mère, est aux commandes, à l’écriture comme à la mise en scène, de The Aborrrtion Ship, solo à cent à l’heure auquel Juliette Fribourg apporte son charisme et son mordant, sa musicalité rock et son tempérament. Elle incarne une gynécologue de caractère, militante de la cause, une motarde qui a le feu, la colère à fleur de moteur, le souci d’accompagner au mieux et le sens du soin chevillé à ses convictions féministes. Cette femme est un phénomène et fait la guerre à l’épuisement autant qu’aux réactionnaires. Né d’une commande dans le cadre du festival La beauté du geste initié par le Théâtre Brétigny autour du travail de la gynécologue Valérie Ledour, ce spectacle électrisant est le fruit de plusieurs rencontres et entretiens avec des professionnel·les de santé du secteur pour nous livrer, par l’intermédiaire de ce personnage haut en couleur, un panorama sur l’état de l’IVG en France aujourd’hui.
Nous voici donc infiltrés, par un procédé qui nous attrape d’emblée, dans le bureau d’une gynéco. Pas de quatrième mur ici, la comédienne s’adresse à tu et à toi au public qui devient son interlocutrice, en l’occurrence la réalisatrice venue la suivre dans sa journée de travail à l’hôpital. Il s’agit donc d’un faux film documentaire en train de se faire, mais, sous les statistiques et les données scientifiques, s’immiscent la fiction et… la musique. À la guitare électrique, accompagnée d’une création musicale immersive imaginée par Arthur Chrisp à base d’enregistrements au cœur de l’environnement hospitalier, samplés et augmentés pour en faire une matière noise et rock, Juliette Fribourg nous fait naviguer du bureau au bloc opératoire en passant par les couloirs et le toit où elle fume à sa pause. Ainsi défilent les étapes d’une journée, entre consultations et actes médicaux, et le public, complice et séduit par sa fougue, la suit dans sa pratique, qui n’est pourtant jamais illustrée par une représentation réaliste. Car le plateau est un mélange de bureau et de studio de musique. Ici, une guitare et un micro ; là, un casque de moto. Pour tenir le coup, le combo clope, M&M’s et café ponctue ce témoignage aussi détaillé qu’édifiant.
Car notre héroïne est elle-même portée par ses idoles et consciente de son héritage. On remonte donc aux années 1970 au côté du MLAC, le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, au mouvement féministe alternatif et musical des Riot Grrrl ; on découvre le projet fou et génial de Rebecca Gomperts avec son ONG Women on Waves ; on navigue entre archives sonores et images audiovisuelles. Gisèle Halimi s’invite par ici, Mylène Farmer par là, les Peaches offrent un fil conducteur. C’est punk et vivifiant, étayé et passionnant. Le geste de mise en scène est aussi limpide que solide et l’interprète, en pirate de la scène, nous communique sa pêche et son envie d’en découdre.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
The Aborrrtion Ship
Texte et mise en scène Mathilde Wind
Avec Juliette Fribourg
Scénographie et costumes Constant Chissaï-Polin
Création lumières Zoë Robert
Création sonore et musicale Arthur Chrisp
Assistanat à la mise en scène Amel RichardProduction Compagnie Stadios
Coproduction Théâtre Brétigny – Scène conventionnée d’intérêt national arts & humanités
Avec la participation de la Scène nationale de l’Essonne Agora-Desnos, du Théâtre de l’Étincelle, du Labo Victor Hugo, du Théâtre de l’Éclat, du Collectif Culture Essonne
Avec le soutien de la Ville du Havre, la DRAC Île-de-France, du JTN, de la Région Normandie, du Département de la Seine-Maritime et de la Ville de ParisDurée : 1h
La Reine Blanche, Paris
du 18 novembre au 18 décembre 2025MAC Créteil, avec le Centquatre-Paris, dans le cadre du Festival Impatience
les 10 et 11 décembreThéâtre de l’Étincelle, Rouen
les 17 et 18 mars 2026



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