Entre pastiche et parodie, l’artiste queer bulgare Ivo Dimchev pointe les conventions, les mondanités et les lieux communs qui traversent et structurent le monde de l’art, et lui renvoie un miroir sans fard.
Il y a dans METCH quelque chose du mine de rien. Si, pour reprendre les mots d’Ivo Dimchev, ce spectacle tisse « un concert-exposition, une vente aux enchères, un exercice, une production excessive de peintures, un dialogue obsessionnel avec le public et, bien sûr, des chansons… », ces diverses formes déboulent pour certaines d’entre elles mine de rien. Ou usent, mine de rien, du recours à la provoc’, au potache, au trash, pour tacler le confort intellectuel petit-bourgeois des acteur·rices du monde de l’art (artistes et publics inclus). Mais reprenons. Dans METCH (comme « Musique, Exposition, Texte, Chorégraphie »), l’artiste queer bulgare installé aux États-Unis entre sur une scène comportant seulement des piles de tableaux retournés, dont on ne voit d’abord que le châssis, et un autre entassement de planches de bois. Avec sa perruque évoquant Andy Warhol, son style branché et décontracté – débardeur blanc, veste, fine moustache, collier à grosses perles –, l’homme porte dans son dos un pupitre. Un étrange fardeau qui ne l’empêche pas d’afficher une désinvolture sans failles et un tempérament fantasque. Débute alors un « dialogue » entre cette caricature d’artiste – poseur cocaïné, égocentrique, prêt à toutes les compromissions – et le public.
Dimchev nous invite, en effet, à lire à voix haute un texte que l’on découvre au fur et à mesure, et auquel il répond directement. Cet échange porte initialement sur l’exposition que l’on s’apprête à découvrir. Sauf qu’en travaillant le décalage entre ce que le dialogue nous attribue comme attentes, positions, émotions et ce que l’artiste répond, le tout pointe les conventions, les mondanités, les lieux communs qui traversent et structurent le monde de l’art. Toute la performance se déplie ainsi sur le mode de l’ironie, entre pastiche (imitation du monde de l’art) et parodie (transformation, déplacement de ce monde). La musique surgit régulièrement, Ivo Dimchev parsemant ses actions de ses belles compositions, dont le tempérament, de l’infinie mélancolie aux sonorités plus rocks, vient contre-balancer l’atmosphère grinçante.
Du vote pour sélectionner ses meilleurs tableaux aux dialogues pré-écrits, de son récit d’une fellation à un directeur d’une grande institution à ses peintures en direct, tout cela pourrait sembler un peu court parfois, gentiment impertinent et trash. Sauf qu’avec son humour crissant, les décalages grinçants et l’entrechoquement des situations – nous faire gloser sur ses peintures représentant des fellations, des pénétrations, comme des destructions ou le génocide à Gaza, pendant qu’il exécute au pas de charge un nouveau tableau sur le génocide – Ivo Dimchev renvoie un miroir sans fard au monde de l’art. Un monde où la radicalité et l’insolence sont volontiers convenues et conformistes ; où la parole politique et les valeurs éthiques ne sont que des postures ; où il est attendu des artistes qu’iels mettent leurs tripes sur la table, qu’iels se mettent à nu – à tel point que l’on se demande si cette injonction n’est pas la perpétuation d’un rapport de soumission/domination ; et où le plus important est autant de pouvoir spéculer (acheter une œuvre) que réaliser un selfie pour alimenter les réseaux sociaux.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
METCH
de et avec Ivo DimchevDurée : 1h20
Vu en octobre 2025 à La Friche La Belle de Mai, Marseille, dans le cadre d’Actoral
La Ménagerie de Verre, Paris, dans le cadre des Inaccoutumés
les 16 et 17 octobre
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