Soir de Première avec Julien Derouault
Julien Derouault a commencé la danse au Conservatoire du Mans, puis au Conservatoire à rayonnement régional d’Angers, avant d’intégrer l’École nationale supérieure de danse de Marseille et, dans les mois qui ont suivi, le Ballet National de Marseille, alors dirigé par Roland Petit. Depuis septembre 2000, il travaille avec Marie-Claude Pietragalla sur l’ensemble de ses créations, devenant ainsi chorégraphe associé en 2004, date à laquelle ils fondent la compagnie Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault. Avec Pierre-Claver Belleka, il interprète une version dansée de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Oui, j’ai le trac à chaque fois qu’il y a un spectacle. Par rapport à mes débuts, c’est sûr que ce n’est pas la même chose et que ce n’est pas la même panique. Mais je pense qu’un artiste qui n’a pas le trac n’est pas un artiste et donc que, forcément, il y a une appréhension par rapport au spectacle. Aujourd’hui, c’est plus une forme de concentration qui fait que l’on convoque les énergies nécessaires pour pouvoir danser.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
J’ai toujours eu cette sensation, même très jeune, que tous les spectacles étaient des premières puisque, pour les gens, c’est à chaque fois leur première. On doit conserver cette fraîcheur, même si, évidemment, au fur et à mesure d’une tournée, un spectacle mûrit et se transforme. Une journée d’avant spectacle, c’est comme une sorte d’entonnoir qui fait que, du matin jusqu’à l’ouverture du rideau, l’énergie doit se gaspiller le moins possible pour qu’au moment où le rideau s’ouvre, la magie opère.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer sur scène ? Des superstitions ?
Cela dépend des spectacles. Il y a des moments où je m’échauffe toujours au même endroit sur scène. C’est un peu comme les sportifs de haut niveau. Je prends toujours cet exemple. Ils font toujours les mêmes gestes. Nous aussi, on a un peu notre manière de s’échauffer, de se maquiller. Le faire à des horaires toujours précis permet d’avoir des repères qui nous empêchent de réfléchir. Ce qui permet de se focaliser sur l’énergie, de déconnecter le mental le plus possible.
Première fois où vous vous êtes dit « Je veux faire ce métier » ?
Je ne devais pas être bien vieux. Je crois que cette vocation d’artiste a été une évidence par rapport au fait de voir ma mère faire tous les jours un travail qu’elle n’aimait pas ; et donc, je me suis dit que je ne voulais pas faire comme elle et comme tous ces gens qui font grise mine avec leurs petits porte-serviettes dans les transports en commun. Au début, je pensais faire du théâtre, puis c’est la danse qui m’a attrapé et ne m’a plus lâché.
Premier bide ?
Un premier bide, c’est plus compliqué en danse. Je ne sais pas si on peut vraiment parler de bide. Il y a des spectacles qui marchent moins bien que d’autres. À Marseille, Roland Petit avait invité des chorégraphes contemporains, dont un qui ne savait vraiment pas ce qu’il faisait. Le public marseillais était très dubitatif quant au résultat, mais il avait eu la gentillesse de faire semblant d’applaudir ! Donc, c’était un bide.
Première ovation ?
Ça doit dater aussi de Marseille. Je mettrais peut-être en avant Sakountala qu’on avait monté avec Marie-Claude Pietragalla dans une salle particulière, qui s’appelle Le Dôme, une sorte de grand Zénith avec presque 5000 personnes. Et c’est vrai que de voir comme ça, autant de personnes debout, ovationner une première, c’était quelque chose d’incroyable. Il y avait 45 artistes sur scène. C’était une production assez ambitieuse, très ambitieuse même. Donc c’était une première ovation en tant qu’artiste sur scène et aussi en tant qu’assistant-chorégraphe ; donc c’était une double première.
Premier fou rire ?
La scène est pour moi un endroit très solennel, donc j’aurais l’impression de manquer de respect au public. Et comme j’ai toujours cette idée de donner le maximum pour le public, un fou rire est quelque chose qui ne m’est jamais arrivé.
Première mise à nu ?
Alors, la mise à nu réelle et concrète, c’était dans Sade, le théâtre des fous, un spectacle commandé par Pierre Cardin dont la première s’est déroulée au Château de Lacoste, le château du Marquis de Sade. Un endroit incroyable. Lors de cette première, il y a un moment où le personnage interprète plusieurs personnes, puisque Sade avait l’habitude de faire des spectacles avec des fous de l’hôpital psychiatrique de Charenton – il faisait des mises en scène avec ses congénères parce que lui-même était déclaré comme fou. Et j’ai fini nu dans la position du Christ, scotché sur une cage en fer !
Première fois sur scène avec une idole ?
J’aurais adoré danser avec Patrick Dupond. Malheureusement, cela ne s’est jamais produit.
Première interview ?
Je n’en ai aucune idée. Ça devait certainement être à Marseille, ou même peut-être avant, au Mans. Comme il n’y avait pas beaucoup de garçons qui dansaient, je pense qu’il devait y avoir de la presse locale, curieuse de savoir ce qui m’était passé par la tête de pas avoir choisi le foot !
Premier coup de cœur ?
J’avais douze ans, toujours au Mans, là où il ne se passait pas grand-chose culturellement. C’est une ville de qualité, très sportive, mais la culture était un peu en retard, surtout à mon époque. Au théâtre municipal, Laurent Terzieff est venu jouer, j’avais douze ans et j’ai été fasciné par ce monsieur qui était un génie et qui avait d’ailleurs une très bonne culture de la danse et une élégance sur scène. Il jouait dans un spectacle avec des textes qui n’étaient pas de mon âge, mais il avait cette capacité de nous rendre attentifs. Il avait cette aura face à de jeunes apprentis. Il ressemblait à une sorte de Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux, une sorte de magicien. Je ne savais vraiment pas ce qu’il racontait, mais on savait que c’était important. Ça m’a poussé à me dire que c’était un métier formidable parce que, pendant une heure, on n’avait pas vu le temps passer et on avait vécu une expérience incroyable. Je me suis dit : voilà, c’est ça l’art.
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