Marivaux se porte bien sur la scène des Mathurins, réactivé par une troupe pleine de fougue. Le collectif L’Émeute s’empare du Jeu de l’amour et du hasard avec autant d’humour que de sérieux, et les enjeux de la pièce éclatent comme des fruits mûrs au soleil dans une ambiance de folie douce et de musiques populaires. On adhère, on adore !
Pur enchantement que cette adaptation tout feu tout flamme de la célèbre comédie de Marivaux, où badiner avec l’amour ne prête pas à conséquences néfastes, mais malmène ce qu’il faut les protagonistes en des yoyos émotionnels dignes des plus vertigineuses montagnes russes sentimentales. L’intrigue tient en trois phrases : inquiète de son futur mariage avec un prétendant qu’elle n’a jamais rencontré, Silvia demande à son père l’autorisation d’échanger son rôle avec sa femme de chambre Lisette afin d’être plus à son aise pour observer sous cape son promis. Son père accepte, amusé du double secret qu’il détient alors. Car Dorante, le prétendant en question, a eu la même idée et s’apprête à se présenter sous les traits de son valet et vice versa. Et l’on a beau connaître le dénouement heureux de l’affaire, on rit, on tremble, on s’effraie de ces malentendus en rafale, et l’on se délecte de ces dialogues admirablement troussés par un auteur en pleine possession de son art, où l’amour se réfléchit à voix haute, se balance à l’autre sans filtre, tandis que chacun et chacune avance masqué.
Dans un décor de fête de village, avec comptoir en bois grossier à cour et guirlandes lumineuses en forme de chapiteau ajouré et coloré, les flonflons du bal dévoilent en leur milieu un radeau, non de la méduse, mais de tréteaux, épicentre propice à l’extrême théâtralité des situations. Les costumes d’Émilie Malfaisan crient leur liberté de ton et empruntent au passé autant qu’à la modernité. Entre salopette d’ouvrier et robe de mariée affriolante, du bleu de travail fonctionnel à la meringue blanche toutes voiles dehors, les interprètes ont autant la joie que le diable au corps, et la force de la mise en scène est de leur faire traverser l’intrigue et ses retournements incessants à 100%. Ici on ne fait pas dans la mesure, on n’aime pas qu’à moitié, on se livre autant que l’on se cache et les cœurs s’éprennent en dépit du bon sens apparent.
L’entrée en scène de Dorante (en vérité Arlequin) est un moment d’anthologie et les scènes Lisette (en réalité Silvia) / Bourguignon (en réalité Dorante) font dans la haute voltige scénique. Dans cette époque de pur théâtre qui ne s’embarrasse d’aucun réalisme, où les habits sont des costumes, mais ne font pas le moine, notre joyeuse bande évolue sous le regard complice et omniscient d’un public dans la confidence de ce jeu de dupes qui fera ses preuves. Sur la petite scène cocon des Mathurins, ce spectacle pétaradant, qui rend grâce à l’écriture enlevée de Marivaux, reprend après une exploitation la saison dernière au Lucernaire et dans le Off d’Avignon cet été. Et emballe. On a des confettis plein les yeux, on s’esclaffe sans complexe, et l’on revisite avec un plaisir non dissimulé les marivaudages qui ont fait la renommée de leur auteur.
Pas un temps mort, pas un dérapage, la mise en scène de Frédéric Cherboeuf n’est que rythme, ébullition et fantaisie, ponctuée d’incursions musicales tous azimuts, de Rameau en accéléré à Renaud, de Starmania à Janis Joplin, en passant par des échappées cinématographiques, du Fortunate Son de la BO de Forrest Gump à une reprise à la guitare sèche en version intimiste du duo final de Grease. Sans parler de la parenthèse de variété italienne qui couronne un humour à l’œuvre tout du long de la représentation. Le public est à la fête, et nous aussi, les enjeux propres à la pièce et à la cuisine marivaudienne sont réactivés avec un entrain qui fait du bien. L’amour échappe-t-il à l’emprise sociale ? Les étiquettes ont-elles plus de valeur que les sentiments sincères ? Tout cela est débroussaillé dans un embrouillamini de scènes qui constituent un laboratoire amoureux dont le public est le premier témoin. Car, sous la comédie guillerette, couvent et éclatent à chaque instant la cruauté des situations et les effets douloureux de ces manipulations en chaîne. Quant à la distribution, équilibrée et futée, elle révèle une troupe dont on n’a pas fini d’entendre parler. Retenez bien leur nom : le collectif L’Émeute est dans la place et ravive avec panache le répertoire.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Jeu de l’amour et du hasard
Texte Marivaux
Mise en scène Frédéric Cherboeuf
Assistant à la mise en scène Antoine Legras
Avec Dennis Mader en alternance avec Thomas Rio et Jérémie Guilain, Adib Cheikhi en alternance avec Basile Sommermeyer et Mathias Zakhar, Justine Teulié en alternance avec Camille Blouet et Camille Zufferey, Jérémie Guilain en alternance avec Vincent Odetto et Antoine Legras, Matthieu Gambier en alternance avec Frédéric Cherboeuf et Marc Schapira, Lucile Jehel en alternance avec Céline Laugier
Création lumière Tom Klefstad
Création sonore Stéphanie Verissimo
Collaboration artistique Adib Cheikhi, Collectif L’Émeute
Costumes Émilie Malfaisan
Scénographie Frédéric Cherboeuf, Adib Cheikhi
Construction décors Matthieu Gambier, Anthony Ponzio, Sophie Lecarpentier, Maxence de Larocque, Jonas OdettoProduction L’Émeute
Production exécutive Jumo Production
Soutiens et remerciements Ville d’Issy-Les-MoulineauxDurée : 1h30
Théâtre des Mathurins, Paris
du 29 août au 30 décembre 2025
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