Annonçant dénoncer « l’engrenage des lâchetés » à l’œuvre avant l’assassinat de Samuel Paty, Le Professeur, texte d’Émilie Frèche porté par Carole Bouquet, se révèle dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz plus nuancé que cela. Un retour sur les événements qui ont conduit au terrible assassinat terroriste de 2020, qui a du mal à trouver sa voie entre documentaire et fiction plus intime.
En même temps qu’elle sortait chez Albin Michel un livre conçu avec la sœur de Samuel Paty, Mickaëlle Paty, Le cours de Monsieur Paty, Émilie Frèche publiait en octobre 2024, chez le même éditeur, Le Professeur. Enquête d’un côté et bascule vers une part de fiction théâtrale de l’autre. Pour « redonner un corps et une voix » à celui qui est mort le 16 octobre 2020, dit l’autrice, à ce professeur assassiné à coups de couteau et décapité par un terroriste islamiste d’origine tchétchène à la sortie du collège du Bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine. Porté une première fois par Charles Berling, le texte est cette fois littéralement pris en main par Carole Bouquet qui en fait la lecture, sous la direction de Muriel Mayette-Holtz, directrice du Théâtre National de Nice.
Grand fond de scène sombre, où apparaît au début une photo en noir et blanc de ce qu’on devine être la cour du collège où exerçait Samuel Paty, pantalon et chemisier noirs de Carole Bouquet, pupitre pour les feuilles du texte, table et verre d’eau, la mise en scène fait dans la sobriété, excepté par endroits : la cloche qui retentit à chaque jour qui nous rapproche de la tragédie, quelques musiques qui surlignent l’émotion – tension dramatique ou émotion finale à la lecture d’une lettre d’une ancienne élève de Samuel Paty, accompagnée donc de quelques notes de piano, que Carole Bouquet dans un geste ultime tend vers le ciel. Si la comédienne, par moments, trébuche dans sa lecture au début du spectacle, elle donne petit à petit à penser que le choix de ce dispositif peut se justifier suivant le paradigme approprié de cette sobriété.
Sujet délicat de par ses incessantes récupérations politiques, l’attentat contre Samuel Paty a en effet ému et traumatisé la population française, par son horreur, bien sûr, mais aussi certainement parce qu’il s’attaquait à un membre de la communauté éducative. Par la suite, les – comment les nommer au plus juste ? – manquements de l’Éducation nationale et des collègues de Samuel Paty ont focalisé l’attention. Émilie Frèche revient largement dessus, parce qu’elle souhaite montrer la peur et le sentiment de solitude ressentis par Samuel Paty avant d’être assassiné. Ainsi, dans cette pièce, s’il commence par relativiser l’affaire que la directrice du collège prend bien plus à cœur, l’enseignant finit, la veille de l’attentat, terré chez lui dans l’effroi de ce qui pourrait lui arriver. Quelques licences poétiques surprennent, comme cette mise en scène de l’attentat qui laisse supposer que des enseignants entendent les élèves désigner leur collègue au tueur, ou cette parenthèse d’un Samuel Paty qui annonce que s’il avait survécu, il n’aurait, par peur, plus mené son enseignement sur la liberté d’expression. Mais le récit de ces dix jours funestes ne dévie pas de ce qui a pu être documenté par ailleurs, par exemple dans le documentaire Au nom de mon frère disponible sur le site de Public Sénat, et ne dérive dans le commentaire de parti-pris qu’à sa toute fin.
Les débats autour de la manière dont Samuel Paty a conduit son cours sont ceux qui traversent la société, et l’école sur la manière d’enseigner les valeurs de la laïcité. Entre partisans de la fermeté et adeptes de la souplesse, entre peur et sens républicain, les enseignants créent chacun leur voie. Celle de Samuel Paty lui a été fatale parce qu’une jeune fille a menti, parce qu’un agitateur islamiste s’est fait le porte-voix d’un récit falsifié, parce que l’islamisme produit une violence insupportable. Et, sachant la tragédie qui l’attend, les réticences des professeurs qui, dans le collège, se sont désolidarisés de leur collègue Samuel Paty peuvent paraître insupportables parce qu’ils superposent à une lecture en direct des faits une lecture a posteriori. Aurais-je été résistant ou bourreau ? a écrit Pierre Bayard aux Éditions de Minuit. L’adoption d’une focalisation flottante du récit mené tantôt du point de vue du professeur assassiné, tantôt d’un point de vue plus omniscient pose également question. La pièce a ainsi du mal à préciser son statut, entre documentaire et récit plus intime de Samuel Paty – les deux courts épisodes mentionnant son amie sonnent particulièrement faux. Offrant l’image attestée d’une communauté musulmane locale qui soutenait l’enseignant et des précisions sur le choix des caricatures opéré par le professeur, il contextualise cependant les événements de manière très intéressante. C’est certainement là, dans ses quelques apports et en rappelant précisément ce que chacun sait déjà plus ou moins confusément, ainsi que dans la perpétuation nécessaire de la mémoire de Samuel Paty, qu’il est le plus précieux.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Le Professeur
Texte Émilie Frèche (Éditions Albin Michel)
Avec Carole Bouquet
Mise en scène Muriel Mayette-Holtz
Lumières François Thouret
Musique Cyril GirouxProduction La Scala Productions & Tournées
Coproduction Théâtre National de NiceDurée : 1h05
La Scala Paris
du 9 octobre au 14 décembre 2025Grand Théâtre d’Angers
le 9 janvier 2026Radiant-Bellevue, Caluire-et-Cuire
le 14 janvierAtrium de Chaville
le 23 janvierThéâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye
le 29 janvierLe Kiasma, Castelnau-le-Lez
le 15 févrierThéâtre Olympia, Arcachon
le 24 févrierL’Atrium, Tassin-la-Demi-Lune
les 26 et 27 févrierLa Scala Provence, Avignon
le 6 marsThéâtre Croisette, Cannes
le 8 marsThéâtre d’Auxerre
le 14 marsCentre des Bords de Marne, Le Perreux-sur-Marne
le 24 marsThéâtre du Vésinet
le 26 marsThéâtre Roger Barat, Herblay-sur-Seine
le 27 mars
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