Aux commandes d’une troupe flamboyante, Guillaume Séverac-Schmitz signe une adaptation en demi-teinte du tube élisabéthain, réussie dans l’humour et ratée dans la douleur, ce qui n’empêche pas de passer une bonne soirée.
C’est l’histoire d’un garçon qui tombe amoureux d’une fille, et qui, malgré la haine qui oppose sa famille et la sienne, va lui dire qu’il est fou d’elle (sous un balcon) ; et puis, il y aura des bagarres, un accident et du poison, enfin… du faux poison, puis du vrai poison, et à la fin, tout le monde meurt – mais c’est quand même très très beau. S’il est évidemment inutile de résumer l’intrigue de la pièce de théâtre la plus fameuse du répertoire occidental, devenu un objet pop totémique et la référence de l’Amour romantique à travers les siècles (et même, les millénaires), ce n’est pas une raison, bien au contraire, de ne plus s’y intéresser, de ne plus la lire, de ne plus entendre sa langue, et surtout de ne plus la monter. À condition, bien sûr, de lui donner une orientation esthétique toute particulière, d’y apposer sa patte artistique (comme on dit), de la faire résonner avec sa sensibilité, avec l’époque – ou contre celle-ci.
Guillaume Séverac-Schmitz s’y connaît en Shakespeare. En tant qu’acteur, il a joué du Shakespeare (Comme il vous plaira, Mesure pour mesure, Le Songe d’une nuit d’été) ; comme metteur en scène, il en a monté du Shakespeare (Richard II, Richard III) ; dans la feuille de salle, il écrit même entretenir « un rapport charnel à l’œuvre de Shakespeare » – ce que l’on croit volontiers. Et sa patte artistique à lui (comme on dit) est immédiatement reconnaissable. Guillaume Séverac-Schmitz affectionne des mises en scène physiques teintées d’humour burlesque et grimaçant, des adaptations mâtinées de références contemporaines tournées vers un public jeune, ce qui est tout à son honneur. Ce dernier, d’ailleurs, le lui rend bien – au ThéâtredelaCité toulousain, où la pièce a été créée, la salle était affrétée par des cars et des cars de scolaires (lesquels, pour l’occasion, portaient de belles chemises).
Sans surprise, cette version s’inscrit dans la continuité du travail de l’artiste. Autrement dit, avec des accessoires et des partis-pris actuels – la fête chez les Capulet se déroule au rythme d’une musique électro tonitruante, Mercutio vapote, Roméo est joué par une fille –, avec un jeu d’acteurs survolté – mention spéciale au flamboyant Mercutio justement, incarné par l’acrobatique Guillaume Morel, qui brûle les planches –, avec une dérision omniprésente – chacun en fait des caisses, et personne ne se prend au sérieux –, avec aussi, et surtout, une traduction signée Clément Camar-Mercier, qui ressemble davantage à une réécriture qu’à une traduction – l’intéressé peut se le permettre, vu son inventivité, la qualité de sa plume et de son oreille.
La première partie fonctionne à merveille. Les effets de scènes ont beau ne pas être toujours d’une grande subtilité, la désacralisation du canon élisabéthain est menée avec une telle joie que celle-ci devient communicative. On rit – enfin, on sourit. On s’attache à ses jeunes acteurs – en particulier à « cette » Roméo (Marine Gramond) pour sa façon d’imposer sa démarche, sa gestuelle, son physique, et de détourner la question du genre. On se dit qu’il serait absurde de faire son snob, puisque tout est là : le texte, la mise en scène, le spectacle, les comédiens, la salle pliée en deux… Mais dans la deuxième partie, malheureusement, tout se gâte : Roméo et Juliette résiste au style de Guillaume Séverac-Schmitz. Parce que l’humour ne se fixe pas à la douleur des personnages, qui devient réelle ; parce que la mécanique du dénouement de la pièce – le poison qui tue, mais en fait non, mais en fait si – demeure artificielle et longue – mais c’est la faute de Shakespeare, pas de Guillaume Séverac-Schmitz ; parce que les acteurs se mettent à hurler et ne semblent plus dirigés. Mais, le monde étant ainsi fait, l’actualité pénible et l’avenir incertain, le théâtre une source de joie plutôt que de déplaisir, on conclut que la première partie prédomine sur la seconde et la réussite au rendez-vous. Alors, messieurs-dames, et en particulier Madame Juliette (Clémence Coullon) et Madame Roméo : bravo.
Igor Hansen-Løve — www.sceneweb.fr
Roméo et Juliette
Texte William Shakespeare
Nouvelle traduction et adaptation Clément Camar-Mercier
Mise en scène et conception Guillaume Séverac-Schmitz
Avec Mathilde Auneveux, Sophie Cattani, Olivia Corsini, Clémence Coullon, Marine Gramond, Guillaume Morel, Olivier Sangwa, Lydia Shelley, Philippe Smith
Violoncelliste Lydia Shelley
Scénographie Emmanuel Clolus
Chorégraphie Juliette Roudet
Création lumière Michel Le Borgne
Création et régie son Géraldine Belin
Régie son Jonathan Mathieu
Création vidéo Stéphane Pougnand
Régie vidéo Éric Andrieu, Manuel Rufié
Création costumes Emmanuelle Thomas
Régie habillage Laurette Richer
Régie générale et lumières Léo Grosperrin
Régie lumière et poursuite Didier Barreau, Bastien Clarenc, Philippe Ferreira
Régie plateau et accessoires Yann Ledebt, Sébastien Mignard
Régie plateau Simon Clément, Jean-Jacques Duquesnoy, Laurent Fourmy, Gilles Montaudié, Flavien Renaudon
Réalisation du décor dans les Ateliers de construction du ThéâtredelaCité sous la direction de Michaël Labat
Réalisation des costumes dans les Ateliers du ThéâtredelaCité sous la direction de Nathalie TrouvéProduction [Eudaimonia]
Coproduction ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie, MAC – Maison des Arts de Créteil, Théâtre de Caen, Théâtre de L’Archipel – Scène nationale de Perpignan, Théâtre+Cinéma – Scène nationale du Grand Narbonne
Avec la participation artistique du JTN, Jeune Théâtre National et le soutien de La Commune, CDN d’Aubervilliers
Soutiens DRAC Occitanie, Conseil Départemental de l’Aude et de l’ADAMIDurée : 2h
ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
du 2 au 8 octobre 2025Château Rouge, Scène conventionnée, Annemasse
les 9 et 10 décembreLe Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées
les 12 et 13 janvier 2026L’Archipel, Scène nationale de Perpignan
les 16 et 17 janvierThéâtre Molière, Scène nationale archipel de Thau, Sète
le 20 janvierThéâtre+Cinéma, Scène nationale du Grand Narbonne
les 22 et 23 janvierMAC – Maison des Arts de Créteil
du 27 au 29 janvierThéâtre de Caen
du 28 au 30 avrilL’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
les 12 et 13 mai
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