Dans un spectacle à hauteur d’enfants et construit avec eux, Julien Fournet fabrique une utopie où la rue est à eux. Guidés par les artistes dans l’espace public, les jeunes gens partent dans l’aventure pour vaincre leurs peurs et abattre les murs.
Probablement faut-il regarder L’Enfance majeure avec des yeux d’enfants, et, si on les a perdus, leur faire confiance pour restituer ce que c’est que d’avoir un spectacle à soi. Oublier sa place d’adulte dans ce dispositif. Ce spectacle est pour eux, dès 6 ans. Et surtout fabriqué avec eux, comme le rappelait le ministère de la Culture lors de l’événement « Bright Generations » de l’ASSITEJ International en mars dernier. Avant même d’assister au « résultat » de ce travail qui tient en 1h30, en mode déambulatoire en plein air, il y a « Ballots de paille et micro-utopies », la partie « Plaine de jour », comme on dit en Belgique, où la compagnie a mené des ateliers, soit un centre aéré. Trois jours d’atelier-jeux pour vingt à vingt-cinq enfants de 8 à 12 ans durant lesquels ils pratiquent danse, acrobatie et même pâtisserie pour une cérémonie du goûter. Une petite communauté prend ainsi « conscience de ses pouvoirs », indique le metteur en scène Julien Fournet dans un document de travail.
Ensuite, voici donc L’Enfance majeure, où les enfants du centre aéré deviennent les complices des artistes. Ensemble, ils guident les spectateurs et les adultes qui les accompagnent dans un parcours qui consiste d’abord à se saisir d’un objet totem parmi une multitude de figurines en plastique. Puis, il faut cheminer et arriver dans un bout de rue qui leur/nous est réservé. L’utopie commence là. La rue est à nous, à eux. Un air de manif est dans l’air. C’est qu’il va falloir défendre ses droits et reprendre le pouvoir, notamment en domptant concrètement ce ballot de paille, énorme, dont l’un des artistes nous rappelle qu’il symbolise à la fois la nature – il renferme « la puissance du champ et de la moisson » – et le capitalisme, puisque c’est une incarnation de la culture intensive. Impossible qu’un humain (fut-il adulte) le déplace seul – il pèse 300 kilos. Alors, les enfants sont sollicités pour l’actionner, le transformer en terrain de jeu, jusqu’au final libératoire qu’on se garde de raconter. Autre défi : abattre la muraille qui barre la route. Pour cela, il faut que chacun dépose ses peurs et tout deviendra possible. L’oscillation entre composantes concrètes et théoriques est l’une des trames de ce spectacle. C’est cela qui fait aussi que tout n’est pas aisé à assimiler dans ce projet ample et audacieux. C’est long et très dé-rythmé de mobiliser autant de monde dans l’espace public, surtout des enfants ; c’est osé de tant vouloir expliciter, par exemple, les types de réactions face à la peur – la lutte, la paralysie, la fuite. Les règles édictées sont parfois alambiquées alors que le jeu fonctionne. Attentifs durant les 90 minutes, les enfants s’engagent pleinement et la sensation qu’ils peuvent faire tomber une muraille en se délestant très sérieusement de leurs peurs est prégnante.
Philosophe de formation, Julien Fournet a mené en amont un long travail de recherche sur l’autodétermination des enfants avec son acolyte Emmanuelle Nizou. Le (magnifique) titre de son spectacle est d’ailleurs emprunté à Charles Fourier, contemporain de Rousseau, qui, en 1821, livre ses réflexions sur l’éducation dans Vers une enfance majeure, aujourd’hui édité par La Fabrique. « C’était avant que n’existe la question du droit des enfants, la naissance de l’école et de la pédagogie », comme le souligne l’ancien collaborateur d’Antoine Defoort. Il confie, par ailleurs, dans le document publié par sa compagnie, avoir été « choqué par la lecture d’une étude évoquant la distance parcourue par un enfant seul de huit ans depuis son point de référence adulte, [mentionnant qu’elle] était de 5 kilomètres il y a 50 ans [et était] réduite à 300 mètres en 2007. Une autre étude disait que le nombre d’enfants qui jouent dans l’espace public a diminué de 50% entre 1983 et 2008 ». Voici donc que L’Enfance majeure rend aux enfants ce que la voracité des grands leur a volé ces dernières années : l’espace et l’autonomie. Et, à n’en pas douter, cette confiance que l’équipe artistique leur fait leur donne l’autorisation, sans que ce soit un devoir, ne pas se satisfaire des normes étriquées qui leur sont assignées. Les enfants prennent le pouvoir. Aux adultes de s’effacer.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
L’Enfance majeure
Conception, écriture et mise en scène Julien Fournet
Avec Joey Elmaleh, Emma Harder, Lucie Yerlès, Marc-Alexandre Gourreau, Timea Lador
Musique Esteban Fernandez, Marc- Alexandre Gourreau
Scénographie Arnaud Verley
Collaboration artistique / regard extérieur Emmanuelle Nizou
Coordination de la médiation et collaboratrices artistiques Emma Harder, Lucie Yerlès
Création costumes Camille Lamy, Sara Daniel
Régisseur général Gildas CélesteProduction L’Amicale
Coproduction MARS – Mons arts de la scène ; Culture Commune – Scène nationale du bassin minier du Pas de Calais ; Scène nationale Carré-Colonnes ; Les Halles de Schaerbeek ; la maison de la culture de Tournai ; La rose des vents – Scène nationale Lille Métropole ; Association ECLAT, Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public ; Festival d’Aurillac ; Lieux publics, Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public et pôle européen de création ; Chorège | Centre de Développement Chorégraphique National ; Le Citron Jaune, Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public ; Le Grand Bleu – Scène Conventionnée d’Intérêt National Art, Enfance et Jeunesse ; Théâtre Olympia – Centre Dramatique National de Tours
Partenaires Maison du Spectacle – la Bellone ; La Serre – art vivants ; Le Familistère de Guise ; Le Grand Bain ; Centre National de la Recherche ; Les Midis de la poésie ; École des alouettes ; École André Bodereau
Soutien institutionnel Programme Recherches et expérimentations artistiques – Région Haut-de-France ; Lauréat 2020 du dispositif « Recherche en théâtre et en arts associés » de la DGCA (ministère de la Culture) ; Aide nationale à la création pour les arts de la rue de la DGCA (ministère de la Culture)
Avec le soutien financier de l’Institut français à Paris, au titre de la convention Institut français + Métropole Européenne de Lille pour l’année 2024Durée : 1h30
À partir de 6 ansVu en septembre 2025 au Théâtre Le Ciel, Lyon, dans le cadre de la Biennale de la danse
Culture Commune, Scène nationale, Loos-en-Gohelle
le 27 septembreLes Tombées de la Nuit, Rennes
le 12 octobreScène nationale Carré-Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles
le 25 avril 2026Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles (Belgique)
les 24 et 25 juin
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