Parmi les temps forts chorégraphiques de la saison Brésil-France 2025 figure la venue du Balé da Cidade de São Paulo. Emmenée par Rafaela Sahyoun, la troupe interprète deux pièces tout en intensité de la danseuse et chorégraphe brésilienne.
Fondé en 1968, le Balé da Cidade de São Paulo, lié au théâtre municipal de São Paulo, a été, jusqu’alors, assez peu invité en France. Alors, à sa (re)découverte s’en ajoute une autre, celle de Rafaela Sahyoun. La jeune artiste brésilienne, formée à la Salzburg Experimental Academy of Dance (Autriche, 2013) et au Trinity Laban Centre for Movement and Dance (Royaume-Uni, 2009), travaille avec des compagnies nationales comme internationales depuis 2012. C’est peu de dire à quel point le programme qu’elle propose marque par sa vitalité et son intensité. Celui-ci est constitué de deux pièces : Fôlego, créée en 2022, reprise et adaptée en 2023, puis retravaillée en 2025, et Boca Abissal, nouvelle création conçue en 2025.
Dans Fôlego, signifiant le « souffle », et ayant, comme en français, un sens propre et figuré, la pièce débute dans l’obscurité. Tandis qu’une musique électronique monte progressivement en intensité sonore, l’on discerne de mieux en mieux le groupe des interprètes, et leur reflet dans le vaste miroir placé en hauteur. Les seize danseur·euses font bel et bien groupe, dessinant une formation organique soudée et entremêlée, qui évolue en composant un même mouvement circulaire. Ce groupe ondule, chacun·e de ses membres, en se déplaçant progressivement, provoquant de légères variations dans le mouvement collectif. C’est une fascinante unité composite qui est à l’œuvre, et, tout comme les costumes sont à la fois unis et singuliers – chaque interprète porte des vêtements d’une seule couleur, tous les costumes se rejoignant par leur allure ample et leur aspect quotidien –, la chorégraphie de Fôlego travaille la possibilité du collectif en admettant, reconnaissant, valorisant les singularités. Quant au miroir, élément indispensable d’une salle de répétition, sa position au-dessus de la scène fait plus que dédoubler les mouvements et les corps, elle amène à nous en révéler toujours une autre perspective.
Après cette première séquence, et tandis que la musique bascule vers une techno plus affirmée, le groupe se disperse, les bras emportant les corps qui pulsent aux rythmes de la musique électronique. Vont suivre diverses atmosphères, toujours entraînées par la musique qui passe de la house à une techno plus percussive – avec des références aux musiques populaires brésiliennes –, le tout soutenu par une création lumières passant, elle aussi, d’une faible à une plus forte intensité. Il y a quelque chose de la soirée rêvée dans ce Fôlego, dans la façon dont les interprètes s’abandonnent aux pulsations musicales, cheveux détachés, dansant isolé·es avant de former des duos ou de recomposer un seul groupe. Alors qu’une séquence évoque l’étreinte amoureuse, une autre dessine une onde musicale se propageant dans tous les mouvements et placements des corps. Mais le groupe finit toujours par se reconstituer – jusqu’à disparaître ainsi dans l’obscurité –, alors que la musique se prolonge encore quelques secondes.
Dans Boca Abissal, l’univers est plus éloigné de nous : son titre, que l’on peut traduire par « bouche abyssale », renvoie possiblement aux bouches à la taille démesurée des poissons des grandes profondeurs. Sur un plateau avec un fond de scène blanc, tandis que pulsent déjà des sons évoquant le battement d’un cœur, les seize interprètes apparaissent. Réparti·es de façon isolée sur scène, iels sont baigné·es d’une lumière évoquant une eau dans laquelle des reflets lumineux miroitent. Leurs costumes n’ont pour unité entre eux que les trois couleurs utilisées – bleu, gris, blanc – car, pour le reste, chaque costume semble dessiner un être propre par la disparité des matières comme des coupes. Il y a ici un côté hétéroclite stylisé affiché, qui dessine un monde loin du nôtre, avec sa diversité et sa cohérence. Sans jamais, pour autant, aller vers des références explicites, Boca Abissal a plus des allures de rituel, d’une cérémonie festive. Assumant plus volontiers les ruptures, la chorégraphie repose sur l’idée d’un collectif alternant danses et mouvements de groupes et d’autres individuels. C’est une danse, là encore, en intensité perpétuelle, quoique traversée de chutes régulières, de mouvements qui ne cessent de partir du sol pour s’élever, de saccades – l’un des mouvements travaille particulièrement les torsions, les déhanchements forcés – et d’autres gestes anti-naturels au possible. La musique elle-même est plus traversée de brisures franches, allant vers des compositions plus éthérées, avant de revenir vers de l’électro-beat marqué.
De Fôlego à Boca Abissal, au-delà de leurs singularités évidentes, l’on retrouve néanmoins des motifs et caractéristiques aussi fortes que communes. Outre une prééminence de la musique dans l’univers déployé – que l’on entend avant et après avoir vu les corps évoluer –, la tonicité est sans failles – c’est même d’ailleurs là que réside assurément la virtuosité du travail de Rafaela Sahyoun, dans cette intensité perpétuelle. Cela au risque, parfois, d’un léger amoindrissement de l’attention pour le public. Reviennent dans les deux pièces, également, une intégration des sonorités et mouvements de la samba qui, plus qu’une musique, constitue une culture ; ainsi qu’un travail sur le collectif en tant que communauté, revendiquant avec une liesse communicative la richesse de sa diversité – et qui n’est pas étranger au monde de la samba.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Theatro Municipal de São Paulo
Directrice générale Andrea Caruso Saturnino
Directeur artistique du Balé da Cidade Alejandro Ahmed
Conception et chorégraphie Rafaela Sahyoun
Assistante à la chorégraphie Inês Galrão
Lumières Aline Santini
Costumes Tela Studio SP – Karina MondiniFôlego
Avec Ana Beatriz Nunes, Ariany Dâmaso, Camila Ribeiro, Carolina Martinelli, Fabiana Ikehara, Grécia Catarina, Gutiele Ribeiro, Isabela Maylart, Jessica Fadul, Harry Gavlar, Leonardo Silveira, Luiz Crepaldi, Marcel Anselmé, Marina Giunti, Marisa Bucoff, Márcio Filho
Musique The Field
Bande sonore Joaquim ToméBoca Abissal
Avec Avec Bruno Rodrigues, Camila Ribeiro, Fabiana Ikehara, Grécia Catarina, Gutiele Ribeiro, Isabela Maylart, Jessica Fadul, Harry Gavlar, Leonardo Muniz, Luiz Oliveira, Marcel Anselmé, Marina Giunti, Marisa Bucoff, Márcio Filho, Odu Ofá, Rebeca Ferreira, Silvia Kamyla, Victor Hugo Vila Nova
Bande sonore originale Yantó
Scénographie Camila SchmidtProduction Theatro Municipal de São Paulo
Avec le soutien pour la tournée de la Saison Brésil en France
Coréalisation de la tournée Festival Cadences, Arcachon ; Théâtre de la Ville-Paris ; Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale ; Château Rouge, Scène nationale, Annemasse ; Maison de la danse, LyonLe Theatro municipal est financé par Lei Rouanet Incentive projetos culturals, Sustenidos Organização Social de Cultura, Fundação Theatro Municipal, Cidade de São Paulo. Le Balé bénéficie en outre du soutien de la banque NU et du ministère de la Culture de l’état fédéral du Brésil.
Durée : 1h30 (entracte compris)
Théâtre de la Ville, Paris
du 23 au 27 septembre 2025La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
les 2 et 3 octobreChâteau Rouge, Scène conventionnée, Annemasse
les 8 et 9 octobreMaison de la Danse, Lyon
du 15 au 19 octobre



Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !