Programmée dans le cadre de la Sélection Suisse en Avignon, la plasticienne et performeuse helvétique Léa Katharina Meier poursuit avec Tous les sexes tombent du ciel son exploration de l’esthétique du burlesque et de l’enfance. Grinçant et paradoxalement tendre.
Dans l’écrin d’un drapé rouge et rose poudré, type castelet de guignol, un décor de papier mâché composé d’une lune gigantesque, de ses étoiles suspendues et de maisons de poupées en forme de barres HLM nous plonge dans la chambre d’une enfant un peu étrange, voire dans un rêve carrément inquiétant. Avec Tous les sexes tombent du ciel, qui lui a valu le Prix Suisse de la Performance en 2021, Léa Katharina Meier poursuit son développement des esthétiques qui lui sont chères, celles du débordement et de l’abjection. Des bougies rouges ponctuent cette ville miniature, qui va bientôt accueillir une succession de petites cérémonies absurdes, comme autant de formules magiques. En costume d’arlequin pourpre, un coeur découpé sur la poitrine, un Auguste timide, et pourtant grotesque par les pantomimes invraisemblables que son visage entreprend, évolue dans ce décor qui joue sur les échelles : tantôt King-Kong inoffensif accroché à une tour en carton, tantôt valseuse désarticulée au milieu des étoiles.
Tandis que des chants d’enfants samplés se mêlent à la ritournelle d’une boite à musique, la clown installe un grand verre de vin au centre de la scène, qu’elle entreprend d’entourer d’autres récipients de toute taille et de toute forme, comme pour entamer un rituel chamanique étrange. Ce sera celui de l’ivresse. Dans ce verre de vin devenu chaudron de sorcière, l’eau des roses se mélange au whisky et au champagne, bientôt rejoints par des sécrétions en tous genres. « C’est dégueulasse », acquiesce-t-elle avec le public qui pince le nez, avant de faire sortir des éponges de sa bouche grâce à l’intervention d’un bâton magique. Le rêve se transforme alors en banquet gargantuesque et l’ogresse se vautre bientôt dans des liquides divers.
Mais la force de la proposition réside dans sa capacité à effleurer la limite du supportable tout en n’oubliant pas d’être empathique. C’est lors de la parenthèse faussement onirique, sorte de parodie de comédie musicale, où, adossée à la lune immense, la clown entame une balade volontairement criarde, qu’elle révèle aussi l’ensemble de sa pudeur. « Tuez-moi, braille-t-elle. Sous la lune, on se fait toutes écraser ». Car c’est, bien entendu, la violence qui sous-tend ce monde faussement candide. Violence qui restera tacite jusqu’à la toute fin de la performance où elle ne sera que très rapidement nommée. En se tenant à une distance plutôt juste de la provocation, en n’oubliant pas de nous inclure dans son grinçant délire, Léa Katharina Meier interroge la honte et la marginalité, tout en développant un monde déroutant, grotesque et céleste à la fois. Abjecte, et tendre pourtant.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Tous les sexes tombent du ciel
Conception, textes, costumes, décors et performance Léa Katharina Meier
Collaboration artistique et à la mise en scène Tatiana Baumgartner
Accompagnement dramaturgique et regard extérieur Adina Secretan
Création lumière Vicky Althaus
Construction décors et régie plateau Guits
Musique Serge Teuscher
Régie son Charlotte Carteret
Regards extérieurs Jonas Van, Charlotte Nagel
Accompagnement à la pratique clownesque Rafaela Azevedo
Coaching danse classique Claire Dessimoz
Conseillerx et conseillère en écriture Nayansaku Mufwankolo, Stéphanie Rosianu
Assistante décors Cecilia Moya RiveraProduction LES MAUVAIS JOURS FINIRONT!
Coproduction TU-Théâtre de l’Usine, Genève et Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Lausanne
Soutiens Ville de Lausanne, Direction de la culture de la Ville de Vevey, Ernst Göhner Stiftung, Fondation Nestlé pour l’art, Canton de Vaud, Fondation MLH, PREMIO – Prix d’encouragement pour les arts de la scène, Pro HelvetiaDurée : 1h
La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, de la Sélection Suisse en Avignon et des Rencontre(s) d’été de La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon
du 9 au 20 juillet 2025, à 16h (relâche les 11, 14 et 18)
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