Artiste associé au festival Montpellier Danse pour trois ans, le danseur et chorégraphe iranien Armin Hokmi y a présenté une nouvelle pièce, Of the Heart – An Etude. Rencontre.
Le public l’a découvert lors de Montpellier Danse 2024. Invité pour la première fois à présenter son travail en France, l’artiste iranien y a alors créé Shiraz. Et il est peu de dire que cette pièce fit forte impression sur le public, la critique comme les professionnel·les. De retour pour cette édition 2025, Armin Hokmi – par ailleurs artiste associé au festival montpelliérain jusqu’en 2026 – y a proposé une forme plus modeste, le solo Of the Heart – An Etude. L’an prochain, il présentera à nouveau une création plus ambitieuse, Repertoire-(Bazm), qui réunira onze interprètes. Face à ce travail chorégraphique marqué par une grande méticulosité, une expressivité rigoureuse et un goût pour la variation sur le motif, nous avons souhaité rencontrer Armin Hokmi. Ce danseur et chorégraphe trentenaire, qui a débuté le théâtre en Iran avant de rejoindre Oslo il y a neuf ans, vit désormais à Berlin. C’est au fil de ses pérégrinations – jalonnées d’études – qu’il s’est de plus en plus orienté vers la danse. Comme il le racontait en 2024 lors de la conférence de presse de Montpellier Danse, il a toujours « navigué entre théâtre et danse », et c’est une fois en Norvège qu’il l’a de plus en plus intégrée à ses œuvres, jusqu’à ce qu’elle prenne le dessus sur le théâtre. Si Armin Hokmi a collaboré ou collabore avec des chorégraphes renommés, tels que Mette Ingvartsen, Kasper Ravnhøj, Hooman Sharifi et Phillip Zarrilli, c’est bien sur son travail en tant que chorégraphe que nous avons échangé avec lui. Portrait fragmentaire en quelques pièces chorégraphiques.
Shiraz, une pièce et son contexte
Ville universitaire du sud de l’Iran, Shiraz a laissé une trace importante par son festival : entre 1967 et 1977 s’y est tenu le Festival des arts de Shiraz-Persépolis, manifestation internationale dépliant une programmation contemporaine avant-gardiste en cinéma, danse, théâtre et musique, sans éluder des formes artistiques plus traditionnelles. Peter Brook, Bob Wilson, Tadeusz Kantor, Arby Ovanessian ou encore Iannis Xenakis ont investi les lieux. Largement souhaité par l’épouse du chah, l’impératrice Farah Pahlavi, le festival, qui a également accompagné les arts de la scène iraniens, a par la suite disparu, car jugé anti-islamique et contre-révolutionnaire. Dans la pièce d’Armin Hokmi, comme ce dernier nous le détaille, « l’idée initiale était de faire un travail de danse qui soit à la fois une performance et une réanimation du festival ». Non pas une restitution, mais une recherche nourrie de documentation et d’imagination (la sienne comme celle des interprètes).
Il s’est donc agi dans le processus créatif de transmettre l’esprit du festival, sa trace dans l’imaginaire, en concevant un langage chorégraphique, une danse « à partir d’un geste particulier : le point de départ était de se cacher derrière sa main ». Sorte de travail méticuleux sur le motif et le perfectionnement du geste, fait de déhanchements et de tracés dans l’espace puisant dans des pratiques de danses variées, Shiraz réunit des interprètes de différentes nationalités. Un choix volontaire, pour éviter que le groupe ne pointe vers « un » type de formation, « une » nationalité, « un » arrière-plan artistique. « Très tôt dans le processus de création, j’ai compris que le langage chorégraphique devait servir à faire émerger la singularité de chacune des individualités », explique Armin Hokmi. Sans pour autant mettre l’accent sur ou surligner les origines, les individualités de chacun ou les légères variations d’interprétation, la pièce donne de l’espace à ces différences qui créent la force collective.
Of the Heart – An Etude, de l’intérieur vers l’extérieur
Of the Heart – An Etude apparaît comme un précipité du travail du chorégraphe. S’y déplie une recherche précise – tel un carottage – en vue de la prochaine création. Dans ce solo, Katherina Jitlatda Horup Solvang déploie une danse particulièrement méthodique, faite de diagonales et de mouvements secs des bras, de légères ondulations des épaules et des hanches, sur une composition électronique (d’après des musiques iraniennes) des musiciens ehsan & HEiCH. Aussi magnétique qu’hypnotique, ce solo offre une circulation entre la surface du corps et ce qui s’y joue intérieurement, dans une lutte avec la musique. Ici, « le corps est comme une prothèse du cœur, de ce qui se passe à l’intérieur », précise Armin Hokmi. Dans cette gestuelle où « l’organe est le moteur », la danse se donne comme la représentation de l’impulsion et du mouvement d’un cœur.
Of the Heart – An Etude constituant une recherche qui nourrira Repertoire-(Bazm), on interroge le chorégraphe sur la continuité de ce principe de « corps comme prothèse du cœur » pour sa future création. Prudent, Armin Hokmi précise : « J’ai un principe, qui est d’éviter d’avoir une relation fonctionnelle ou une présence directe d’éléments d’une pièce à l’autre. Ce qui m’intéresse, c’est comment une nouvelle question peut faire réapparaître des principes identiques ». S’il existe des influences, l’enjeu pour l’artiste est de reformuler des engagements. Face à « la tentation, dans le processus créatif, d’affirmer et de confirmer ce qu’on vient de faire, de répéter pour constituer une sorte de propriété intellectuelle », Armin Hokmi ressent la nécessité de se mesurer à de nouvelles questions. « S’il fallait choisir, je renoncerais facilement à des principes déjà testés et vécus pour exprimer un désir presque vital : la possibilité de concevoir quelque chose dont je ne connaissais même pas l’existence avant de débuter le processus créatif. »
Repertoire-(Bazm), le répertoire comme prothèse de Bazm
Quid de ce que recouvre ces deux termes « formant une sorte de trajectoire parallèle » ? « Le ‘répertoire’ ici ne fait pas référence à mon répertoire, mais à une collection variée dans le monde de la danse. J’entends ce terme au sens extrêmement large, en ce qu’il exprime une sensibilisation vers ce qui est disponible dans le monde chorégraphique, détaille Armin Hokmi. Qualifier un élément de danse comme relevant du répertoire, et donc devant être conservé, renvoie à une démarche complexe qui recouvre des enjeux artistiques, étatiques, politiques et culturels. » Cette idée de répertoire va ainsi travailler avec la familiarité de certains mouvements et la considération qu’on leur porte – la disparition d’un répertoire n’ayant rien à voir avec son intérêt, mais s’articulant à des dynamiques de visibilité, à des rapports de domination (parfois coloniaux), à des enjeux de légitimité. Quant à « Bazm », la notion désigne un événement qui s’éloigne de son but d’origine. « Ce concept n’existe que lorsqu’il y a une déviation – accidentelle ou provoquée – de l’objectif initial. Contrairement au répertoire dont on attend qu’il soit fidèle à une conception existante, ‘Bazm’ offre la possibilité de dévier du préconçu. » À l’image du titre, le spectacle entend articuler ces deux qualités, en conservant l’incertitude comme principe de création : « Je ne sais pas quel mot va prendre le dessus, mais j’espère de façon amusante pouvoir fabriquer un faux répertoire qui, en proposant des codes déjà existants, compris, vécus, fasse consensus ; puis qui devienne ‘Bazm’ et surprenne en s’arrachant à son propre répertoire… »
À l’entendre avec une clarté impeccable exposer ses démarches, son travail sur le geste, l’on pourrait redouter un formalisme débranché de ce qui l’entoure. Il n’en est rien tant la danse d’Armin Hokmi est aussi écrite que charnelle, ancrée que subtile dans sa dramaturgie. Pour terminer l’entretien, on l’interroge sur la façon dont le contexte géopolitique, la guerre Iran-Israël et les bombardements sur l’Iran ont pu affecter son travail. « Je vais vous raconter une petite histoire : lorsque les attaques ont commencé, j’étais en train d’échanger avec les musiciens d’Of the Heart, qui vivent à Téhéran. La seule question qu’ils m’ont posée, c’est si j’avais tout ce qu’il me fallait pour Montpellier… Je souhaite apprendre de leur réaction, qui me rappelle que, quelle que soit la situation, il faut continuer à chanter, danser, boire, rire. La charge mentale est inévitable dans cette situation – toute ma famille est en Iran –, mais je ne pense pas l’art comme une échappatoire. Après, pour Of The Heart, nous étant rendu compte que la danse avait une résonance avec des émotions telles que la résignation, la défaite, le doute, la peur, nous nous sommes dit que la danse pouvait devenir une plate-forme pour l’expression de ces émotions, afin de pouvoir les vivre, mais sans les instrumentaliser. Parce que tout ce que nous faisons est en relation avec les événements qui se passent dans le monde… »
caroline châtelet (avec l’aide de Nigel Connor – acb&co pour la traduction) – www.sceneweb.fr
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