Création attendue de Montpellier Danse, le triptyque Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney tresse dans une forme extrêmement léchée et stylisée danse et théâtre, pour un propos alertant sur les désastres écologiques en cours et à venir.
Parmi les spectacles de cette édition 2025 de Montpellier Danse, Figures in Extinction était particulièrement attendu. Pourquoi ce spectacle ? Selon la ou les personnes interrogées, vous risquez d’entendre vanter autant le nom de la chorégraphe, du metteur en scène, des interprètes, que l’amplitude de la forme et l’actualité du propos… Car Figures in Extinction réunit Crystal Pite, Simon McBurney, le Nederlands Dans Theater et Complicité – la compagnie de McBurney. Et dans cette trilogie présentée pour la première fois en France dans son intégralité, la première signe la chorégraphie, le deuxième la mise en scène, le tout dépliant une proposition à l’interprétation d’une fluidité saisissante et à la maîtrise formelle indubitable.
Ces trois opus, la chorégraphe canadienne née en 1970 et associée au Nederlands Dans Theater depuis 2008 et le metteur en scène britannique né en 1957 les ont créés au fil des quatre dernières années : 2022 pour Figures in Extinction [1.0] the list, 2024 pour Figures in Extinction [2.0] but then you come to the humans et 2025 pour Figures in Extinction [3.0] requiem. Collaboration sur plusieurs années, cette trilogie marque un renouveau chez chacun des artistes : tandis que Simon McBurney réalise là sa première mise en scène spécifiquement destinée à la danse, Crystal Pite prolonge avec un autre artiste le principe de co-création – la chorégraphe ayant depuis 2015 régulièrement collaboré avec Jonathon Young. Portée avec une virtuosité rare par les vingt-trois interprètes du Nederland Dans Theater, cette trilogie nous parle de l’extinction de masse que nous connaissons actuellement. Elle déplie dans une danse narrative puissante et selon des axes différents une réflexion où les images se révèlent parfois plus puissantes que le propos textuel les accompagnant.
Dans le premier, un dialogue en voix off ouvre le spectacle avec des textes issus de Pourquoi regarder les animaux ? de l’écrivain John Berger. Évoquant une liste de ce qui est en train de s’éteindre, de ce qui s’est éteint, le spectacle pioche au hasard de cette liste pour nous donner à voir des espèces animales isolées ou en troupeau, des éléments de flore ou d’autres éléments naturels – tels un lac ou un glacier. De l’orchidée-araignée au guépard asiatique et jusqu’au lac d’Aral, c’est une aussi fascinante que terrible liste – par son infinitude – qui est énumérée. Par le soin apporté à tous les artifices scéniques – créations lumières travaillant le clair-obscur, costumes épurés valorisant les mouvements, mouvements de rideaux ouvrant ou resserrant la focale sur les différentes espèces –, l’on accède au déploiement d’un univers propre à chacune des espèces. Face à ces images aussi maîtrisées et belles que traversées d’un tempérament crépusculaire, l’on balance entre sentiment de séduction et inquiétude sourde – et les questions finales en voix off d’un enfant (« Elles sont parties où ? Elles sont parties pour toujours ? ») renvoient à l’inéluctable de l’extinction en cours.
Dans la deuxième partie, le monde animal est loin. C’est un autre ballet auquel on assiste : celui de femmes et d’hommes dont les costumes – pantalons, vestes, chemises – les signalent comme des archétypes du capitalisme occidental. Soutenu par des extraits en voix off de The Divided Brain and the Making of the Western World du psychiatre et spécialiste des neurosciences Iain McGilchrist, ce deuxième opus va emporter, là encore, par l’intelligence chorégraphique et scénique. Les mouvements se succèdent, les interprètes mimant façon lypsinc chacun leur tour le texte d’Iain McGilchrist. Et, tandis que ce propos réfute le clivage hémisphérique du cerveau humain selon une division fonctionnelle – langage, affect, mémoire, raisonnement logique –, les mouvements et les danses jouent à loisir des effets de masse. Dans une forme proche d’un théâtre du geste, ou physical theatre comme qualifié dans le monde anglophone, les interprètes sont les bons petits soldats du monde occidental et destructeur en marche. Surjouant et accentuant leurs gestes lorsqu’ils ou elles parlent, iels sont soutenu·es par une chorégraphie travaillant des effets visuels forts par les unissons. C’est une mise en corps magistrale par son efficacité d’un désastre en cours, celui de notre civilisation dominée par le fonctionnement de l’hémisphère gauche du cerveau – centré sur des tâches, là où le cerveau droit est ouvert à l’interprétation, l’intuition, la nouveauté et porte son attention sur le contexte. Et si le montage du texte, en condensant rapidement certains éléments, peut parfois sembler un brin manichéen, la danse, avec son énergie sans fard, donne à cette critique de la domination de la rationalité toute sa force.
Seul Figures in Extinction [3.0] requiem, quoique là encore magistralement porté par des interprètes virtuoses, séduit un peu moins. En tant que prière et chant pour les morts, cet opus est traversé de tableaux liés à la disparition : agonie d’une femme dans une chambre d’hôpital et autour de laquelle se presse sa famille, séquence doloriste convoquant tout un référentiel d’images religieuses catholiques – sons de cloches, présence d’un tissu évoquant un linceul. Avec pour accompagnement des extraits de textes de John Berger, évoquant là encore la mort (« Les morts sont l’imagination des vivants », « Les morts entourent les vivants, les vivants sont le noyau des morts »), cette partie entend interpeller, on l’imagine, après un rappel des disparitions physiques (dans le [1.0]) et des causes de celle-ci (dans le [2.0]), sur la nécessité de ne pas oblitérer la métaphysique. Donnant lieu à des séquences volontairement plus hétéroclites, l’ensemble voit son propos devenir un peu plus nébuleux, sans qu’il semble néanmoins plus complexe. Reste néanmoins une interprétation d’une fluidité et d’une technicité impeccables, à l’image de toute cette trilogie dont on retiendra également la maîtrise esthétique et la richesse des atmosphères.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Figures in Extinction [1.0] the list
Création Crystal Pite, avec Simon McBurneyFigures in Extinction [2.0] but then you come to the humans
Création Simon McBurney, avec Crystal PiteFigures in Extinction [3.0] requiem
Création Simon McBurney, Crystal PiteAvec les 23 danseurs du NDT 1 : Alexander Andison, Demi Bawon, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Pamela Campos, Emmitt Cawley, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Paloma Lassère, Genevieve O’Keeffe, Kele Roberson, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu Zenon Zubyk, Isla Clarke, Scott Fowler, Barry Gans Ricardo Hartley III, Omani Ormskirk
Production Nederlands Dans Theater & Complicité
Commande de Factory International
Coproduction Festival Montpellier Danse 2025 ; Schrit_tmacher Festival ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise AG2R LA MONDIALE pour la vitalité artistique
Avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas en FranceDurée : 2h20
Vu en juin 2025 dans le cadre de Montpellier Danse
Deutsche Oper Berlin (Allemagne)
du 4 au 6 juilletEdinburgh International Festival (Royaume-Uni)
les 23 et 24 aoûtThéâtre de la Ville, Paris, dans le cadre de la saison de Chaillot Théâtre national de la danse
du 22 au 30 octobreSadler’s Wells Theatre, Londres (Royaume-Uni)
du 5 au 8 novembre
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