Gilles Granouillet zigzague entre réalité sociale, fantaisie et tableau du Caravage. Son texte, Les Pieds sur Terre, mis en scène par la Compagnie Hercub’, incite à suivre la jeunesse pour retrouver le chemin de la grâce. Mais ce patchwork théâtral laisse un peu éparpillé.
Quand il s’agit de qualifier son texte, Gilles Granouillet s’interroge : « Une farce socio-familiale ? Un polar mystique ? ». Il est vrai que son récit défie les catégories. L’histoire : un vigile dénonce une caissière de l’hypermarché qu’il surveille parce qu’elle a volé une bouteille de parfum. Pourtant, il la connaît depuis longtemps, c’était même la nounou de sa fille. Celle-ci d’ailleurs s’en indigne quand elle apprend la nouvelle. Et père et fille décident alors de monter une arnaque pour tenter de rattraper le coup. Arnaque qui, évidemment, va mal tourner.
Dans cette société où tout est enregistré par des systèmes de surveillance – le vol du parfum, le vigile qui interroge la caissière, l’arnaque sur le parking de l’hypermarché –, c’est une autre image, un tableau – La Vocation de saint Matthieu du Caravage –, qui sert de toile de fond et de ligne de fuite métaphorique à ce récit. On y voit Jésus pointer du doigt Matthieu, occupé à compter de l’argent avec d’autres hommes. Jésus, accompagné de Pierre, appelle en fait Matthieu à le rejoindre pour faire partie de ses disciples. « Moi ? », semble s’interroger ce dernier. Autour de lui, les autres continuent de compter l’argent, ou regardent passer ce qui aurait pu être la chance de leur vie.
D’ailleurs, les personnages imaginés par Granouillet passent d’aujourd’hui à il y a quatre ans, de leur bonheur actuel à la crise qu’ils ont traversée. Les Pieds sur Terre trace ainsi, dans le sillage de l’énergie, de l’insouciance et de l’intégrité de la jeunesse, la voie d’une conversion, à son échelle, qui peut changer une vie. Celle du papa qui, dénonçant d’abord sa collègue caissière, décide ensuite de lui sauver la mise ; mais aussi celle du directeur de l’hypermarché, pour des raisons qu’on ne peut pas divulgâcher. Guidée par une écriture disparate, la représentation fait donc se succéder des scènes de jeu très quotidiennes, où les personnages s’adressent directement aux spectateurs pour expliquer les tenants et aboutissants de l’histoire qu’ils ont choisi de raconter, et l’histoire elle-même, qu’ils jouent entre le domicile du vigile et de sa fille, l’hypermarché, un parc et le commissariat, où une policière interroge cette dernière. Intervient également un Matthieu, créature mi-Aladin mi-Jiminy Cricket, qui activera la décision du père pour le faire basculer du bon côté de la force.
Entre hyper vraisemblance du quotidien et fantaisie débridée qui s’achève dans une choré en mode cheerleaders de supporters de Saint-Étienne, Gilles Granouillet choisit donc le camp de la liberté de ton, le plaisir de passer d’un registre à l’autre, de traverser les frontières des genres pour conduire sa fable. La variété des couleurs qui en découle au plateau est assez plaisante, dans une scénographie simple et modulable et avec des ruptures de jeu bien menées. Et si le parti-pris social et politique est évident, son traitement se révèle assez original, approfondi par la métaphore caravagienne, pour échapper au déjà-vu. Même s’il s’emploie à sortir des sentiers battus, le spectacle donne toutefois l’impression d’emprunter aussi des chemins parallèles déjà bien explorés, qu’il ne parvient pas vraiment à renouveler. Et le morcellement du propos, s’il donne à voir l’expression d’une liberté créatrice, conduit en parallèle à ce qu’on peine à s’attacher, et même à croire, au destin des personnages. Une distance qui n’est pas problématique en soi, mais que rien ne vient vraiment remplacer.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Les Pieds sur Terre
Texte Gilles Granouillet
Mise en scène Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland
Avec Philippe Awat, Bruno Rochette, Sylvie Rolland, Erine Serrano
Scénographie Thierry Grand
Lumières Vincent Tudoce
Son et musique Pascale Salquin
Costumes Alexandra LangloisProduction Compagnie Hercub’
Soutiens Ville de Villejuif, L’Envolée – Pôle artistique du Val Briard des Chapelles Bourbon, SPEDIDAM, ADAMI, Théâtre Romain Rolland – Scène conventionnée d’intérêt national de Villejuif, Scène Watteau de Nogent-sur-Marne, Centre culturel Jean Vilar de Marly-le-Roi, SEL de Sèvres, l’Athénée – le petit théâtre de Rueil-Malmaison et la Maison Pour Tous Gérard Philipe de VillejuifLa Compagnie Hercub’ est soutenue par le Conseil Départemental du Val-de-Marne et par l’E.P.T. 12 Grand Orly Scène Bièvre du Grand Paris.
Durée : 1h10
Théâtre de Belleville, Paris
du 2 au 30 avril 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !