Inspirée de l’histoire vraie d’une femme qui vécut loin de toute vie humaine dans une forêt des Cévennes, la pièce de Lucie Brandsma se donne comme le récit initiatique d’une adolescente qui, en fuyant le monde, croise la route d’un collectif écoféministe.
Avec sa nouvelle création – qui a vu le jour en novembre dernier au Théâtre Antoine Vitez, à Ivry-sur-Seine –, le Collectif GWEN continue son travail autour de textes d’autrices modernes ou contemporaines. Dans Lisière, l’écriture comme la mise en scène sont assurées par Lucie Brandsma, l’une des co-directrices artistiques du collectif. Et, après Des filles sages, co-écrit avec Mélissa Irma – pièce lauréate de l’Aide nationale à la création de textes dramatiques d’Artcena –, l’artiste s’essaie ici à un conte écoféministe. Récit d’apprentissage, Lisière suit la trajectoire de Julie, 14 ans.
Dans la séquence introductive du spectacle, l’adolescente est seule en scène. La jeune femme est en fuite et, tandis que gronde le tonnerre, que des lumières zèbrent la scène, l’on comprend par son monologue qu’elle souhaite, grâce à cette fugue éperdue dans la forêt, échapper à une vie familiale toxique. C’est ainsi qu’elle débarque aux abords d’une petite communauté de femmes et de personnes non-binaires. Du noir du plateau l’on bascule alors dans un lieu joliment agencé, les différentes zones de la scène ménageant les multiples espaces de vie qui constituent l’habitat du collectif : à jardin, de la terre et quelques outils signifient le potager ; à cour, une cabane décorée avec des plantes offre un coin pour se reposer ; au centre, trônent la cuisine et la table où les réunions, les discussions et autres repas de fête se tiennent. C’est dans cette scénographie aux lumières douces et aux espaces habilement organisés, où fleurs et plantes se mêlent aux lampes de guinguettes, que l’on va suivre la rencontre de Julie avec le collectif.
En son sein, il y a Otseme, Senda, Belagile et Déborah. Ces personnages un brin trop dessinés, au risque parfois de la caricature avec leur côté galerie de portraits, vont accueillir Julie – qu’elles renomment Luceta. Avec infiniment de bienveillance et de patience, les membres de la troupe accompagnent – chacune selon son tempérament – l’adolescente si taiseuse. La jeune femme, qui a atterri dans ce lieu le plus reculé parmi les habitations alentour, refuse de retourner d’où elle vient. Le spectacle nous la montre en train de prendre progressivement ses marques au sein de la petite communauté, mais aussi dans la forêt qui la borde. Car ces habitats – le collectif préférant ce terme à celui de « maison » – se situent à la lisière entre un monde – notre société – que toutes fuient pour des raisons diverses, et une forêt plus profonde, qui n’est pas exempte de danger. Y rôde en effet une « enforestée », dont le choix de vie fascine Julie. Cette femme ayant coupé tout lien avec la société humaine depuis plusieurs années – et dont on apprendra qu’il s’agit de la sœur d’Otseme – suscite au sein même du collectif des sentiments multiples : peur, empathie, inquiétude.
La lisière, cet espace de marge et de bordure autant que de frontière, est donc ici au centre. Et c’est le temps que passera Julie dans cette zone limite qui va lui permettre de décider de tracer sa propre voie, du côté de l’enforestée. À ces deux périodes, celle dans la communauté et celle dans la forêt, qui structurent la pièce, répondent deux atmosphères et scénographies différentes. La première, sans être réaliste, signifie le quotidien de ces femmes, le donne à voir dans tout ce qu’il a de plus trivial – voire de plus cliché quant à la vision du fonctionnement d’un collectif (avec l’incontournable météo des émotions). Là où cette première partie peine à convaincre, le portrait de la communauté avec ses rituels, ses personnages très explicites et sans réelle profondeur frôlant la caricature par son approche de surface de l’écoféminisme, la seconde se révèle plus intéressante formellement.
Le lieu de vie cède la place à un chemin de terre et à une forêt – projetée en vidéo, notamment sur des voiles blancs. L’échappée de Julie, avec le collectif et les gendarmes à sa suite, donne lieu à une séquence onirique, où la forêt prend le pas sur les corps et les présences. Si les projections vidéo d’arbres et de forêts stylisés ne se révèlent pas indispensables, cette bascule offre néanmoins une vision moins prosaïque et littérale, plus trouble et ambiguë. La quête de Julie acquiert alors un autre relief et son aspiration à une autre vie – dont les motivations profondes demeureront volontairement secrètes – signale, sans juger, la possibilité pour chacun·e de choisir son parcours, sa vie, aussi radicale soit-elle. Et que, pour cela, les lieux refuges, à la lisière, sont essentiels.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Lisière
Texte et mise en scène Lucie Brandsma
Avec Thomas Harel, Mélissa Irma, Maïa Le Fourn, Théodora Marcadé, Nabila Mekkid
Collaboration artistique Thomas Harel, Mélissa Irma
Création lumière Mathilda Bouttau
Création musique et son Nabila Mekkid, Estelle Lembert, Louise Blancardi
Création vidéo Thomas Harel
Création costumes Paloma Donnini
Scénographie Collectif GWEN, Pierric Verger
Graphisme Peter BrandsmaProduction Collectif GWEN
Coproduction Théâtre Antoine Vitez – Ivry-sur-Seine ; Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine ; ECAM – Kremlin Bicêtre ; Théâtre André Malraux – Chevilly-Larue ; Centre culturel Jean Houdremont – La Courneuve ; L’Entre deux – Lésigny ; Théâtre Dunois – Paris ; Étoile du Nord – Paris
Avec le soutien en résidence du Théâtre de Choisy-le-Roi, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique, de La Grange Dimière – Fresnes et du Studio-Théâtre de Stains
Avec l’aide de la DRAC Île-de-France, de la Région Île-de-France, du Département du Val-de-Marne, de la Spedidam et de l’AdamiLe texte est lauréat du dispositif La Vie devant Soi.
Durée : 1h30
À partir de 12 ansThéâtre Dunois, Paris
du 24 au 29 mars 2025L’Étoile du Nord, Paris
du 13 au 16 mai
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