Supprimer toutes les subventions fléchées culture, ce serait la décision du Département de l’Hérault et de son président… socialiste, Kléber Mesquida. Histoire et implications concrètes d’un coup de tonnerre complètement disruptif, comme on aime à dire, sur le plan symbolique et politique, auquel le responsable apporte maintenant un démenti.
La nouvelle est tombée le mardi 28 janvier au soir, de la part de nos confrères de Libération : le Département de l’Hérault prévoit de supprimer toutes ses subventions à la culture pour l’année 2025. Le budget doit être voté en mars. La somme effacée est évaluée entre 5 et 6 millions d’euros, sur un déficit d’environ 100 millions, pour un budget total avoisinant les 2 milliards. La radicalité du choix – suppression pure et simple des subventions au domaine culturel – et le positionnement politique – Parti socialiste (PS) – du président du conseil départemental, Kléber Mesquida, rajoutent à la stupéfaction.
Les faits, tout d’abord. Depuis deux mois maintenant, Kléber Mesquida laisse voir et entendre dans les médias régionaux que le Département de l’Hérault est en proie à de grosses difficultés financières. Un endettement qui explose à plus de 100 millions d’euros, nouvelles charges transférées par l’État et baisse des droits de mutation en cause, comme partout ailleurs. Chacun bricole comme il peut. La Région Pays de la Loire a, il y a peu, défrayé la chronique avec une réduction annoncée de 70 % des budgets culture. Cette fois, c’est 100 % qui se profilent. Qui dit mieux ? Aucune annonce officielle n’a été faite pour l’instant, mais une réunion avec les vice-présidents aurait acté cette décision, et, mardi 28 janvier, le conseil départemental a confirmé la nouvelle par mail à Libération.
Sandrine Mini, directrice du Théâtre Molière, Scène nationale de Sète, sentait le coup venir. Mais elle n’a été prévenue que parce que le directeur Culture du Département, Thierry Négrou, a annulé au dernier moment sa venue à une réunion pour discuter de l’avenir du théâtre. Dans son mail, il parle au conditionnel d’une année blanche pour 2025. Il faut dire que la décision ne sera définitive qu’en mars, ce qui amène Nicolas Dubourg, ex-président du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) et directeur du Théâtre de la Vignette à Montpellier, à espérer encore que la situation puisse changer. « On est dans une caricature de démocratie. Comme au niveau national avec Emmanuel Macron, on se retrouve avec des exécutifs tout puissants qui décident au lieu de proposer un projet. L’Assemblée nationale a repris le pouvoir. Le conseil départemental peut agir là-dessus. Je suis curieux de voir comment les conseillers généraux vont se prononcer sur cette décision, tout comme les instances nationales. »
Effet boomerang
Baron local de 80 ans, Kléber Mesquida avait, avec Carole Delga, proposé des candidatures alternatives à celles du NFP lors des dernières législatives. Il a été élu en 2015 à la tête du département, qui compte quelques institutions du théâtre public : le CDN des 13 vents, la Scène nationale de Sète, la Scène de Bayssan, la Cité Européenne du théâtre (ex-Domaine d’O) et le festival du Printemps des comédiens. Ce dernier sera très peu impacté par cette décision ; le CDN modestement également. Nathalie Garraud, sa directrice, explique : « Depuis dix ans, on assistait à une érosion progressive de l’investissement du Département si bien qu’on est impacté à hauteur de 25 000 euros seulement, si l’on peut dire. Mais, symboliquement, ce désengagement est très fort. Nos institutions reposent sur des financements croisés et dire que le Département renonce pour se consacrer exclusivement à ses compétences obligatoires, c’est renoncer à cette philosophie du théâtre public ».
D’autant, rappelle Nicolas Dubourg, qui a dirigé la candidature malheureuse de Montpellier pour devenir capitale européenne de la Culture 2028 – qu’avait soutenue Mesquida avec des mots qui résonnent de manière ironique aujourd’hui –, que « le département n’a pas d’industrie et a construit son attractivité sur la plage et le soleil, certes, mais aussi grâce à la culture ». Pour Sandrine Mini, la perte sera immédiate et concrète : « Ce sont 81 000 euros qu’on perd, qui s’ajoutent aux 5 % de baisse de la subvention régionale, et au gel des subsides de l’État. Au total, ce seront 100 000 euros en moins sur 2025 ». Comment cela va-t-il va se concrétiser? Le chapiteau que la Scène nationale de Sète installait chaque année à Frontignan ne le sera pas cette année ; les services de communication vont faire des économies ; la programmation va se recentrer sur le rentable, la grande salle, aux dépens des actions locales, et donc des intermittents du territoire. Celle qui est également déléguée régionale Occitanie du Syndeac précisant : « Avec les réductions d’activité qui tombent de partout, un intermittent sur trois est en danger [pour renouveler son statut, NDLR] pour 2025, un sur deux pour 2026. Ils risquent de passer au RSA dont le Département a la charge. Ça va avoir un effet boomerang, c’est sûr, pour la collectivité ».
Sans compter les traditionnels effets sur l’économie locale (hôtels, restaurants…). « Quand on nous dit de ne pas déserter les territoires ruraux, c’est exactement ce que produit ce genre de décision ». Celle qui se dit être une dirigeante de la « génération pénurie », commencée avec la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) sarkozyste, s’avoue maintenant à court d’idées. « On a tout fait : louer les salles, développer le mécénat, chercher des financements européens, baisser le nombre de salariés… Moi, maintenant, je n’ai plus d’idées. » Un abattement, qui, on l’a compris, est autant financier que lié à l’absence de perspectives offertes par les politiques. Et Nicolas Dubourg de reprendre : « On attend plus de hauteur de vue qu’un simple alignement sur les restrictions budgétaires via une concentration sur les compétences obligatoires. Si maintenant les collectivités de gauche font pire que celles de droite… » Une désorientation idéologique majeure, une de plus, dans toutes celles que traverse notre époque.
Ajout du 30 janvier : Via un communiqué de presse paru le 30 janvier au matin, signé de Kléber Mesquida, celui-ci dément la perspective des 100% de réduction. Acte d’une réduction de 48% du budget culture et précise notamment que seront attribuées les subventions du domaine d’O, hors festival, pour 3,1millions d’euros et de l’EPA Hérault Culture (gestionnaire de la Scène de Bayssan) pour 2 millions d’euros. Nous avons demandé au service de presse du département de nous transmettre le montant exact des réductions prévues ainsi que le budget culture de l’exercice 2024, sans réponse pour l’instant de leur part.
Nous avons modifié le chapô de l’article suite à ce communiqué.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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