Agnès Jaoui inverse les genres dans un opéra matriarcal
Un monde où la femme domine, où l’homme reprend des chaussettes et craint d’être délaissé si sa coiffure ne plaît plus : l’actrice-réalisatrice Agnès Jaoui recrée à l’Opéra de Dijon L’Uomo Femina de Baldassare Galuppi, un opéra oublié du XVIIIe siècle qui bouscule la notion de sexe « faible ».
Sur une île exotique, la princesse Crétidea règne en maîtresse absolue sur des hommes soumis, défendue par des soldats aux armures moulantes. Son favori, Gelsomino, panique devant son miroir à la vue d’une épi qui, horreur !, apparaît dans sa coiffure. « Et ma poudre est mal répartie sur mon visage », hurle-t-il, prisonnier d’un décor de harem inversé. « Ça résonne aujourd’hui de façon complètement incroyable », résume Agnès Jaoui qui signe sa deuxième mise en scène d’opéra avec L’Uomo Femina (L’Homme femme) de Baldassare Galuppi, après Tosca en 2019.
Cette nouvelle production de l’Opéra de Dijon (du 7 au 9 novembre) avec le Théâtre de Caen (15 et 16 novembre) et l’Opéra royal du Château de Versailles (13 au 15 décembre) est une fable baroque créée à Venise en 1762, qui s’était perdue avant d’être retrouvée en 2006. Dans ce XVIIIe siècle vénitien « assez rock’n’roll », selon Agnès Jaoui, l’œuvre est un bijou satirique dépeignant une gynocratie absolue où les hommes sont le sexe « faible ». À eux, les travaux de couture ; à eux, l’angoisse d’être abandonnés ; à eux d’être collectionnés en trophées. « Tout de suite, le thème m’a plu », confie Agnès Jaoui qui a déjà dit être adepte d’un « féminisme ouvert aux hommes ».
Star du cinéma et du théâtre, l’actrice, scénariste et réalisatrice plusieurs fois césarisée, est également passionnée d’art lyrique. « Quand j’étais petite, mon père adorait l’opéra. Un jour, j’ai beuglé sur un air de la Callas et on a jugé que ça valait la peine de m’inscrire au conservatoire », raconte-t-elle, se souvenant avoir même « envisagé une carrière dans l’opéra ». « Mais je me sentais illettrée. Je n’avais même pas fait de solfège ». Théâtre et cinéma resteront donc ses formes d’art, mais « sans jamais cesser de chanter ». Soprano à la voix reconnue par une Victoire de la musique en 2007, elle vient de sortir son quatrième album studio (Attendre que le soleil revienne, chez Baboo Music) et se produit régulièrement avec l’ensemble Canto Allegre, versé notamment dans le chant baroque.
« Un jeu de pouvoir »
Mais, avec L’Uomo Femina, une œuvre largement inconnue, Agnès Jaoui s’attaque à plus ardu que le très réputé Tosca, son premier opéra, ou Don Giovanni, qu’elle montera à Toulouse la saison prochaine. « Avec Tosca et Don Juan, le principal c’est la musique. C’est gagné quoi qu’il arrive. Dans L’Uomo Femina, le public ne connaît pas, donc il n’y a plus d’aide, dit -elle. Mais j’aime beaucoup faire découvrir et ouvrir les horizons des gens, créer de la réflexion et du trouble. »
Objectif atteint avec cette mise en scène. « C’est une satire de notre société où on en prend plein la figure », juge le directeur musical Vincent Dumestre. Fondateur du Poème harmonique, ensemble normand reconnu pour ressusciter des trésors oubliés du baroque, il est à l’origine du projet de recréer L’Homme femme, pour l’intérêt de sa musique, mais aussi du livret « féministe » avant que le mot n’existe. Son auteur, le librettiste Pietro Chiari, avait dit croire qu’une époque viendrait où « les femmes seraient les égales des hommes ».
Dans L’Uomo Femina, la femme domine, certes, mais son monde n’est pas moins violent qu’un univers macho. « Je ne crois pas qu’un monde féminin soit plus doux : c’est un jeu de pouvoir en fait, la peur de devenir un esclave […] que ce soit homme ou femme », estime Agnès Jaoui. D’ailleurs, dans une sorte de retour de balancier, la reine féministe absolutiste tombe folle amoureuse de Roberto, un naufragé macho échoué sur l’île féminine, mais qui refuse d’accepter que le sexe « faible » soit le plus fort. Qui triomphera ? Le machisme ou le féminisme ?
Loic Vennin © Agence France-Presse
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