Ils sont sept, de cinq nationalités différentes, et créent de façon collective et unie sous le regard précis de Thylda Barès. Avec n degrés de liberté, la jeune équipe dynamique du In Itinere Collectif s’empare de la Commune de Paris pour la faire résonner par différents biais. Leur approche gestuelle est remarquable et fait la singularité de leur travail. Une vraie belle découverte.
Il y a deux ans, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, nous découvrions Pourquoi les vieux qui n’ont rien à faire traversent-ils au feu rouge ?, intrigués par ce titre énigmatique à rallonge autant que par les figures pittoresques qui tractaient dans les rues de la Cité des Papes, masques ridés sur la tête cachant les visages juvéniles des membres du In Itinere Collectif. Le spectacle se passait dans une maison de retraite et suivait le quotidien de ses pensionnaires avec un mélange d’humour et de délicatesse, une attention aux zones sensibles de la vie, à cet âge, dit le troisième, relégué dans les marges. Au-delà de cette immersion dans un quotidien répétitif voué à une conclusion certaine, la pièce reflétait l’infantilisation d’une tranche entière de la population, pourtant riche d’un vécu large et encore pleinement dans la vie, bien que physiquement diminuée. Délesté de toute mode formelle et d’une certaine tendance esthétique contemporaine, ce spectacle étonnant remettait au goût du jour un genre hérité de l’Italie, la commedia dell’arte, et s’en servait à bon escient pour camper des figures attachantes et réalistes, des situations cocasses et bouleversantes, venant réveiller des enjeux plus profonds sur la place de la vieillesse dans notre société.
Avec n degrés de liberté, au titre tout aussi mystérieux que le précédent, Thylda Barès, à nouveau à la mise en scène, réitère un coup de maître avec un spectacle choral où prime le geste autant que la parole. Elle creuse plus avant la notion de communauté en s’attelant à un évènement majeur de l’Histoire de la démocratie : la Commune de Paris. Ce faisant, elle échappe à toutes les attentes en lien avec son sujet pour, une fois encore, proposer un regard neuf et un souffle frais. N’y allons pas par quatre chemins : son spectacle déploie une audace et une liberté qui forcent le respect, une maîtrise du plateau et une direction d’acteur.ices époustouflantes. n degrés de liberté n’appartient à aucun genre, n’est en aucun cas une reconstitution historique en bonne et due forme ni une remise en perspective depuis notre époque, et, si des repères chronologiques nous guident tout du long, rien n’est scolaire ni facile dans le traitement des scènes et situations.
Le dispositif en lui-même est un défi qui induit un rapport extrêmement contraint à l’espace du plateau : sept interprètes habitent une plateforme amovible de deux mètres de large sur un mètre de profondeur et nous plongent dans cette période électrique et galvanisante, tandis que, en parallèle, une tempête climatique s’annonce, dédoublant le chaos social d’une menace météorologique. En ce sens, Thylda Barès renoue avec le théâtre de plein air et de tréteaux, genre populaire par excellence qui sied aux enjeux révolutionnaires de la Commune, et affirme sa marque avec un travail gestuel remarquable. Victor Barrère, Andrea Boeryd, Paul Colom, Manon Dumonceaux, Nathan Chouchana, Harry Kearton et Mahtab Mokhber n’interprètent pas uniquement les protagonistes de l’évènement, ils sont les rouages intimement liés d’une scénographie vivante qu’ils fabriquent et démantèlent au rythme de leur chorégraphie réglée comme une horloge suisse. Leur implication physique est optimale, elle fait le sel de cet enchaînement de scènes qui nous entraînent d’une boulangerie à la place de l’Hôtel de Ville, des barricades au siège d’un journal, d’une sortie d’usine au toit du Panthéon, tandis qu’une bande-son aux petits oignons achève de créer cette cartographie urbaine dynamique et changeante. Ce sont des instantanés de vie autant que des épisodes clés constitutifs de ces 72 jours qui s’enchaînent sur un tempo haletant.
Magnifique d’homogénéité et de solidarité, la troupe fait littéralement corps pour nous transporter au cœur des évènements, dans l’œil du cyclone de l’Histoire. Entre ralentis, arrêts sur image et création de tableaux vivants, entre musiques empruntant au répertoire de l’époque et chansons appartenant à notre paysage musical actuel, entre silences suspendus et tirades bouleversantes, n degrés de liberté fait de l’Histoire même un grand corps organique et mouvant, sans début ni fin, qui propage ses conséquences et répercussions jusqu’à aujourd’hui. Le spectacle ne s’en tient jamais purement aux faits, il ne s’enferme pas dans les limites d’une insurrection réprimée dans le sang, mais rebondit sur nos luttes actuelles, et met en parallèle cette fièvre utopique avec un bulletin météo qui vient ponctuer d’un ton comique délibéré l’accélération des évènements. C’est drôle et grave à la fois, surprenant et trépidant, un concentré d’humanité qui résiste et tente d’inventer du vivre-ensemble coûte que coûte et vaille que vaille. Un spectacle de salut public qui ne se voile pas la face, mais carbure à l’envie d’en découdre, et transforme l’imprévisible, au cœur même de la tourmente, en possibilité d’y croire. En ces temps plus qu’incertains, nous en avons grandement besoin !
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
n degrés de liberté
Texte In Itinere Collectif
Mise en scène Thylda Barès
Avec Victor Barrère, Andrea Boeryd, Paul Colom, Manon Dumonceaux, Nathan Chouchana, Harry Kearton, Mahtab Mokhber
Dramaturgie Ezra Baudou
Accompagnement scientifique Aglaé Jézéquel (ENS Paris), Davide Faranda (CNRS Saclay)
Création son Lucas Pizzini
Création lumière et régie générale Clémentine Pradier, Sébastien Roman
Soutien musical Lucie Sansen – Hall de la chanson
Scénographie Popito, Aurélien IzardProduction In Itinere Collectif
Coproduction CNAREP – L’Atelier 231 – Sotteville-Lès-Rouen ; CNAREP – Le Fourneau – Brest ; ACB Scène nationale de Bar-Le-Duc ; Théâtre Le Passage – Scène conventionnée d’intérêt national de Fécamp ; L’Étincelle – Théâtre(s) de la Ville de Rouen ; ECAM – Kremlin Bicêtre ; Théâtre Victor Hugo – Bagneux ; Le Rayon Vert – Saint Valéry-en-Caux ; La Scène de recherche – ENS Paris-Saclay ; Théâtre de la Renaissance – Mondeville ; Théâtre Charles Dullin – Grand Quevilly ; Théâtre des Sources – Fontenay-aux-Roses ; Juliobona – Lillebonne ; Les Plateaux du groupe geste(s) ; FAAR – Fonds d’aide pour des arts vivants responsable
Soutien Le Moulin de l’Hydre – Saint-Pierre-d’Entremont ; Dispositif Pépinière d’Artistes, Théâtre le Rive Gauche – Scène Conventionnée d’Intérêt National art et création de Saint Etienne du Rouvray ; Le Hall de la Chanson – Paris Villette ; Le Silo – Grand Paris Sud ; Le CCOUAC (Centre de Création Ouvert aux Arts en Campagne) – Montiers-sur-Saulx ; Le vent se lève – Paris ; Théâtre de l’Unité – AudincourtCe spectacle à reçu l’aide à la création du Département de la Seine-Maritime, de la Région Normandie, de la DRAC Normandie et l’Aide Nationale à la Création pour les Arts de la Rue.
Durée : 1h20
Théâtre de Belleville, Paris
du 4 au 26 novembre 2024Scène de Recherche ENS Paris Saclay, Gif-sur-Yvette
le 30 novembreFestival Région en scène (lieu et horaire à définir)
le 12 mars 2025Théâtre Victor Hugo, Bagneux
le 1er avrilCommunauté de Communes Vallées de l’Orne et de l’Odon, Fontaine-Étoupefour
le 5 avrilECAM, Le Kremlin-Bicêtre
le 11 avrilThéâtre Le Piaf, Bernay
le 25 avrilThéâtre Le Rayon Vert, Saint-Valery-en Caux
le 29 avrilThéâtre intercommunal, Étampes
le 2 maiThéâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses
le 3 maiThéâtre de la Renaissance, Mondeville, dans le cadre du festival Plateaux Éphémères
les 24 et 25 maiThéâtres de la Ville de Rouen, en partenariat avec L’Étincelle, dans le cadre du festival Curieux Printemps
le 27 mai
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