L’artiste remet sur le métier ses outils technologiques et artisanaux de magicien pour composer un nouveau poème visuel. Dans son récit-cadre de type initiatique, sa dernière création emprunte hélas trop de voies diverses pour se forger une personnalité propre.
Avec Le Soir des Monstres (2009), où il incarne un personnage étrange, un solitaire peuplant son ennui avec des objets dont l’heure de gloire est depuis longtemps passée, mais qui connaissent entre ses mains une vie nouvelle, Étienne Saglio s’impose dans une discipline restée longtemps à l’écart des grandes transformations que connaissent les arts du cirque depuis les années 1970 : la magie. Plus exactement, la « magie nouvelle ». Car si, lorsque l’artiste formé au cirque crée ce spectacle, cette façon d’appréhender l’art de l’illusionnisme n’a pas encore son manifeste – Pour une magie nouvelle (2011) –, elle est déjà en plein développement, et il est très bien placé pour le savoir : son collaborateur Raphaël Navarro en est l’un des théoriciens.
Cofondateur de la compagnie 14 : 20, aujourd’hui encore référence majeure en magie nouvelle sur les scènes théâtrales, lui et l’anthropologue Valentine Losseau, qui devient bientôt, elle aussi, une complice d’Étienne Saglio – ce qu’il leur rend bien à plusieurs reprises sur leurs créations –, contribuent à faire de l’artiste un tenant de ce qu’ils présentent alors comme un mouvement dérivé du nouveau cirque. Avec les pièces suivantes de sa compagnie Monstre(s) – Le Silence du monde (2011), Les Limbes (2014), Le Bruit des loups (2019) ou encore Goupil & Kosmao (2021) –, Étienne Saglio y confirme sa place grâce à un univers très visuel, un réalisme magique peuplé de créatures au statut souvent incertain. Faute de vraiment renouveler ou d’enrichir le langage qui lui a donné sa place dans le cercle assez réduit de la magie nouvelle, sa dernière pièce Vers les métamorphoses peut laisser entrevoir, ou du moins interroger, les limites du mouvement.
C’est cette fois en alternance avec Vasil Tasevski, en compagnie de Clément Dazin ou d’Antoine Guillaume et de Messi qu’Étienne Saglio incarne le protagoniste central de son spectacle. En plus de nous renseigner sur l’évolution de la compagnie Monstre(s), dont plusieurs des créations citées plus tôt tournent encore à ce jour et mobilisent donc le fondateur et une partie de son équipe, cette double distribution nous donne d’emblée quelques indices sur la nature de la proposition. Dès la scène – ou cène – d’ouverture, l’artiste tente de nous plonger dans une fable sans paroles, dont le héros est encore plus proche du type, de la figure, que les protagonistes de ses précédents spectacles. S’il fait preuve d’une forme d’originalité dans ce premier tableau, et très souvent dans ceux qui suivent, ce n’est pas par un trait de caractère quelconque, mais par le masque enfantin et coloré qu’il arbore au milieu d’une tablée composée de femmes et d’hommes, tous vêtus d’un simple t-shirt noir comme en portent souvent marionnettistes et techniciens. Le héros masqué, qui ne tarde pas à se disloquer sous nos yeux grâce à l’une des très nombreuses techniques magiques convoquées dans la pièce, apparaît – et disparaît – ainsi comme la créature de tous ceux et celles qui d’habitude travaillent dans l’ombre des productions de Monstre(s). Après une dizaine d’années de secrets bien gardés, la compagnie serait-elle prête à dévoiler à ses spectateurs quelques-uns de ses « trucs » ?
Ce n’est là que l’une des voies non abouties de Vers les métamorphoses. En plus d’une atmosphère très reconnaissable, faite d’une obscurité mère d’apparitions multiples, on retrouve dans cet opus tant de motifs et techniques employés plus tôt par Étienne Saglio que l’impression de « déjà vu » pèse sur le mystère qu’il cherche à faire advenir. Comme le récit-cadre du Bruit des loups par exemple, la trame du spectacle est de nature initiatique. La succession de tableaux plus ou moins réussis qui composent Vers les métamorphoses nous montre l’homme masqué, puis démembré dans une errance faite de rencontres que l’on aurait pu espérer plus nombreuses et variées, et surtout davantage orientées sinon vers un but, du moins vers un sens ou une réflexion. Or, ni le géant filiforme à tête de robot ni le chien – lui aussi « recyclé » du Bruit des loups – que croise à plusieurs reprises l’homme à la face de carton ne font beaucoup d’autres choses que fournir à l’artiste le prétexte au déploiement de tous ses effets, de tous ses mirages. La trajectoire du garçon masqué peine ainsi à se dessiner. Contrairement au combat contre la mort de l’homme des Limbes, cette esquive d’aventure ne perturbe pas franchement l’esprit du spectateur, dont la magie nouvelle cherche pourtant à « questionner les perceptions et les certitudes, à travailler sur notre identité ».
Les transformations que subit le héros sur son parcours n’aident guère cette mise au travail du regard invité. L’interprète a beau faire l’Icare en voletant grâce à des ailes en papier, ou laisser place à une petite marionnette qui arbore le même masque que lui, l’artificialité de l’ensemble est si évidente que rien ne vient nous faire trembler. La définition de la magie nouvelle a beau être large, il semble qu’à force de s’y identifier d’une façon précise, Étienne Saglio commence à s’y enfermer. L’artiste a beau rendre possible au plateau des choses qui ne le sont pas dans le réel, comme voler, disparaître, rapetisser, cela n’a plus la force qu’ont pu à ses débuts revêtir pareilles prouesses d’illusionnisme. Car, s’il s’agissait à l’époque d’affirmer une pratique exigeante et singulière contre une magie dite de « divertissement », cette scène contemporaine existe désormais et n’est donc plus à revendiquer. Ce que dit malgré lui Vers les métamorphoses, c’est que, pour perdurer, la « magie nouvelle » doit continuer de surprendre et donc de s’opposer à ce qui existe, y compris aux formes qu’elle a pu prendre à ses débuts.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Vers les métamorphoses
Création Étienne Saglio
Avec Étienne Saglio ou Vasil Tasevski, Clément Dazin ou Antoine Guillaume, Messi
Dramaturgie et regard extérieur Valentine Losseau, Raphaël Navarro
Scénographie Benjamin Gabrié
Création musicale Madeleine Cazenave, Thomas Watteau
Création lumière Alexandre Dujardin
Régie lumière Alexandre Dujardin ou Laurent Beucher
Régie son Thomas Watteau ou Christophe Chauvière
Conception machinerie Simon Maurice
Conception vidéo Camille Cotineau
Régie vidéo Camille Cotineau ou Camille Gateau
Régie générale et construction Yohann Nayet
Régie plateau Yohann Nayet ou Alexis Artero, Simon Maurice ou Benoit Desnos, Louise Bouchicot, Louise Digard
Création informatique Tom Magnier
Régie informatique Thibaut Champagne ou Nicolas Guichard
Réalisation des marionnettes, accessoires et costumes Louise Digard
Coachs animaliers Laura Martin et Pascal TréguyProduction Monstre(S)
Coproduction et résidences Théâtre de Cornouaille, Scène Nationale, Quimper ; Théâtre national de Nice, CDN ; Théâtre Sénart, Scène Nationale ; Théâtre du Rond-Point, Paris ; Scène nationale de l’Essonne ; Théâtre National de Bretagne, Rennes ; Tandem, Scène nationale, Arras-Douai ; Equinoxe, Scène Nationale, Châteauroux ; Maison de la Culture de Bourges, Scène nationale ; Le Grand T, Scène conventionnée, Nantes ; MC2, Scène Nationale, Grenoble ; La Rose des Vents, Scène Nationale, Villeneuve-d’Ascq ; Espace des Arts, Scène Nationale, Chalon-sur-Saône ; Le Manège, Scène Nationale, Maubeuge ; La Comédie de Clermont scène nationale ; Le Carré Magique, PNC, Lannion ; Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré ; AY-ROOP, Scène de territoire cirque, Rennes ; Le Carré, Scène Nationale, CACIN du Pays de Château-Gontier ; L’Hectare – Territoire vendômois, Centre de la Marionnette, Vendôme ; Les Scènes du Golfe, Vannes et Arradon ; Le Carreau, Scène Nationale de Forbach et de l’Est Mosellan ; Théâtre de Laval, Centre National de la Marionnette ; Le Quai, CDN AngersDurée : 1h
Théâtre-Sénart, Scène nationale, Lieusaint
du 6 au 9 novembre 2024Le Quai, CDN Angers Pays de la Loire
du 20 au 22 novembreTandem, Scène nationale Arras-Douai
du 27 au 30 novembreMars – Mons arts de la scène (Belgique)
du 17 au 20 décembreScènes du Golfe, Théâtres Vannes Arradon
les 9 et 10 janvier 2025Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône
du 16 au 18 janvierLe Théâtre de Laval, Centre national de la marionnette
les 30 et 31 janvierLa Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
du 19 au 22 marsLe Phénix, Scène nationale de Valenciennes
du 1er au 3 avrilThéâtre de l’Agora, Scène nationale de l’Essonne, Évry-Courcouronnes
du 29 avril au 2 maiMaison de la Culture de Bourges, Scène nationale
les 15 et 16 maiMC2, Scène nationale, Grenoble
du 21 au 23 maiThéâtre National de Bretagne, Rennes
du 11 au 14 juin
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !