Dans le cadre du Festival du Théâtre national de Bretagne (TNB), le metteur en scène et la comédienne Florence Janas présentent plusieurs étapes de travail, ouvertes au public et très prometteuses, de leur prochaine création, prévue en novembre 2025.
À celles et ceux qui, un brin étourdis, pourraient penser qu’ils s’apprêtent à contempler un produit fini, comme les théâtres en présentent habituellement, Florence Janas rappelle d’emblée le cadre. Déjà présente sur la scène de la salle Paradis du Théâtre national de Bretagne (TNB), où les élèves de l’École ont leurs habitudes, la comédienne souhaite la bienvenue aux spectatrices et spectateurs venus assister à cette « étape de travail » de Paradoxe, où la sélection des scènes « n’est pas tout à fait terminée » et leur ordre « pas encore bien défini ». En somme, l’actrice accueille le public dans un espace où le théâtre s’élabore plus qu’il ne s’expose, dans une sorte d’atelier où il se cherche, se construit, s’affine, sans pour autant prendre la forme d’une répétition. Glissée par le TNB dans la riche programmation de son festival annuel, cette occasion d’observer l’art dramatique en mouvement est d’autant plus précieuse qu’elle est rare, tant pour l’équipe de création, dont l’embryon de spectacle peut profiter de premiers regards extérieurs, que pour les spectatrices et spectateurs, peu coutumiers de ce genre de dispositif.
Si, en fond de scène, Guillaume Vincent finit de recouvrir un panneau en contreplaqué avec une peinture d’un bleu intense et profond – comme pour souligner que le cadre scénique est, lui aussi, work in progress –, en s’en mettant, au passage, un peu sur le visage et plus largement sur les avant-bras, façon artisan, il n’est pas question, pour autant, de simplement essuyer les plâtres. Loin d’appartenir aux prémices, cette « étape de travail » contient déjà tous les germes d’un spectacle fort prometteur – dont la création est prévue en novembre 2025 –, à commencer par les fragments d’un texte qui, à l’image des personnages et des personnes qu’il convoque, a trouvé sa logique interne, celle du glissement.
Pour nous acclimater à cette fluidité littéraire, et bientôt théâtrale, Florence Janas est déjà, dès l’entrée du public, alors que rien n’a encore véritablement commencé, en train de reproduire, d’abord dans sa (fausse) moustache – qui ressemble à s’y méprendre à celle de Guillaume Vincent –, puis beaucoup plus clairement, une conversation – qu’on devine téléphonique puisqu’elle est à une seule voix – avec ce qui pourrait être sa mère. Ensemble, les deux femmes paraissent convoquer des souvenirs, et peut-être les rejouer, comme les errements de la mémoire l’imposent parfois, et c’est toutes les fondations du texte de Guillaume Vincent qui, en réalité, se mettent en place. Bientôt, la comédienne se met, sans crier gare, à voguer de fragment de discussion en fragment de discussion, de scène de vie en scène de vie, et surtout de rôle en rôle, avec la complicité régulière, et inédite, de son metteur en scène présent au plateau. On comprend alors que l’aïeule avec qui elle s’entretient de façon régulière n’est pas sa mère, mais plutôt celle de Guillaume Vincent, que cette femme vit ses derniers moments dans un Ehpad, lesté par un monceau de critiques négatives sur Internet, et que le passé a chez elle, comme c’est souvent le cas en pareilles circonstances, damé le pion au présent, qui désormais lui échappe irrémédiablement.
Entre une session compliquée d’équeutage de haricots verts et un entretien tendu avec la directrice du lieu, cette femme voit ses souvenirs remonter à la surface, et notamment ces moments marquants, et théâtralement bouleversants, où, alors qu’elle était sage-femme, elle a vu un nouveau-né se noyer dans le sang de sa mère ou a dû aider une jeune femme de 13 ans, en plein déni de grossesse, à accoucher. Dans cette enfilade mouvante de fragments, où l’identité des personnages s’avère aussi fluctuante que composite, s’intercalent des passages de la vie de Guillaume Vincent, de son retour à Uzès, sa ville d’enfance, de sa quête amoureuse sur les applications de rencontre, qui débouche, au mieux, sur des plans d’un soir foireux, mais aussi des instants, beaucoup plus fugaces, de l’existence de Florence Janas, et de sa relation avec sa propre mère, qui viennent entrer en collision, et nourrir, le substrat initial.
Apparemment hétérogène, cet assemblage d’extraits vécus, et parfois matinés de fiction, comme c’est souvent le cas chez Guillaume Vincent, a pourtant une même source temporelle, cette année où le metteur en scène a perdu non pas sa mère, mais sa grand-mère, et tisse progressivement un fil directeur, celui, particulièrement poignant, de l’expérience du deuil. Loin de tout pathos, c’est bel et bien, et avant tout, une extrême douceur qui se dégage de cette « étape de travail », mais aussi une réelle émotion que Florence Janas porte avec tout le talent qu’on lui connait. Tandis que quelques bribes d’éléments scéniques sont déjà là, à commencer par la création sonore de Yoann Blanchard qui ancre ce voyage dans le réel, la comédienne passe, avec une aisance déconcertante, de personne en personnage, au long d’un effeuillage vestimentaire, où chaque tenue fait office de nouvelle peau. Au sortir, on voudrait alors simplement que tout cela continue, et s’amplifie. Rendez-vous est d’ores et déjà pris en novembre 2025.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Paradoxe
Texte et mise en scène Guillaume Vincent, avec la participation de Florence Janas
Avec Florence Janas, Guillaume Vincent
Dramaturgie Marion Stoufflet
Son Yoann Blanchard
Costumes Fanny Brouste
Régie générale Karl-Ludwig FranciscoProduction Cie MidiMinuit
Coproduction (en cours) Théâtre National de Bretagne, Centre dramatique national (Rennes) ; T2G, Théâtre de Gennevilliers, Centre dramatique national ; Théâtre Olympia CDNT
Avec le soutien du Théâtre Molière-Sète, scène nationale archipel de ThauLa Cie MidiMinuit est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture au titre de l’aide aux compagnies dramatiques conventionnées.
Durée : 45 minutes
Théâtre National de Bretagne, Rennes, dans le cadre du Festival TNB
du 13 au 23 novembre 2024
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