Dans son dernier documentaire, la réalisatrice filme l’aventure de Clémence Coullon et sa troupe du Cons’ autour d’Hamlet(te). Un travail qui donne à voir comment le temps transforme le théâtre, mais aussi les ressorts enfouis de la création. Un film léger, joyeux et empreint d’une très belle mélancolie.
Avec ses airs d’éternelle jeune fille, on ne voit pas vieillir Valérie Donzelli. Elle oui, qui colore ce documentaire sur les débuts tonitruants d’élèves du Conservatoire d’un voile mélancolique. Une teinte d’autant plus touchante qu’elle use de cette désarmante légèreté qui tient de seconde nature à la réalisatrice. Rue du Conservatoire, avec son titre tout à plat, suit donc ces quinze élèves du célèbre Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD) qui ont, lors de leur dernière année d’école, monté un spectacle, Hamlet(te), découvert au printemps dernier au TGP. Ce « documentaire » s’attarde plus particulièrement sur Clémence Coullon, sa metteuse en scène, ou plutôt s’articule autour des échanges entre Clémence et Valérie. Ce que l’une cherche dans l’autre, ce que l’autre voit dans l’une, ce que le jeu de miroirs entre les deux femmes – l’une qui entre dans la carrière, l’autre qui se sépare – peut nous dire. Reflets en série qui font aussi naître des faux-semblants.
Car, au début, on ne sait pas très bien où tout cela va nous mener. Entre docu standard sur les coulisses d’une création, galerie de portraits de ces jeunes gens qui montre combien le Conservatoire a pu évoluer et échanges entre deux créatrices que 25 ans séparent, Rue du Conservatoire joue au mille-feuille, avance, recule, paraît hésiter entre plusieurs chemins. Puis l’ensemble prend forme. Tout en multipliant l’air de rien les esquisses documentaires, le tout se resserre petit à petit en un film vibrant, célébrant en toute simplicité la création, ce palliatif d’une angoisse qui nous tient tous de si près, Hamlet compris, celle de mourir. Ainsi, dans Rue du Conservatoire, des jeunes gens meurent pour entrer dans leur vie professionnelle d’adulte ; Claire Lasne Darcueil quitte son poste de directrice de l’école pour un avenir incertain ; Valérie Donzelli se sépare quant à elle de son compagnon et quitte son appartement ; et, à la fin, naturellement, le spectacle connaît sa dernière. Tout passe, tout meurt, être ou ne pas être résonne dans ce film avec une nouvelle clarté.
Valérie Donzelli s’était pourtant fait refouler du Cons’, comme elle le raconte d’emblée, et s’est ensuite consacrée au cinéma, délaissant le théâtre. Rien ne la destinait à y revenir, mais elle a découvert Clémence Coullon et sa troupe à l’occasion d’un atelier qu’elle a dirigé dans la célèbre institution. Et la rencontre de ces deux femmes de raconter, aussi, celle du cinéma et du théâtre, les deux sœurs ennemies. Comment filmer le théâtre naissant ? Valérie Donzelli ne cherche pas à faire école ou révolution, mais mêle son style – à base d’images vintage, de musiques légères et d’affleurement de l’intime – à cette aventure que constitue la création du premier et dernier spectacle de toute une bande de jeunes gens qui paraissent bien s’aimer. Traitant ainsi du visible – les motivations individuelles, le processus de création, la dynamique de groupe, les projections dans l’avenir, les différences générationnelles… –, comme du caché – mais quelle est donc cette flamme, cette énergie qui pousse à créer ? –, Valérie Donzelli tisse une œuvre qui traverse les couches du réel avec une aisance déconcertante et l’air de ne pas y toucher. À la fin, on apprend que Hamlet(te) est repris au TGP et que la réalisatrice se lance dans la mise en scène. Dans le monde baroque, décidément, en dépit de la mort, rien ne se perd, tout se crée, parce que se transforme.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Rue du Conservatoire
Réalisation Valérie Donzelli
Avec les élèves du CNSAD-PSL – promotion 2022 : Clémence Coullon, Alexandre Auvergne, Hélène Gigou, Léna Tournier, Basile Sommermeyer, Andra Manoukov, Chloé Besson, Hermine Dos Santos, Shekina Mangatalle, Lomane De Dietrich, Ryad Ferrad, Mikaël-Don Giancarli, Ike Zacsongo Joseph, Tom Menanteau, Hugo Merck, Angéline Croissant, Marion Montel, Félix Depautex, Marc Simoni
Producteurs Alice Girard, Edouard Weil
Direction de la photographie Sébastien Buchmann
Première assistante réalisatrice Yael Vidan
Montage Clara Chapus
Son André Rigaut
Mixage Emmanuel Croset
Etalonnage Mathilde Delacroix
Direction de production Mélanie KarlinProduction Rectangle Productions
En coproduction avec Les Films de Françoise et le CNSAD-PSL
Avec le soutien de Canal +
Distribution France Diaphana DistributionDurée : 1h20
Sortie en salles le 18 septembre 2024
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