Les ex-Deschiens, Olivier Saladin, Olivier Broche et François Morel, dans une mise en scène de ce dernier, reprennent la fameuse pièce de Yasmina Reza. L’affrontement cruel de trois amis autour d’un tableau blanc y prend une couleur nouvelle, mais n’a pas vieilli.
Trente ans. Cela fait trente ans qu’Art, mis en scène par Patrice Kerbrat et interprété par Pierre Vaneck, Fabrice Luchini et Pierre Arditi, triomphait à la Comédie des Champs-Élysées. Trente ans également qu’Olivier Saladin, Olivier Broche et François Morel connaissaient un succès fracassant avec l’irruption sur le petit écran des Deschiens, du temps où Canal+ produisait de l’innovation, vingt ans avant Bolloré. Naissait alors une amitié entre les trois artistes de la bande à Deschamps-Makeïeff, qui les conduit aujourd’hui à se réunir sur scène pour interpréter le texte de Yasmina Reza. Depuis sa première mise en scène, Art, qui a depuis été traduit en 35 langues et joué un peu partout dans le monde, a, en France, été porté au plateau notamment par le tg STAN, dans une reprise aussi surprenante que géniale, et relancé par Patrice Kerbrat avec une nouvelle brochette d’acteurs de talent : Charles Berling, Alain Fromager et Jean-Pierre Darroussin.
Art prend donc des allures de classique, si l’on entend par là que l’œuvre résiste au passage du temps, ou, mieux encore, que, tel un bon vin, elle dégage de nouvelles saveurs avec l’âge et la maturation. La mise en scène de François Morel a, de ce point de vue, misé sur les vieilles carafes. Il a confié à Laurent Béal et Edouard Laug, comme à sa création, le soin de concevoir scénographie, costumes et lumières. Nous voilà donc de retour dans un salon d’intérieur avec son canapé. C’est là que Marc, Ivan et Serge vont s’écharper autour de ce tableau blanc que ce dernier a acheté pour la somme de 40 000 euros. Une œuvre d’art contemporain qui catalyse en réalité toute la complexité de leur relation d’amitié soumise aux différences qui, le temps passant, se creusent et les séparent toujours davantage, mais aussi à l’indéfectibilité de ce lien qui les oblige à continuer de s’aimer.
C’est donc parti pour cette scène de ménage amicale, où chaque mot pousse un peu plus loin les limites de ce que l’on peut dire, où les non-dits longtemps tus se formulent en vacheries qui paraissent impardonnables, où la cruauté s’aiguise dans des échanges au cours desquels chacun reprend les mots de l’autre pour mieux se venger et rendre encore plus corrosifs et drôles ce fiel et cette mauvaise foi qui, s’ils n’étaient une contrepartie de l’amitié, devraient sceller sa mort. Dans ce combat triangulaire où chacun, tour à tour, en prend pour son grade, François Morel interprète Marc, rigide incarnation du bon sens populaire face aux extravagances de l’art contemporain et du snobisme qui l’accompagne, Olivier Broche incarne Serge, un dermatologue qui se voudrait branché et masque mal son sentiment de supériorité d’homme cultivé, et Olivier Saladin campe Ivan, un vieux garçon en passe de se marier, toujours d’accord avec tout le monde et, du coup, jamais du côté de personne. Une distribution un brin vintage, qui décale quelque peu un texte plutôt écrit, semble-t-il, pour hommes ambitieux, ayant encore à prouver socialement, plus jeunes coqs que ceux qui, ici, relèvent le gant.
Les affrontements gagnent ainsi certainement en gravité, celle d’hommes qui approchent du moment où il faut faire le bilan de sa vie. Et le grand mérite de Yasmina Reza, certainement source parmi d’autres du succès de son texte, est qu’elle donne à chacun une parole de même valeur, à la fois pertinente et critiquable. Le franc-parler à courte vue de Marc, le snobisme sincère de Serge, la faiblesse sensible d’Ivan sont également ambivalents, et chaque spectateur pourra rire ou grincer de l’un ou de l’autre selon ses identifications. Le sépia d’une époque où les « bonnes femmes » sont couramment des « emmerdeuses » ou « hystériques » affleure par endroits dans cette pièce d’hommes écrite par une femme, mais le texte n’a pas pris de rides pour autant. Dans cette distribution de comédiens médiatiques qui s’effacent sobrement derrière leurs personnages, l’imbrication des thématiques – altérité, amitié, ambition sociale… – donne toujours à penser et la mécanique à la Sarraute de dialogues, où sont mis à nu les implicites du langage, à rire.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Art
Texte Yasmina Reza
Mise en scène François Morel
Avec Olivier Broche, François Morel, Olivier Saladin
Scénographie Edouard Laug
Lumière Laurent Béal, assisté de Emmanuelle Phelippeau-Viallard
Vidéo Guillaume Ledun
Assistant mise en scène Valentin Morel
Univers sonore Antoine Sahler
Costumes Edouard Laug, Valérie Lévy
Direction technique Denis Melchers
Construction du décor Ateliers de la Maison de la culture Bourges/Scène nationaleProduction Les Productions de l’Explorateur ; Maison de la culture Bourges/Scène nationale ; Théâtre de Caen ; Théâtre de Suresnes Jean Vilar ; Théâtre Madeleine Renaud, Taverny ; Espace Carpeaux, Courbevoie ; La Coopérative de Résidences pour les Écritures et les Auteurs, Mont-Saint-Michel, Normandie
Durée : 1h40
Vu à la création au Théâtre de Suresnes Jean Vilar en novembre 2024
Théâtre de Caen
du 14 au 18 maiEquilibre-Nuithonie, Fribourg (Suisse)
le 20 maiThéâtre de Carouge (Suisse)
du 21 mai au 8 juinCasino Barrière Toulouse
le 17 juinThéâtre Montparnasse, Paris
à partir du mercredi 27 août 2025
Mardi, mercredi , jeudi, vendredi & samedi à 19h
Matinées Samedi à 16h30
Relâches 7 octobre, 11 novembre et 9 décembre 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !