Nommée au début de l’année pour prendre la succession de la chorégraphe Stéphanie Aubin, armée de son expérience à la tête de La Loge et des Trois Baudets, la nouvelle directrice de l’institution parisienne entend bien (re)faire de ce lieu « une Maison ouverte, fédératrice et populaire ».
Comment avez-vous géré vos premières semaines à la tête de La Maison des métallos, alors occupée ?
Alice Vivier : Dès que j’ai appris l’occupation du lieu par près de 200 jeunes isolé·es au début du mois d’avril, je me suis rendue sur place, alors que je n’avais pas encore pris officiellement mon poste de directrice, pour voir l’équipe et lui exprimer ma solidarité. Cette situation m’a permis de créer, d’emblée, un lien humain avec l’ensemble des membres de la maison, au-delà de l’aspect purement professionnel. Même si ces jeunes n’étaient là ni pour nous embêter ni pour détériorer les espaces, l’occupation n’a pas été simple à gérer. Nous avons dû annuler tous les spectacles prévus en fin de saison et il était très compliqué pour les artistes en résidence de travailler. Nous avons agi avec les moyens du bord pour continuer, malgré tout, à avancer. Chaque semaine, nous pensions que l’occupation prendrait fin la suivante, ce qui nous a empêchés d’imaginer tout projet avec ces jeunes isolé·es. Finalement, elle a duré trois mois avec, à la clef, une solution d’hébergement trouvée dans plusieurs gymnases parisiens et une évacuation sans recours à la force au début du mois de juillet, ce qui était essentiel pour nous, comme pour la Mairie de Paris.
La logique de programmation de votre prédécesseure, Stéphanie Aubin, sous la forme de « CoOP » mensuelles, a, semble-t-il, déconcerté une large partie du public. Dans quel état trouvez-vous La Maison des métallos aujourd’hui ?
Il ne m’appartient pas de commenter les choix de programmation de l’équipe de direction précédente. Mon objectif est, avant toute chose, de faire revenir un maximum de spectatrices et de spectateurs dans ce lieu grâce à un projet assez différent, exigeant et populaire. La Maison des métallos doit redevenir visible et lisible auprès d’un public le plus large possible.
Vos expériences à La Loge et aux Trois Baudets pourront-elles vous aider ?
Évidemment ! J’ai créé mon premier lieu, La petite loge, à l’âge de 22 ans. C’était un tout petit espace de 17 m2 situé en face du Théâtre de La Bruyère où je programmais essentiellement des seuls en scène et des concerts acoustiques. Là-bas, je faisais tout, et j’ai tout appris, de la billetterie à la régie, en passant par la gestion d’un budget. Je suis convaincue que l’on gère mieux des équipes quand on a l’expérience de ce qu’elles font. Avec Lucas Bonnifait, nous avons ensuite créé La Loge, rue de Charonne, avec une petite troupe d’une dizaine de personnes. J’y ai notamment développé une connexion très forte aux artistes, avec qui nous partagions les risques à 50-50, et ma capacité à co-construire un projet avec eux. Cette expérience m’a appris à coordonner la direction économique et la direction artistique d’un lieu, et mon passage à la tête des Trois Baudets à parfaire mon lien avec les tutelles. Pour ne rien vous cacher, j’avais déjà candidaté à la direction de La Maison des métallos en 2018, en tandem avec Lucas Bonnifait, mais nous n’avions pas été retenus à l’époque. Entre-temps, Lucas a pris la tête du Théâtre 13 et je me retrouve ici aujourd’hui avec énormément de bonheur, bien consciente des enjeux à venir.
Quelles sont les grandes lignes de votre projet pour La Maison des métallos ?
Une Maison ouverte, fédératrice et populaire. Je souhaite, avant tout, que cette maison vive. Pour cela, j’entends bien faire revenir les publics grâce à un projet qui, au-delà des écritures contemporaines, mise, à la fois, sur le théâtre, les musiques actuelles et la danse. Cette pluridisciplinarité peut, je crois, être un levier pour attirer et fidéliser les spectatrices et les spectateurs, et rendre accessible La Maison.
Dans ma programmation, qui commencera à partir de janvier 2025, la salle noire sera réservée aux artistes dits « repérés » et la salle claire aux formes plus hybrides, aux expérimentations, aux conférences, aux expositions. Je souhaite en priorité m’adresser aux jeunes et aux femmes isolées, mais aussi redonner de la visibilité concrète à cette maison. Lorsque les gens passent devant le lieu, il faut qu’il soit identifiable et que la devanture vive. En plus de la signalétique et de la charte graphique qui vont être entièrement repensées, je vais donc transformer l’actuelle salle 1, située à proximité de l’entrée, en espace d’accueil des publics et en librairie, histoire que le théâtre soit visible depuis la rue, et le plus accessible et désacralisé possible.
Pourriez-vous livrer quelques noms d’artistes qui feront partie de votre prochaine saison ?
La programmation sera centrée sur les questions de parité, d’écoresponsabilité, d’inclusivité, mais également de joie car je pense qu’elle est fondamentale pour tous les publics, particulièrement non initiés. Les spectacles présentés seront donc les plus fédérateurs possibles et on pourra retrouver notamment Rébecca Chaillon avec La Gouineraie en janvier, Stéphanie Aflalo pour Live et Les Vanités, Nicole Genovese avec Bien sûr oui ok, Bintou Dembélé pour deux jours de Palabres, Sébastien Chassagne avec une création autour de La Foudre de Pierric Bailly, Aloïse Sauvage pour une lecture musicale, le collectif L’Avantage du Doute ou encore Yuval Rozman avec Ahouvi. Je souhaite aussi accueillir à nouveau les soirées « À définir dans un futur proche » qui, à La Loge, permettaient à cinq femmes de proposer une performance de leur choix.
En septembre, nous planifions aussi trois moments forts : le 12, une soirée organisée par la revue La Déferlante à l’occasion du lancement de son numéro de rentrée « Extrêmes droites : résister en féministes » où, après une table ronde intitulée « Féministes, queers, antiracistes : un front uni contre l’extrême droite ? », aura lieu un concert des Vulves Assassines ; le 14, « Labo#1 », un concert solidaire, co-construit avec le collectif d’artistes Maison Sûre, où joueront notamment Pomme, Yaël Naïm, November Ultra, Terrenoire ou encore Voyou, et dont l’intégralité des recettes sera reversée à SOS Méditerranée ; et notre présentation de saison, le 19, avec un mot d’introduction de Nora Hamzawi et un DJ Set de Barbara Butch en guise de conclusion festive.
Dans votre parcours, vous avez toujours eu à coeur d’encourager l’émergence. Aura-t-elle une place particulière dans votre projet ?
À partir de la saison 2025-2026, nous lancerons le dispositif « Nouveaux Métallos » qui permettra à six jeunes artistes pluridisciplinaires au tout début d’un travail de création d’être accompagnés pendant un an, à l’image de ce que peut faire aujourd’hui le Festival Fragments – auquel La Maison des métallos participera d’ailleurs prochainement. Au cours de cette année, ils pourront, par exemple, faire la première partie d’autres spectacles programmés dans la salle noire. À son issue, ils présenteront le fruit de leur travail aux Métallos ou dans l’un de nos théâtres partenaires. Qu’ils soient parisiens, franciliens ou régionaux, j’entends, par l’intermédiaire du réseau Puissance 4 ou en bilatéral, renforcer la coopération avec eux. En août prochain, nous inaugurerons également « L’Été des Métallos » qui, à la manière d’une colonie de vacances de trois semaines, donnera l’occasion à des enfants, notamment originaires de Seine-Saint-Denis – notre seconde tutelle –, de participer à l’élaboration d’un spectacle qui sera présenté à la rentrée.
Est-ce à dire que La Maison des métallos renouera avec le versant plus social de son activité qui fait pleinement partie de son histoire ?
Historiquement, La Maison des métallos est un lieu de vie et de lutte, et il ne faut jamais oublier que cette histoire est plus forte que tout. Nous sommes implantés dans un quartier au multiculturalisme riche et nous devons nous adresser à toutes et tous à la lumière de cette diversité. Grâce à l’expertise des trois personnes qui travaillent aux relations avec les publics, nous allons poursuivre notre action sur le territoire, notamment avec les scolaires et les associations locales, et conserver les « Fêtes métallos des familles » qui sont très importantes pour les habitantes et les habitants du quartier et permettent aux plus jeunes de venir entre nos murs. Nous travaillerons aussi avec le Samu social et la Halte afin d’organiser des ateliers pratiques à destination des femmes isolées. À compter de la saison 2025-2026, nous constituerons également trois groupes de spectatrices et de spectateurs jeunes, âgés ou en situation de handicap, et chacun de ces groupes participera à un atelier de pratique sous la houlette d’un artiste. Il est très important que La Maison des métallos soit un lieu où chacune et chacun se sente bien, des publics aux artistes en passant par les équipes qui y travaillent au quotidien.
D’un point de vue managérial, justement, comment avez-vous géré votre arrivée auprès des équipes ?
Lorsqu’on arrive à la tête d’un lieu, il est nécessaire d’apprendre à connaître les équipes, de savoir qui a fait quoi par le passé, si toutes les personnes se sentent au bon endroit, sont chargées de missions qui leur conviennent ou si certaines aspirent à des changements. Il est important d’instaurer une relation de confiance, et de savoir transmettre et fédérer autour de son projet ; on ne fait rien seul et j’aime travailler en équipe. J’ai donc réalisé des entretiens individuels avec tous les salariés et organisé deux jours de séminaire en juin afin, notamment, de leur présenter mon projet. Personnellement, je suis quelqu’un qui doute toujours de sa légitimité, ce qui est positif pour le projet que je ne cesse de réinterroger pour être certaine qu’il a du sens pour cette Maison. Cela m’oblige à une exigence forte envers moi-même que, par capillarité, je demande aussi aux autres, tout en évitant soigneusement de tomber dans cet autoritarisme qui m’agace et qui a pu avoir cours par le passé dans certaines maisons de théâtre. En tant que directrice ou directeur, il est primordial de ne jamais oublier que nous ne sommes qu’un relais d’une histoire plus grande que nous.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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