Sur la scène parisienne, le Ballet National du Canada brille par sa rareté. Sa dernière venue remonte à 2017 et, à cette occasion, la compagnie de Toronto revenait dans la capitale française pour la première fois depuis 45 ans. Au Théâtre des Champs-Élysées, la troupe propose trois pièces canadiennes, dont Angels’ Atlas que la chorégraphe a créée pour elle.
Fondé en 1951, le Ballet National du Canada est désormais installé au cœur de Toronto, au Four Seasons Center for the Performing Arts, un bâtiment qu’il partage avec la compagnie d’opéra locale. À travers son histoire, il a permis à des artistes comme Karen Kain de développer leur talent, d’abord comme danseurs, puis comme directeurs artistiques. La compagnie canadienne compte aussi dans ses rangs des figures comme l’étoile Guillaume Coté, entré dans la compagnie avant sa majorité et qui prendra sa retraite à la fin de la saison. Le chorégraphe James Kudelka a aussi marqué la troupe, puisqu’il en a assuré la direction artistique entre le milieu des années 1990 et 2005.
Aujourd’hui, l’ADN de la compagnie torontoise est un mélange équilibré entre grands ballets classiques, comme Casse-Noisette présenté chaque année tout au long du mois de décembre, ballets contemporains, parmi lesquels des pièces de Wayne McGregor ou de Robert Lepage associé à Guillaume Coté, et la création contemporaine teintée de classicisme, à l’instar du Passion de James Kudelka, dévoilé du 12 au 15 octobre à Paris. À l’exception de Crystal Pite et de quelques Québécois, les chorégraphes canadiens sont, en général, totalement inconnus du public européen. L’actuelle directrice de la compagnie, Hope Muir, espère y remédier avec la sélection montrée au Théâtre des Champs-Élysées.
Un programme purement canadien
Il y a d’abord Passion. Créée pour le ballet de Houston en 2013, la pièce a été présentée pour la première fois à Toronto la saison dernière, à l’occasion de la retraite du premier danseur Piotr Stanczyk. Son titre ne rend pas compte de sa froideur et de sa virtuosité technique, qualités principalement appréciées par les danseurs lors de sa création, mais laissant le public moins connaisseur sur la touche. Dans le programme, elle est suivie d’UtopiVerse, création de William Yong, un artiste de Toronto qui s’est illustré dans le milieu local par ses créations à la frontière en danse et science. Cette pièce, la première créée par un chorégraphe d’origine asiatique pour le Ballet National du Canada, a été présentée en première mondiale en mars dernier. Il s’agit d’un univers où se mêlent danse et création vidéo.
Comme pour Passion, ce choix peut surprendre, non pas à cause de sa froideur, mais parce que le spectacle n’a pas été très bien accueilli par le public local, pourtant habituellement enthousiaste. On pourrait reprocher à William Yong deux choses, qui ne sont pas directement liées à la chorégraphie : la technique scénique, avec des projections vidéos qui pourraient avoir été faites il y a plusieurs décennies, et le choix musical, des quatuors à cordes de Benjamin Britten qui fleurent, à chaque note, la période à laquelle ils ont été composés. Est-ce là bien pertinent pour accompagner la création d’un monde qui n’a encore jamais existé ?
Un chef-d’oeuvre de Crystal Pite
Les deux créations qui précèdent Angels’ Atlas ne lui feront pas d’ombre. Ici, le Ballet National du Canada a dans son répertoire une œuvre dont il peut s’enorgueillir. Créée pour lui en mars 2020, à quelques jours des fermetures imposées par la pandémie de Covid-19, l’œuvre a été redonnée pour la rentrée du ballet en 2021 et on peut dire qu’elle est l’un des grands triomphes publics et critiques de ces dernières années à Toronto. La pièce de Crystal Pite est une expérience fascinante. Si les photos sont belles, rien ne peut remplacer la surprise de voir ces masses en mouvement alors que les premières notes de la Liturgie de saint Jean Chrysostome de Tchaïkovski se font entendre.
Au fil de l’œuvre, la lenteur de la lumière et de la musique contraste avec la force et la rage du groupe. Le mouvement des corps semble naître et s’organiser depuis un chaos originel. Les pas sont saccadés et le nombre de sujets sur scène décuple l’impression de violence. Dans la dernière partie, Pite compose un ensemble de pas où les danseurs sont intriqués les uns dans les autres et chaque mouvement a des conséquences pour le groupe. Le Ballet National du Canada ne pouvait pas rêver d’une meilleure pièce pour montrer toute l’étendue de son talent.
À elle seule, Angels’ Atlas mérite largement la (re)découverte de la troupe torontoise. Car l’ensemble de la soirée, même si le choix des deux premières pièces peut laisser dubitatif, aura le mérite d’introduire au public européen, spectateurs auprès desquels elle doit encore trouver sa place, la meilleure compagnie de ballet canadienne.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
Made in Canada !
Avec le Ballet National du Canada, l’Orchestre Prométhée, Zhenya Vitort (piano), Fanny Clamagirand (violon)
Direction musicale David BriskinPassion
Chorégraphie James Kudelka
Musique Ludwig van Beethoven
Costumes Denis Lavoie
Lumières Michael Mazzola
Soutien The Gail Hutchison Fund, Anne-Marie CanningUtopiVerse
Chorégraphie William Yong
Musique Benjamin Britten
Costumes William Yong
Lumières Noah Feaver
Projections Thomas PayetteAngels’ Atlas
Chorégraphie Crystal Pite
Musique Owen Belton, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Morten Lauridsen
Création de l’arrière-plan lumineux Jay Gower Taylor
Conception de l’arrière-plan lumineux Jay Gower Taylor, Tom Visser
Costumes Nancy Bryant
Lumières Tom Visser
Production The National Ballet of Canada
Coproduction Ballett ZürichCoréalisation Productions Internationales Albert Sarfati ; Théâtre des Champs-Elysées
Durée : 2h15 (entractes compris)
Théâtre des Champs-Elysées, Paris
du 12 au 15 octobre 2024
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