Dans un grand et intense dénuement, Jean-René Lemoine joue son propre texte mis en scène par Guy Cassiers. Sensible et solennel, son long monologue se fait entendre comme un chant de deuil et d’amour très émouvant.
Cela fait quasiment vingt ans que Jean-René Lemoine a écrit et joué ce texte intime et douloureux, partant de son histoire vraie. Comme l’homme qu’il incarne sur scène et qui remonte le fil du temps et de la mémoire, l’artiste revient aujourd’hui à Face à la mère. Il n’a pas voulu le reprendre tel qu’il l’avait laissé, mais s’est plutôt décidé à le réinvestir, à le revisiter, avec la complicité du regard neuf et rigoureux de Guy Cassiers. Dans ce texte d’une belle ampleur littéraire, le dramaturge et comédien relate la mort de sa mère aussi sauvagement qu’inexplicablement assassinée. Il décrit la solitude et la douleur inconsolable dans lesquelles le plonge, et le paralyse, la nouvelle apprise par téléphone. Il raconte le retour vers son pays natal que les funérailles l’obligent à entreprendre, ce lointain territoire de l’enfance, très vite quitté. Haïti n’est jamais nommé, mais juste évoqué comme une terre terriblement ravagée par la violence et la misère.
Pour lui dire tout ce qui n’a pas été dit, l’homme s’adresse à sa mère morte. « Voici venu le moment de me présenter à vous pour cet entretien si longtemps différé », déclare-t-il, avec un infini respect et cette pointe d’étrangeté qu’impose le vouvoiement, traduction de la distance qui s’est inévitablement créée entre elle et lui, distance qu’il est désormais temps de chercher à combler. L’enjeu de Face à la mère est d’installer ce dialogue à une voix pour tenter d’expliquer, de réparer, de réconcilier. Une nécessaire tension règne sur le plateau, mais elle se mêle à un calme sidérant. Portés par une voix suave, sereine, et le ton délibérément feutré de l’interprète qui jamais ne cède à la colère ou à l’emportement, les mots sont très lentement, posément, énoncés. L’émotion jaillit de la force du discours proféré dans un si grand dépouillement.
La mise en scène travaille l’espace et le jeu de façon minimaliste et presque abstraite. Avec de subtiles variations de jeux de miroirs et de lumières, Guy Cassiers fait du plateau une « chambre mentale » dans laquelle sont reconvoquées les grandes lignes d’une vie d’errance, d’exil, de difficultés à répondre aux attentes écrasantes d’une figure maternelle dans un conflit exacerbé par la révolte adolescente. Loin de l’extrême sophistication formelle dont il est souvent coutumier, Cassiers propose un écrin noir superbement éclairé. Une musique fine et discrète accompagne le récit ; comme la vidéo, utilisée avec parcimonie. Si l’image se veut économe et jamais seulement illustrative, les mots, eux, en revanche, abondent, sans discontinuer, et avec éloquence, jusqu’à s’emballer, s’épuiser. Certains sont projetés sur un écran comme des souvenirs presque flous qui s’effacent et se réécrivent. Ils sont prononcés avec lenteur et méticulosité par le comédien qui se tient sur un sol de verre, dans une immobilité quasi imperturbable. Droit, digne et fragile à la fois. Son corps semble éternellement planté dans ce sol, sa voix module une mélodieuse parole introspective qui n’appartient qu’à lui. À travers cette simple et poignante présence, c’est tout le pouvoir hypnotique du théâtre qui se fait sentir et nous emmène loin, par-delà la mort et la souffrance.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Face à la mère
Texte et interprétation Jean-René Lemoine
Mise en scène et scénographie Guy Cassiers
Création son Jeroen Kenens
Création lumière Zélie Champeau
Création vidéo Stéphane Rimasauskas
Assistanat à la mise en scène Valentin Suel
Décor Ateliers de la MC93Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Coproduction Le Volcan – Scène nationale du Havre, Comédie de Valence – CDN Drôme-Ardèche, Bonlieu – Scène nationale Annecy, Maison de la Culture d’Amiens – Scène Nationale de l’Essonne, Agora – Desnos
Avec le financement de la Région Île-de-FranceDurée : 1h30
MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 2 au 19 octobre 2024Maison de la Culture d’Amiens
les 6 et 7 novembreLe Volcan, Scène nationale du Havre
les 12 et 13 novembreLe Phénix, Scène nationale Valenciennes
le 18 novembreCentre dramatique national dOrléans
les 5 et 6 février 2025Scène nationale de l’Essonne, Agora-Desnos
les 20 et 21 marsBonlieu, Scène nationale Annecy
du 16 au 18 avrilLa Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
les 6 et 7 mai
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !