Dans le cadre du festival Transforme de la Fondation d’Entreprise Hermès, la chorégraphe Olivia Grandville invente une expérience atypique. Intitulée UMAA pour Unité Mobile d’Action Artistique, elle implique un rapport renouvelé à l’espace, une proximité inédite avec les artistes, une autre approche du geste chorégraphique. Et se vit dans et autour d’un cocon, au rythme des propositions.
Lorsqu’elle a pris la direction du CCN de La Rochelle il y a près de trois ans, Olivia Grandville l’a rebaptisé « Mille Plateaux ». Un nouveau nom aux airs de manifeste, à entendre au sens propre (physique) et figuré (du monde des idées), qui acte la volonté de sortir la danse d’un espace unique, de déployer ses formes hors les murs, d’élargir les possibles autant que les cadres d’expression. L’UMAA – Unité Mobile d’Action Artistique en est la manifestation concrète et évidente. De quoi s’agit-il ? D’une énorme structure gonflable où l’on se glisse à pas feutrés pour y goûter de la danse en continu. Comme un nuage à même le sol qui sert d’écrin aux irruptions chorégraphiques proposées, une tente-igloo, toute blanche, qui abolit les repères spatio-temporels et se pose, éphémère, au cœur de la cité. Cette mégabulle est l’œuvre de l’artiste hollandaise Cocky Eek, et jamais l’expression « faire sa bulle » n’a trouvé caisse de résonance aussi appropriée.
L’expérience se vit dans le mouvement à tous les niveaux. D’abord, parce que le dispositif en lui-même est modulable, évolutif et itinérant ; ensuite, parce qu’il implique le déplacement du public, invité à déambuler dehors ou dedans au gré de l’enchaînement des propositions et en fonction de la météo ; enfin, parce qu’il implique un autre rapport scène/salle qui assouplit la posture des spectateur.ices, libres de leurs mouvements au sein de la structure. On y pratique échauffements collectifs, ateliers d’air dance, improvisations et spectacles. C’est un lieu qui vit et vibre tout au long de la journée et des propositions jusqu’à tard le soir, animé par des artistes invités à l’habiter, à expérimenter, à se passer le relais pour que jamais ne s’éteigne la flamme de la danse.
On l’a testé un jour de pluie diluvienne qui avait transformé les chemins du parc de la Cité Internationale de Paris en rigoles et ruisseaux. C’est donc dans la Resserre, la salle haut perchée du théâtre, que nous avons découvert la proposition en suspension de La Tierce, collectif associé à Mille Plateaux, à la place du plein air prévu. Une petite forme d’une délicatesse inouïe, un air concert de musiques anciennes d’un genre inédit. Les interprètes y jouent tour à tour du luth, du clavecin ou de la flûte traversière sans instruments entre les mains. Sur le principe de l’air guitar, on les regarde effectuer les gestes et postures au son de la partition, et cette dissociation de la musique et du mouvement renouvelle l’écoute et le regard. Jamais on n’aura prêté autant attention à la corrélation entre le geste et le son, et l’on a la paradoxale impression que l’on entend mieux les instruments sans les voir.
Après la boîte noire improvisée pour cause de douche froide météorologique, la bulle blanche accueille La Veillée, succession de solos improvisés par une ribambelle de danseuses et danseurs invités à se fondre dans l’aventure et à enchaîner, sans temps mort, les éclats gestuels de chacune et de chacun. L’expérience commence au seuil de la structure gonflable, car ce n’est pas par une porte que l’on y entre, mais littéralement en se glissant dedans, comme si l’on plongeait debout à travers une membrane pour accéder à la cavité cachée derrière. Dedans, tout est blanc et chacun s’assoit où bon lui semble sans qu’aucune place ne soit prédéfinie. Il y a bien quelques tabourets blancs qui se fondent dans le décor, mais la plupart des spectateur.ices sont en tailleur à même la bâche qui recouvre le sol. Les interprètes vont et viennent les uns après les autres, arpentent l’espace, testent, proposent, chutent, se relèvent, tandis que la musique distillée en direct improvise elle aussi sa trajectoire. Rarement on a l’occasion de suivre des états dansés dans une telle proximité qui va jusqu’à l’interaction quand Olivia Grandville en personne entraîne dans sa danse un spectateur étonné, mais réactif.
Le programme est riche, varié, de qualité, c’est un pot-pourri de danse qui fait la part belle au partage et au temps long. Exit la durée de la représentation clairement délimitée par un début et une fin. Avec UMAA, on entre et l’on sort à sa guise, on goûte, on reste, on s’extrait pour mieux y revenir. C’est un autre rapport à la danse qui s’installe, une autre façon d’entrer en contact et de regarder qui s’adresse à toutes les générations. C’est une invitation qui témoigne d’un sens de l’hospitalité réconfortant. On peut également participer à des ateliers de coupé-décalé, faire une sieste sur fond de musique électro stratosphérique, assister au spectacle Klein ou à un recyclage collectif de phrases chorégraphiques, vivre le Koréoké imaginé par Olivia Grandville et finir sur la piste de danse. Tout semble permis, tout semble possible. La danse ici fait communauté. Non pas une communauté figée, mais mouvante. Et c’est tout le projet qui danse.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
UMAA – Unité Mobile d’Action Artistique
Direction artistique Olivia Grandville
Artistes complices Collectif La Tierce, Collectif Ès, Villeneuve & Morando, Zakary Bairi, I-Fang Lin, Matthieu Patarozzi, Ludovico Paladini, Éric Nebie, Pierre Pietri, Mai Ishiwata, Guillaume Marie, Emmanuel Gourmelin, Dominique Dijol et César Vayssié, Marie Orts, Aurélie Charon, Emma Prat
Conception Olivia Grandville, Cocky Eek
Design Cocky Eek, Air Design Studio Erik Van Dongen
Construction Air Toiles Concept
Pilotage et suivi technique Bureau Playtime
Régie lumière Titouan Geoffroy
Régie son Thibaut Pellegrini
Régie vidéo Thierry Wilmort
Dispositif sonore Nicolas Barillot, Jonathan Seilman
Dispositif lumière Abigail Fowler, Titouan Geoffroy
Création vidéo César Vayssié
Collaboration scénographie James Brandily
Costumes Marion RégnierProduction Mille Plateaux, Centre Chorégraphique National La Rochelle
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès
Coproduction Plateforme 10 – Lausanne ; L’Avant-Scène – Cognac ; l’OARA – Bordeaux ; CND Centre national de la danse, Pantin
Soutien Ministère de la Culture, Région Nouvelle-Aquitaine, Ville de La Rochelle
Aide à la diffusion Office National de Diffusion Artistique (ONDA) et l’OARA, Bordeaux
Accueil en résidence 117 Coureilles, le CDC Aunis Atlantique, le tiers-lieu La Motte AubertThéâtre de la Cité Internationale, Paris, dans le cadre du festival Transforme
du 8 au 12 octobre 2024Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale, dans le cadre du festival Transforme
du 15 au 22 janvier 2025Les SUBS, Lyon, dans le cadre du festival Transforme
du 22 au 28 marsThéâtre National de Bretagne, Rennes, dans le cadre du festival Transforme
du 16 au 24 maiThéâtre Vidy-Lausanne, avec Plateforme 10
en juin 2025
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