Créé par Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson – remplacé au pied levé par Filippo Gualandris pour le Festival Off d’Avignon –, ce duo chorégraphique travaille avec intensité, radicalité, intelligence, et des pointes d’humour, la question de la relation amoureuse.
En danse, les solos, duos, voire trios aux mises en scène volontairement centrées sur les corps, évacuant ainsi nombre d’artifices scéniques, ne sont pas rares, mais peu atteignent la radicalité épousée dans MEGASTRUCTURE – et l’intensité que ladite radicalité suscite. Pour ce spectacle créé à l’automne 2022 – et à la durée très ramassée –, les chorégraphes et interprètes Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson ont notamment effectué une résidence offrant un isolement – du monde, des nouvelles technologies, des relations sociales – plus que prononcé. De fait, la découverte de MEGASTRUCTURE – dont le terme qui renvoie autant à la science-fiction qu’à l’architecture peut signaler le fonctionnement d’une structure (le couple) et la façon dont s’agencent les « éléments » qui la constituent (les personnes) – se centre avec acuité sur le couple, sur ce couple. Et, peu importe que, pour les représentations données à Avignon, ce ne soit pas Isaiah Wilson qui soit en scène mais Filippo Gualandris – le premier s’étant blessé –, l’écriture de la liaison entre ces deux corps, faite d’attachements, de correspondances, d’ajointements et d’emboîtements demeure.
Alors que scène et salle sont éclairées avec la même lumière blanche, neutre, qui ne bougera pas d’un iota durant la représentation, Sarah Baltzinger entre. Vêtue d’un pantalon noir, de baskets blanches et d’un haut légèrement rose saumon, elle nous dévisage, le visage mi-interrogateur, mi-inquiet. Lui – également vêtu simplement, chemise, pantalon et baskets – la rejoint. Débute alors un corps-à-corps. D’emblée, la relation du duo s’affirme comme très forte : il l’empoigne, elle s’emboîte dans son corps et il commence à se mouvoir, à la mouvoir, tantôt elle sur lui, tantôt lui sur elle. Dépliant l’une de ses jambes pour la positionner à un autre endroit du corps de son partenaire, faisant de même avec ses mains, ses bras, sa tête, lui venant lui prêter main forte dans ses reconfigurations de positions – et y ajoutant les siennes –, elle et il ne cessent de se réencastrer, de se réenchâsser, l’enjeu étant toujours de continuer leur progression mutuelle.
Ainsi, le duo ne va cesser d’évoluer, progressant souvent au sol pour arpenter tout le plateau. Leur souffle et les mouvements, entrechoquements des membres, composent alors une partition musicale percussive, hypnotique. Qu’elle et il dansent en s’escaladant et en s’agrippant, ou sans se toucher et en se mouvant en parallèle, leurs gestes s’apparentent à des mouvements mécaniques. Pour autant, alors que cette chorégraphie extrêmement maîtrisée et bien réglée déplie des mouvements n’ayant a priori rien de naturels, rien ne semble paradoxalement forcé. Au contraire, tout semble traversé d’un même élan nécessaire, vital, évident : ne serait-ce pas là la métaphore des contorsions et des adaptations communes réalisées de bonne grâce par deux personnes pour imaginer l’espace commun de leur relation amoureuse ?
Et c’est peu de dire que l’effet produit est saisissant. La radicalité – dans le dénuement – du dispositif permet non pas seulement de se concentrer sur leur chorégraphie, mais de s’y immerger ; et leur présence qui ne fait pas fi de la nôtre – notamment par les regards quasi perpétuels à notre endroit de Sarah Baltzinger– évite tout univers clos sur lui-même. Certes, il s’agit bien de l’image d’un couple en construction et en évolution, mais ce duo nous accueille dans la relation qui les relie, suscitant au passage de multiples émotions. Sans jamais être illustrative, la danse évoque tantôt l’étreinte, tantôt la lutte, tantôt la joute amoureuse, tantôt le désir ou la conflictualité. Fondé sur une endurance et une technicité certaines, MEGASTRUCTURE dépasse la seule virtuosité de ses interprètes pour nous balader entre les émotions, et transmettre les différentes pulsations de la mécanique amoureuse et de ses nécessaires arrangements.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
MEGASTRUCTURE
Création et chorégraphie Sarah Baltzinger, Isaiah Wilson
Avec Sarah Baltzinger et Filippo GualandrisProduction Compagnie Sarah Baltzinger
Durée : 30 minutes
Vendredi 20 septembre 2024 à 20h
Festival « Bien fait! »
micadanses – 15, rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris
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