Co-organisée par la SACD et le Festival d’Avignon, la Série 1 de Vive le sujet ! Tentatives, portée par Anna Massoni et Félix Jousserand, ne convainc pas, malgré de beaux interprètes et un juste équilibre des disciplines engagées, entre danse minimaliste et performance oratoire. Le hiatus de fond entre les deux propositions semble presque jouer en leur défaveur et augmenter un sentiment d’hermétisme embarrassant.
Au Festival d’Avignon, les programmes de Vive le sujet ! sont des rendez-vous matinaux auxquels on prend facilement goût. Dans la fraîcheur encore relative du matin, et surtout dans le cadre adorable et immuable du Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph, cour intérieure sertie de hauts murs tapissés de lierre. Au fond, un magnolia grandit d’été en été ; à cour, la petite statue immaculée de la Vierge joue à cache-cache avec la verdure. Seuls les sièges en plastique inconfortables gagneraient à être changés, mais on ne peut pas avoir tout à la fois le luxe, le calme et la volupté.
Le principe ne bouge pas, il a fait ses preuves, et on ne change pas un concept qui fonctionne. En partenariat avec la SACD, le Festival d’Avignon convie un.e artiste à inviter un.e autre artiste de son choix pour composer une forme en binôme. Deux séries de deux projets sont présentées, soit quatre petites formes au total. Conçues comme des « tentatives », elles ouvrent le champ à une expérimentation scénique dans des dispositifs légers où la prise de risques est relative car l’exposition moindre. Disons qu’il s’agit d’une marge laborantine et exploratoire aux grosses productions du Festival. Un espace de tâtonnement artistique. Pour la Série 1 sont proposés deux spectacles radicalement opposés, l’un n’usant que du corps comme outil d’expression, l’autre prenant, au contraire, appui sur du texte et de la musique live. Deux performances qui malheureusement se rejoignent dans leur hermétisme, malgré les qualités qu’on leur reconnaît.
un ensemble (morceaux choisis), plus d’étrangeté que de familiarité
On commence avec le duo dansé d’Anna Massoni et Ola Maciejewska. La première est en résidence longue au CND de Pantin, la seconde spécialiste des danses serpentines de Loïe Fuller. Toutes les deux sont danseuses et chorégraphes. Intitulée Un ensemble (morceaux choisis), leur performance s’appuie sur un ensemble de gestes du quotidien arrachés à leur environnement et épurés jusqu’à devenir mouvements dansés proches de l’abstraction. En jean et tee-shirt noir, pieds nus, les deux femmes entament un dialogue délicat, précis, d’une remarquable exécution, jamais à l’unisson, mais plutôt en échos, où les gestes se répondent, en appellent d’autres, dans une lenteur à peine dynamisée par quelques emballements. La chorégraphie est minimaliste, proche de l’invisible. Il règne au plateau une belle concentration, comme si les danseuses déposaient dans chaque geste une attention propre. Ici, le corps est comme décomposé sur la page blanche du plateau.
Pieds, mains, hanches, dos, bras et jambes, épaules et coudes, c’est un ensemble d’articulations qui se met en mouvement, ou plutôt notre système d’articulations complexe propre à la nature humaine qui s’exprime autant dans ses possibles que dans ses limites. Difficile de percevoir le geste originel ou la posture initiale tant les enchaînements proposés sont extraits de leur application concrète, abstraits. Il règne dans ce duo plus d’étrangeté que de familiarité, une certaine incompréhension aussi qui empêche une complète adhésion. Le public est convié à suivre de près le déroulé de corps qui semblent s’expérimenter en direct quand bien même, on le suppose, la partition chorégraphique est écrite à la virgule près, ne laissant rien au hasard. Nous sommes invités à plonger dans l’observation minutieuse d’une mécanique physique qui oblige à ne pas appréhender le corps dans sa globalité mais dans tous ses détails combinatoires. Un bras n’est plus un bras mais la fragmentation d’un coude, avant-bras, poignet et doigts. C’est une révision de nos corps oubliés qui se joue, fine et gracieuse, mais froide et sans souffle, et l’on reste sur un sentiment de perplexité lorsque s’achève cette première partie assez peu communicative.
Le Siège de Mossoul, en manque de point de vue
Autre sensation de vase clos avec le deuxième projet, Le Siège de Mossoul, celui de Félix Jousserand, à l’écriture et l’interprétation, accompagné de Bruno Ducret à la musique live. Est-ce dû au fait que le texte, tenu à la main, est lu tête baissée, empêchant tout lien direct au public ? Est-ce dû à la teneur du texte qui relate par le menu le déroulé du siège de Mossoul dans un récit chronologique éprouvant ? Le texte est beau, certes, malgré les horreurs décrites, et n’est pas dénué d’une poésie propre à son sujet et aux abîmes qu’il ouvre en nous, mais qu’en est-il du positionnement de l’auteur ? Que veut-il nous dire ? En dépit de cette première phrase qui ouvre la litanie d’épisodes guerriers, disant à peu de choses près que « la guerre est comme une toile de maître. Pour mieux la voir, il faut reculer », on ne distingue pas vraiment la prise de distance dans ce qui nous est conté en détails justement, au jour le jour quasiment. L’offensive américaine, la cité antique détruite, les ruines et les cadavres, les assauts, les snipers et les tirs de roquette, les tanks et tout ce qui écrase et détruit, anéantit au nom d’une idéologie.
On comprend mal le point de vue de l’artiste qui dresse un tableau dévastateur de la guerre menée par l’armée américaine contre Daech. Certes, le réquisitoire anti-guerre est limpide, mais les raisons de cette intervention armée – à savoir démanteler une organisation terroriste – ne sont jamais clairement énoncées. Accompagné au violoncelle par Bruno Ducret, Félix Jousserand arpente le plateau micro en main. En voyant se dérouler au sol le fil du micro entre les quelques pierres déposées, comme une évocation du champ de ruines, on s’imaginait qu’un parcours allait se dessiner, une trajectoire dressant une cartographie du territoire, mais non l’aspect visuel n’est pas du tout appréhendé. Et notre orateur se contente de réciter. Seule la présence de Bruno Ducret au violoncelle ajoute du sel à l’ensemble. Usant de son instrument, tantôt en pizzicato, tantôt avec archet, tantôt comme une percussion, tantôt comme une guitare électrique, le musicien le fait crisser de sons distordus. Il construit une partition sur mesure, faite de boucles et de strates, qui évoquent un environnement sonore anxiogène et s’enchâssent dans le texte. La musique devient caisse de résonance de la parole et ce dialogue-là est une réussite.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Vive le sujet ! Tentatives – Série 1
Un ensemble (morceaux choisis)
Chorégraphie Anna Massoni
Avec Ola Maciejewska, Anna Massoni
Dramaturgie Vincent Weber
Son Anna Massoni, Emmanuel Nappey, avec la participation de Joëlle Coudriou
Recherche Cynthia Lefebvre, Marc Pérennès
Administration de production Marc Pérennès
Administration de production, développement, diffusion des projets Marie FonteProduction Association 33e Parallèle
Coproduction SACD, Festival d’Avignon
Avec le soutien de La Ménagerie de verre dans le cadre du dispositif StudioLab
Remerciements Joëlle Coudriou
L’association 33e Parallèle est conventionnée par le ministère de la Culture Drac Bourgogne-Franche-Comté.Le Siège de Mossoul. Une épopée contemporaine
Texte Félix Jousserand
Avec Bruno Ducret (violoncelle, voix, chant), Félix Jousserand (voix, chant)
Dramaturgie Caroline Masini
Musique originale Bruno Ducret, Félix Jousserand
Avec la participation de Patrick ChauvelProduction Les 2 bureaux
Coproduction SACD, Festival d’Avignon
Le Siège de Mossoul de Félix Jousserand est publié aux éditions Au Diable Vauvert.Durée : 1h30
Festival d’Avignon 2024
Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph
du 4 au 7 juillet, à 10h30 et 18h
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