Cernée de spots lumineux, c’est une Aïda de Verdi pleine d’éclat, de passion et de drame que portent le chef Pierre Bleuse, le metteur en scène Philipp Himmelmann et un plateau vocal pleinement investi à l’Opéra de Rouen Normandie.
Dans la veine orientaliste qui irrigue les opéras de la fin du XIXe siècle, Aïda a été commandé à Verdi par le nouveau théâtre lyrique du Caire, où il a été créé en 1871, un an après l’inauguration du canal de Suez. Mais dans la production présentée en ouverture de saison de l’Opéra de Rouen Normandie, toute l’égyptomanie archaïsante qui colle à l’œuvre, au point d’être devenue un pesant poncif décoratif, a été opportunément évincée. La scénographie, à la fois minimale et spectaculaire, se compose d’immenses panneaux incrustés de projecteurs d’une intense et variable luminosité dans les tons jaune orangé formant un demi-cercle. Dans ce décor unique et solaire, soudainement envahi d’une armée de soldats en treillis, se joue l’état terrible d’un monde en guerre, alors que l’Éthiopie et l’Égypte se présentent comme deux patries ennemies qui s’envahissent l’une l’autre. Au centre, un lit planté sur un rocher tourne inexorablement sur lui-même. Aïda paraît assise, pensive, sur les draps moites et défaits ; à ses côtés, son amant, Radamès, à demi dévêtu, conclut leur nuit d’amour sur un baiser fougueux et une dernière étreinte. Rarement les toutes premières mesures aux teintes diaphanes et éthérées du prélude ont paru aussi voluptueuses.
Désir et pouvoir sont placés au cœur d’une lecture resserrée sur le triangle amoureux que forment Radamès, conquérant guerrier, Aïda, l’esclave éthiopienne, et sa rivale, la princesse Amneris. L’une des grandes qualités du travail proposé réside dans la manière dont les personnages sont dessinés et incarnés. Ils existent charnellement grâce à des intentions claires de mise en scène et à l’engagement des interprètes. L’héroïne éponyme, vêtue en simple soubrette, est – imagine-t-on – une réfugiée devenue humble servante vouée au mépris et aux humiliations. Dans le rôle-titre, la soprano Joyce El-Khoury offre un chant sensible et vibrant qui devrait gagner en ampleur dans les moments les plus véhéments, mais qui se fait finement émouvant dans les passages les plus élégiaques où Aïda laisse s’épancher sa douleur. Fier et stoïque en habit militaire, le Radamès d’Adam Smith est de fort belle prestance. Les moyens vocaux sont robustement projetés et maîtrisés, pleins de fougue comme de tendresse. Amneris, enfin, profite du mezzo rond et plantureux d’Alisa Kolosova qui déploie toute l’arrogance hautaine confinant à la haine de son personnage, avant de tomber dans le désespoir.
L’opéra pharaonique de Verdi est surtout connu pour sa célèbre marche triomphale au second tableau de l’acte II. Les quatre trompettes qui l’accompagnent sont disposées en surplomb d’une réception mondaine où des convives endimanchés, non sans une pointe d’excentricité, se pavanent sous une pluie de billets de banque. Au premier plan, une danse frénétique démultiplie le couple formé par Aïda et Radamès, et montre bien la dualité de leurs émotions déchirées entre l’attraction de leurs corps et le renoncement à leurs sentiments. Emmurés vivants dans leur tombeau, ils finiront unis dans la mort.
Une pompe fastueuse est parfaitement assumée par l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et le chœur accentus, l’un et l’autre ardemment élancés et gorgés d’une belle envergure sonore. S’ils couvrent parfois les solistes, c’est avec un sens saillant de la tension dramatique. La luxuriante monumentalité avec laquelle s’embrase la fosse n’empêche pas de faire surgir toutes les subtilités de la partition. Ce premier spectacle de la saison est sans conteste un succès.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Aïda
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi
Livret Antonio Ghislanzoni
Direction musicale Pierre Bleuse
Mise en scène Philipp Himmelmann
Avec Joyce El-Khoury, Adam Smith, Alisa Kolosova, Adolfo Corrado, Nikoloz Lagvilava, Emanuele Cordaro, Néstor Galván, Iryna Kyshliaruk, et les danseurs Michael Arellano, Paolo Busti, Adrien Delépine, Georgina Hills, Aurélie Robichon, Greta Rodorigo, Fay van Baar, Thomas van de Ven
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Orchestre Régional de Normandie
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Assistantes à la mise en scène Riikka Räsänen, Mirva Koivukangas
Scénographie David Hohmann
Costumes Lili Wanner
Chorégraphie Kristian Lever
Lumières Fabiana Piccioli, François Thouret
Vidéo Tieni Burkhalter
Régisseurs de production Marie-Cécile Loiselle, Hugo Mottet, Samuel Gardes
Chef assistant Florent Mayet
Chef de chant Christophe Manien
Chef de chœur Christophe Grapperon
Pianiste des chœurs Laura FromentinProduction Savonlinna Opera Festival
En collaboration avec l’Opéra de Rouen NormandieDurée : 3h15 (entracte compris)
Opéra de Rouen Normandie
du 27 septembre au 5 octobre 2024
Diffusion en direct sur la place de la cathédrale de Rouen, dans de nombreux lieux en Normandie et en livestream le 5 octobre à 18h
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