Largement découverte avec son précédent spectacle La Saga de Molière, qui continue sa tournée cette saison, l’autrice, metteuse en scène et comédienne Johana Giacardi présente aux Bernardines à Marseille – théâtre l’accompagnant depuis 2021 – sa nouvelle création par trop consensuelle.
« C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule » : la formule de Michel Audiard, réalisateur, scénariste et dialoguiste célèbre pour ses punchlines percutantes, si elle est le titre d’un film de 1975, est désormais l’intitulé d’un spectacle. Qui, au soir de sa première, s’est révélé plus proche du « feel good spectacle » trop aimable et léger que d’une création digne de la mécanique ciselée « audardienne » alternant comique et caustique. Mis en scène par Johana Giacardi, C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule prolonge certaines lignes travaillées par la compagnie Les Estivants dans ses précédentes créations. Outre le goût pour un théâtre de bateleurs, de forains, allant avec pugnacité chercher le public – la compagnie se définissant elle-même comme « une compagnie de théâtre de salle qui aurait préféré être une compagnie de théâtre de rue » –, on retrouve les interrogations intimes de la metteuse en scène sur sa place en tant qu’artiste. Celles-ci se prolongent dans une mise au jour de la façon dont son usage du théâtre – comme art de la dissimulation ou, au contraire, de la mise à nu – a évolué. Cette évolution valant en retour « autorisation » de l’artiste à être elle-même, et à assumer son identité, sa sexualité.
Ces enjeux, la metteuse en scène trentenaire les déplie dans un dispositif circulaire. Le spectacle se déroule sur un gradin conçu spécifiquement pour la création, sa circularité pertinente favorisant par les jeux de regards une forme d’adhésion – où, comme au cirque, spectatrices et spectateurs ne cessent d’aller d’un visage à l’autre pour y voir les émotions. Accueillant le public elle-même – et arborant un t-shirt « Allô Macha » –, Johana Giacardi installe tout de suite une proximité grâce à ses prises de paroles. Par la genèse de ce spectacle qui a partie liée avec la dépression qu’elle a traversée, par sa présence sincère, sa position décontractée, la simplicité directe et sans fard de son adresse. D’ailleurs, tous ces qualificatifs fonctionnent pour l’ensemble de la proposition. Difficile en effet de ne pas sentir ni voir une sincérité, une simplicité juste et belle dans l’adresse et le rapport à l’autre. Une générosité, aussi. Mais ces qualités ne parviennent pas en l’état à sortir C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule de l’ornière.
Il y a, d’abord, le hiatus majeur entre le spectacle annoncé – sur le papier, et à l’oral par la metteuse en scène en introduction dudit spectacle – et celui déployé. La forme, comme le confie Johana Giacardi, vient de sa découverte de l’émission nocturne Allô Macha de Macha Béranger, diffusée entre 1977 et 2006 sur France Inter. Regrettant la fin des programmes de nuit des radios qui accueillaient des témoignages d’inconnus, l’artiste dit souhaiter permettre au public de prendre la parole. Sauf que ce dispositif – on l’imagine éminemment risqué – n’adviendra jamais en tant que tel. Certes, quelques réactions des spectatrices et spectateurs surgiront çà et là, mais rien correspondant au pacte annoncé en introduction. Car le spectacle va amener d’autres confidences et témoignages. Et l’enjeu étant d’explorer la frontière entre le vrai et le faux, la dissimulation et la révélation, ces interventions seront celles de comédiennes.
Outre que le parallèle entre le dispositif d’Allô Macha et celui du spectacle se révèle plus qu’approximatif dans sa structure comme dans son architecture – y compris du côté interventions des comédiennes –, la succession de témoignages demeure pour l’instant très convenue : séquences de danses dominées par l’énergie, mais dénuées d’une écriture tenue ; numéro de clown au potache tellement appuyé et infantilisant qu’il frôle la gêne ; prises de paroles et confidences un brin teintées de naïveté et qui mériteraient d’être creusées. Si l’on peut parler de déception, c’est par l’écart entre l’introduction, son goût du déséquilibre annoncé, et un spectacle qui se déroule dans une forme de contentement de lui-même, sans jamais aller taquiner le risque. Au-delà du bouclage de la boucle autobiographique de Johana Giacardi émouvant avec sa prise de parole finale où elle évoque son lesbianisme et l’homophobie subie dès son plus jeune âge, C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule ne dessine aucune trajectoire, n’offre guère d’évolution dramaturgique, s’en tenant à un assez paresseux catalogue de figures de femmes –pourtant porté là encore avec vivacité et engagement par les comédiennes : Edith, prise dans une forme d’empêchement ; Anne-Sophie, tenace et ne se laissant arrêter par aucun échec ; Anaïs, impulsive, fougueuse et rêveuse ; Naïs, clown libéré des injonctions maternelles, entre autres.
Avant la chanson finale – qu’une grande partie du public entonnera bien volontiers, preuve d’une certaine efficience du spectacle quant à ce qu’il recherche –, Johana Giacardi lance une ultime déclaration : la conviction qu’il « faudrait se servir du théâtre pour être soi, quitte à déplaire ». Il y a dans ce « quitte à déplaire » un hiatus : cet énoncé acte soit le caractère subversif, dérangeant, poil à gratter, bousculant – au choix dans l’intensité – du théâtre produit à partir de cette position, soit il signale la revendication d’une artiste à être elle-même en scène – et peu importe pour elle le regard porté sur son identité. Outre que la seconde position ne concerne pas la journaliste – qui n’a aucun jugement à porter sur l’identité de qui que ce soit –, le point d’achoppement majeur de C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule est actuellement sa consensualité. Bien loin d’imaginer un théâtre qui déplace et dérange celles et ceux qui y assistent, avec ce que cela peut avoir parfois d’inconfortable, le spectacle en l’état de sa création souffre d’un bien trop lisible et manifeste désir de plaire. Gageons que la belle tournée qui s’annonce donne la possibilité à l’équipe de cheminer plus avant dans l’exploration des ambiguïtés des positions de chaque personnage comme situation.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule
Mise en scène et écriture Johana Giacardi
Avec Anaïs Aouat, Anne-Sophie Derouet, Naïs Desiles, Johana Giacardi, Édith Mailaender
Stage assistanat à la mise en scène Olivia Oukil
Direction de production Lisiane Gether
Conception décors et accessoires Johana Giacardi, Camille Lemonnier
Création costumes Johana Giacardi, Camille Lemonnier assistées de Tatiana Bertaud
Stagiaire costumes Lucie Escande
Création lumières Lola Delelo
Création sonore Juliette Sébesi
Régisseur son Antoine PerrinProduction Cie Les Estivants
Producteur délégué Théâtre du Gymnase-Bernardines Marseille
Coproductions Théâtre La Passerelle – Scène nationale de Gap ; Le Totem Scène Conventionnée Art, enfance, jeunesse – Avignon ; Le Théâtre des Carmes – Avignon ; 3bisf – Centre d’arts contemporains d’intérêt national – Aix en Provence ; Théâtre Public de Montreuil – CDN ; Théâtre le Sémaphore – Scène conventionnée ; La Garance, Scène nationale de Cavaillon ; Réseau Traverses – association de structures de diffusion et de soutien à la création du spectacle vivant en région PACA ; le Pôle Arts de la Scène – Friche la belle de mai
Accueils en résidence Théâtre Gymnase – Bernardines, Marseille ; Théâtre Antoine Vitez ; La fonderie ; l’Usine Badin ; 3bisf, Domaine Départemental de l’Etang des Aulnes ; Théâtre du Bois de l’Aune,
Soutiens DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, DGCADurée : 1h15
Théâtre des Bernardines, Marseille
du 27 septembre au 5 octobre 2024
Théâtre La Passerelle, Scène Nationale de Gap
du 9 au 11 octobreThéâtre du Briançonnais, Briançon
les 28 et 29 janvier 2025
Théâtre Public de Montreuil – CDN (hors-les-murs)
du 1er au 15 févrierForum Jacques Prévert, Carros
les 31 mars et 1er avril
Le Sémaphore, Port-de-Bouc
les 3 et 4 avril
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