Du 2 au 5 mai, le festival vis-à-vis du Théâtre Paris Villette donne à voir des spectacles conçus derrière les murs de prisons d’Île de France, réunissant détenu.e.s et artistes professionnels. Qu’est-ce que le théâtre fait à la prison ? Et qu’est-ce que ce festival offre à ces ateliers ? Reportage à la maison d’arrêt de Fresnes.
Pour des prisonniers enfermés 22h/24 dans 10m2, repas compris, à 2 ou 3 détenus par cellule censée n’en comporter qu’un, le bénéfice immédiat d’un atelier théâtre est évident. Simplement sortir, déjà, bouger, changer d’air et d’interlocuteurs l’espace de deux heures, trois fois par semaine. Pour y participer les détenus, peuvent faire candidature via des « drapeaux », ces bouts de papier cartonnés qu’ils glissent le soir venu dans un interstice de leur porte de cellule, adressés aux différents services de la prison susceptibles de répondre à leurs demandes, et qui sont relevés chaque matin. Fresnes est une ancienne prison moderne. Construite à la fin du XIXème siècle, elle est alors un modèle pour ses infrastructures et ses cellules individuelles. 125 ans plus tard, elle est dénoncée en 2020, aux côtés de 5 autres établissements français par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour sa surpopulation carcérale.
L’atelier organisé par la Compagnie Nar6, dont nous relations dernièrement l’adaptation de La Terre de Zola, se tient dans une petite pièce de la 3ème division du Quartier hommes. Un large allée centrale rectiligne sectionnée d’immenses grilles permet de traverser le bâtiment dont la façade d’entrée, étrangement, laisse penser à une petite gare tranquille de province avec son horloge et sa pierre de meulière. Dans ce long couloir, on aperçoit par quelques ouvertures l’extérieur du bâtiment ou s’empilent les cellules sur 4 étages. Reliant leurs fenêtres sombres et grillagées, d’étranges fils blancs passent de l’une à l’autre et tissent une toile d’araignée, un réseau de communication que l’administration ôte régulièrement, mais peut-être aussi, suppose-t-on, laisse vivre. Ce sont les « yoyos », ces liens par lesquels les détenus se font passer toutes sortes d’objets – souvent défendus – de cellule à cellule. A l’intérieur, sur les murs, des fresques peintes célèbrent les prisonniers célèbres qui ont séjourné ici, Jean Genet, Manouchian…L’atmosphère est surprenamment calme. Des gardiens de la pénitentiaire dans leurs uniformes bleu marine côtoient quelques t-shirts de couleur de détenus qui travaillent. Dans la première division résident les détenus en transit, en préventive, ou ayant de courtes peines. Dans la seconde, les auteurs de crimes. Dans la troisième, c’est « le reste du monde ». Les autres.
Les autres, ce sont entre autres ces huit détenus qui montent Ring en compagnie de Alexandre Delawarde, metteur en scène de la compagnie Nar6 et de Samir Machrouch, ancien boxeur devenu entraîneur et créateur de l’association Esprit Boxe. Ce dernier chorégraphie avec les détenus les combats du spectacle à venir. Car c’est autour d’une nouvelle de Jack London , Un steak, que la compagnie a décidé de monter Ring. « Parce qu’il parle de boxe et que j’ai pensé que ça les intéresserait, mais aussi d’une vieille génération qui doit laisser la place à une nouvelle », explique le metteur en scène. Un détenu, Nelson *, raconte que cette histoire l’a touché. Lui joue le vieux boxeur, Tom King. Grand et costaud, il affirme que l’histoire lui fait penser à la série des Rocky, et que l’idée de se produire en public ne l’impressionne pas plus que ça, mais que si ça se trouve, au moment de monter sur scène, il risque de tomber dans les pommes. Il sourit.
C’est pour lui et pour eux tous une autre source de lumière. Le festival vis-à-vis ouvre les ateliers théâtre qui se tiennent quotidiennement dans les prisons françaises à la possibilité de sortir de prison pour se produire en public, hors les murs. Et, de manière concomitante, impose une exigence qui fasse se rencontrer professionnalisme et amateurisme. On se souvient que l’Iliade mis en scène en 2016 par Luca Giacomoni avait beaucoup tourné après le festival, quand les détenus avaient achevé leurs peines. Les anciens détenus qui deviennent comédiens, comme certains de ceux qu’on a pu voir dans le Marius de Pommerat restent cependant rares, des exceptions. Ce qu’apportent ces ateliers et ce festival aux détenu.e.s n’en est pas moins tout à la fois multidimensionnel et inestimable. Au sens propre du terme. A la fois peu et beaucoup. On imagine pêle-mêle : sortir de sa cellule, avoir un projet, jouer, s’amuser, être content de soi, se prouver des choses, s’impliquer, se dépasser…Le temps d’un atelier, on a pu voir des hommes de tous âges devenir des élèves. Dans une salle de 4 mètres sur 12, aux fenêtres hautes et grillagées, des détenus se métamorphoser en étudiants d’une classe ordinaire avec sa palette de caractères : le populaire, le dissipé, le taiseux… Avec ce texte de Jack London qui ausculte l’art noble avec une précision clinique, on les a vus travailler, s’amuser, rire comme des gamins quand ils se trompaient. Porter finalement, de manière plus touchante que jamais, et dans un autre sens certainement, ce titre de « reste du monde ». Prisonniers mais semblables. C’est aussi dans les yeux de ceux qui les regardent que le festival apporte sa lumière.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
*Le prénom a été modifié
Programme
2 mai
→ 19h
Encore la fin du monde
Antony Quenet / Cette compagnie-là / Centre de détention de Melun
théâtre
C’est une partie de pétanque en plein désert autour du mythe d’Œdipe. Casser le mythe avec quelque chose qui n’appartient à rien. Comme un sport auquel on ne s’entraine pas. On ne s’entraine pas pour la pétanque, on y joue. Comme pour ton poème, ta vie, ta ville (ton désert en somme). Le destin une fois accompli qu’il aille se faire foutre. Tu ne le sers plus. Lui s’arrête, accompli, repus. Mange le. Mange le fort.
Blossom
Sandrine Lescourant / Cie KILAÏ / Maison d’arrêt de Seine-Saint-Denis avec le Théâtre Louis Aragon, Scène conventionnée d’intérêt national Art et création – danse à Tremblay-en-France
danse / performance participative
« Je crois qu’il existe une vérité tapie en chacun de nous qui nous pousse à danser. Proche de l’instinct de survie et loin d’un simple désir épidermique, je crois que tout de nous aspire à s’élever quand la danse nous gagne. » Pièce chorégraphique hybride et participative à la croisée du spectacle, du concert et de la chorale, Blossom est une invitation à engager nos corps et nos voix, à se (re)connecter avec notre part libre.
3 mai
→ 19h
Méduse
Fanny Catel, Raoul Fernandez / Centre pénitentiaire de Caen avec la Comédie de Caen, CDN de Normandie
théâtre
Méduse. Cet animal marin, beau et effrayant, dont le nom vient d’un personnage de la mythologie, a inspiré de nombreux·es artistes depuis l’antiquité. Une femme, attirante et dangereuse, un personnage présent dans nos imaginaires collectifs, même si nous connaissons peu sa véritable histoire. Après avoir vu l’exposition Sous le regard de Méduse au Musée des Beaux-Arts de Caen, les personnes détenu·es du centre pénitentiaire de Caen reviennent sur le mythe, le revisitent, l’interrogent à la lumière de notre époque et en donnent une version théâtrale joyeuse et décomplexée.
Je t’épouserai / allégorie du Reicko
Willy Pierre-Joseph / Cie du Reicko / Centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis
danse et vidéo
Je t’épouserai / allégorie du Reicko est une oeuvre chorégraphique où il est question d’hommes en détention qui, motivés par une promesse de mariage, se projettent et se remobilisent pour « la vie d’après ». Leur quotidien est mis en mouvement par le corps et l’esprit à travers l’espace restreint des scénographies. La danse se dévoile par l’évolution des contraintes spatiales, telles des étapes d’un parcours à sublimer, motivé par l’amour. Fenêtre sur des mondes intérieurs, la présence de la vidéo nous invite à rencontrer autrement les histoires individuelles des interprètes.
4 mai
→ 19h
Ici et là, suites
Claire Jenny / Cie Point Virgule / Centre pénitentiaire du Sud-Francilien avec l’Atelier de Paris / CDCN
danse
Ici et là, suites fait vivre la création chorégraphique partagée Ici et là (mai 2023) dans des espaces/temps plus étendus, et en renouvelle les enjeux artistiques : des nuances de regards, des ouvertures d’espaces intérieurs du corps, des chemins de construction/reconstruction des corps dans l’espace, des mobilités qui dialoguent avec des paysages imaginaires ou réels, avec l’Autre…
et aussi le 19 nov 2024 au Théâtre Jean Vilar (Vitry sur Seine)
Adaptation de la nouvelle Le Ring de Jack London
Juliet O’Brien, Alexandre Delawarde, Nar6 compagnie, Centre pénitentiaire de Fresnes
théâtre
C’est l’histoire d’un vieux boxeur qui a eu ses heures de gloire et qui va livrer son dernier combat. Il est père, mari et endetté auprès de son logeur et des commerçants : il doit gagner ce combat. Pour London, cette nouvelle est un prétexte pour jeter un regard à la fois flamboyant et critique sur le cycle de la vie, une jeunesse conquérante, inarrêtable qui ne cesse de conquérir le monde ; insouciante des réalités des générations qui les précèdent. C’est aussi un combat qui a lieu entre la fougue et l’expérience.
5 mai
→ 17h30
Et Pourtant
Serge Hureau, Olivier Hussenet / Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin-Neufmontiers avec Le Hall de la Chanson – Centre national du patrimoine et de la chanson et Le Théâtre-École des répertoires de la chanson – École supérieure
chanson
Les hommes sont souvent peu enclins à laisser paraître leurs émotions. La sensibilité masculine d’Aznavour, né de parents arméniens, est au coeur de ce chantier alliant formation artistique et création. Le spectacle final empruntant au jazz, mélancolie du blues et joie du swing, et aux musiques du monde ses métissages, a pour titre Et Pourtant, pour dire le courage d’aimer la vie malgré les épreuves.
et aussi les 17, 22 et 24 mai 2024 au Hall de La Chanson
Sombrero
Julien Perez, Thomas Cerisola / Centre pénitentiaire de Paris-La Santé
création sonore et théâtrale
Sombrero créé de toute pièce l’environnement sonore d’un match de football fictif et en fait le récit sur scène par la chorégraphie et la scénographie. Un match de football ne se réduit pas au seul point de vue des joueurs et à leurs actions sportives, il s’agit d’imaginer également ce qui se passe autour du match. Le spectateur adoptera ainsi différents points de vue/d’écoute qui lui permettront d’embrasser le match se déroulant sous ses yeux dans sa dimension la plus collective et spectaculaire comme dans ses aspects les plus intimes.
installations permanentes
13,5 milliards d’années en 5 minutes
Flora Molinié / Centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis
Court-métrage d’animation
La création et l’évolution de la vie, du big bang à notre civilisation. Une épopée cosmique qui traverse les millénaires. La naissance de la matière, des étoiles qui se forment, les galaxies et les planètes, dont la Terre. Un récit qui traverse les frontières du temps et de l’espace à travers différentes techniques d’animation en stop-motion.
Questions de genre
Amandine Maas / Maison centrale de Poissy / Art exprim
exposition
L’exposition restitue le travail effectué lors d’un workshop de peinture de portrait, qui engageait des discussions autour du genre, de la masculinité, de la féminité et des stéréotypes associés. Chaque séance s’inspirait de l’oeuvre d’artistes portraitistes reconnus pour avoir opéré des décalages dans les clichés de genre établis. L’idée est d’utiliser l’observation inhérente au travail de peinture pour faire opérer quelques aménagements symboliques dans l’adéquation homme=viril/femme=féminine et explorer des alternatives aux conceptions présentes dans les médias.
Esprit étriqué
Philippe Petit / Maison centrale de Poissy / Poissy TV / avec l’École nationale supérieure des arts de Paris-Cergy
vidéo
Esprit étriqué est un clip de rap conçu à partir d’un texte écrit et chanté par Joe. Tourné dans le cadre de Poissy TV, atelier vidéo fondé par Gallien Déjean (professeur à l’ENSAPC) au sein de la maison centrale et s’appuyant sur les principes d’auto-gestion de de co-création le film a été réalisé par B. K. en collaboration avec le réalisateur Philippe Petit et une équipe de tournage composée de personnes détenues et d’étudiant·es de l’ENSAPC.
L’écho des murs
Luna Ragheb / Maison centrale de Poissy / Art exprim
podcast
« La culture en prison… Pour beaucoup, cette expression doit frôler la notion d’oxymore, tant la population carcérale est stigmatisée, et trop souvent assimilée à un ensemble d’individus décérébrés et sans éducation. Pourtant, la culture a une vraie place derrière ces murs gris. » Ainsi débute le podcast L’écho des murs. Pendant plusieurs mois, les participants ont suivi des ateliers de peinture, des cours d’éloquence, discuté de films, lu des livres et interviewé leurs auteurs… Tout cela derrière ces « murs gris », où la culture prend vie et se débat.
ostrakon
Marion Lachaise / Centre pénitentiaire Sud-Francilien
exposition
ostrakon est pensé comme une traversée réelle, symbolique et sensitive de ce que recouvre l’acte de juger à la cour d’assises. Nous y interrogeons le regard et le silence ou comment les visualiser et leur donner sens. Le projet se construit en deux résidences simultanées, l’une relevant de la cour d’assises sur le territoire, l’autre à la prison de Réau avec un groupe mixte de détenu·es.
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