Le chorégraphe présente à la Villette sa dernière pièce créée avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève et offre un bel instant suspendu entre ciel et terre.
Après avoir travaillé entre autres avec le Ballet de Lyon (Tout autour) et le Ballet de Lorraine (Murmuration), Rachid Ouramdane a rencontré cette année celui du Grand Théâtre de Genève avec lequel il a souhaité partager son désir de hauteur et sa soif d’absolu. Ainsi, il embarque ses vingt-et-un interprètes dans un mouvement ample et continu qui s’apparente à celui d’une nuée.
Des fils tendus à l’horizontal strient un espace nu comme les câbles électriques sur lesquels se posent les hirondelles et les étourneaux. Devant un ciel d’une blancheur à la fois nébuleuse et éclatante puis aux couleurs changeantes (très beaux éclairages de Stéphane Graillot), et portée par la composition musicale pour quatre pianos bouillonnants et hypnotiques de l’américain Julius Eastman, une communauté d’hommes et de femmes en justaucorps académiques dans les tons sombres, suit à vive allure d’infinies lignes droites et multidirectionnelles et trouve avec souplesse et légèreté le juste équilibre entre l’ancrage au sol et le geste aérien. C’est une constante dans son travail, Ouramdane adopte une attention toute particulière à la manière dont s’organise l’être ensemble sur le plateau, à ce qui relie et réunit les interprètes les uns aux autres. Sur un rythme effréné, ils se croisent, se rejoignent, s’entrelacent furtivement et repartent aussitôt. La pièce commence et donne immédiatement à voir l’agitation frénétique, quasi mécanique, du monde et l’envie probable d’essayer d’y échapper. Happée par sa course folle, la foule se livre à d’incessants aller-retours et aux étourdissantes girations bras tendus à l’équerre qui sont une des marques de la danse d’Ouramdane.
Depuis le début des années 2000, le chorégraphe décline une esthétique aussi épurée que métissée de la danse. Sa dernière pièce, Corps extrêmes, mettait en scène une équipe de grimpeurs voltigeurs issus de l’univers du sport et du cirque, qui tout en performant invitait à s’interroger sur une pratique réclamant de la prouesse, et mettant tout autant à l’épreuve la puissance et la vulnérabilité physiques et mentales. La notion de risque occupait le cœur du propos, et ce jusqu’au vertige. Il y a comme une belle et évidente continuité entre cet opus et Outsider, où, à nouveau, Ouramdane invite quatre highliners à prendre place dans les hauteurs du plateau. Cette fois, le discours s’efface. C’est dans un calme silencieux que se hissent et se suspendent les funambules au pas lent et rêveur sur leurs fils respectifs.
C’est alors sous l’égide de ces figures mi-oiseaux mi-anges bienfaiteurs que la communauté affolée trouve la sérénité recherchée et se montre d’une vitalité plus rassérénée. Magnifiquement engagés, superbes de fluidité, de virtuosité et de sensibilité, les danseurs et danseuses forment un corps de ballet qui apparaît comme revivifié. A l’occasion de mouvements et des portés acrobatiques, les danseurs passent de bras en bras et grimpent sur les épaules de leurs partenaires pour tenter de tutoyer le monde d’en-haut.
Il y a chez Ouramdane une capacité à ne pas imposer de sens clôt mais plutôt à conférer à sa danse abstraite une dimension à la fois organique et métaphorique. Outsider en est un édifiant exemple. La quête d’élévation qu’elle raconte avec ce qu’il faut de poésie et de délicatesse révèle la fragilité de la condition humaine tout autant qu’elle célèbre la force de ses aspirations.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Outsider
Création mondiale
Chorégraphie Rachid Ouramdane
Scénographie Rachid Ouramdane & Sylvain Giraudeau
Lumières Stéphane Graillot
Costumes Rachid Ouramdane & Gwladys Duthil
Musique Julius EastmanBallet du Grand Théâtre de Genève
Avec quatre paniste de la HEM sous la direction de Stéphane Ginsburgh :
Adrián Fernández García | Pilar Huerta Gómez | Lucie Madurell | Luca Moschini
Avec le highliner et funambule moderne Nathan Paulin et d’autres sportif·ve·s de l’extrêmeNouvelle production
en coproduction avec Chaillot – Théâtre national de la Danse
Production La PlageDurée : 1h10 sans entracte
Grand Théâtre de Genève
du 3 au 5 mai 2024Chaillot – Théâtre national de la Danse
du 21 au 24 juin 2024
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