Au fil d’une conférence imaginaire, Émilie Le Borgne fait entendre l’analyse d’Umberto Eco sur le personnage de Ian Fleming, qu’elle illustre sur les planches avec trois comédiens. Une jolie réussite.
L’idée est incongrue, l’idée est originale : servir James Bond sur un plateau (de théâtre). En examinant les romans de Ian Fleming. En déconstruisant son iconique personnage. En comprenant l’insatiable désir du public de retrouver à l’écran son indéboulonnable 007, année après année, malgré les ressorts machos, réactionnaires et racistes qui l’animent ; en dépit de la pensée féministe actuelle et de l’onde de choc sociétale provoquée par le mouvement #Meetoo qui aurait pu mettre fin à sa carrière.
Tel est le projet de la metteuse en scène Émilie Le Borgne, repérée avec ses Chroniques martiennes (2019) et ses Nouvelles du Cosmos (2020). Dans un spectacle court et punchy : 1h 15. Sur un plateau conçu comme un ring de boxe, avec son dispositif quadrifrontal. Avec un texte essentiellement adapté d’un article de Umberto Eco, publié en 1966 (James Bond : une combinatoire narrative) sur l’étude narrative de Fleming. Cette pièce est en quelque sorte la mise en scène d’une conférence imaginaire qu’aurait pu animer l’intellectuel italien (ici campé par Émilie Le Borgne), illustrée par James Bond (Mathieu Sinault), ses James Bond Girls et Goldfinger (Armelle Dousset), au fil de saynètes clefs et de brèves chorégraphies.
Et l’on s’y sent bien devant ce plateau. Parce que la parole d’Eco est intelligente, et qu’elle n’a pas vieilli. Parce qu’Émilie Le Borgne est très à l’aise dans son costume de conférencier sixties, avec la distance, la justesse et l’autodérision adéquate. Parce que, surtout, de beaux moments de théâtre ont lieu sur ces planches : les comédiens y sont élégants et élégamment mis en scène, poétiques et poétiquement chorégraphiés. Tantôt sensuels, tantôt bagarreurs. Pilotés comme des marionnettes chargées de nos affects. À la fin du spectacle surtout, quand celui-ci bascule dans l’onirisme, dès lors qu’Émilie Le Borgne s’approprie réellement son sujet. Elle prend la parole pour nous raconter son rapport intime et ambivalent avec 007.
Paradoxalement, c’est à ce moment-là que l’on entrevoie les limites du projet. Au fond, on aurait aimé entendre moins d’Umberto Eco et davantage d’Émilie Le Borgne. Que son point de vue ne soit pas à la périphérie du texte, mais au cœur de celui-ci. Sûrement, le résultat aurait été plus actuel et plus personnel encore. Néanmoins, cette pièce qui entreprend un cycle consacré aux héros est une réussite. On a envie d’en voir plus, sur des personnages très différents. Vite, la suite.
Igor Hansen-Løve – sceneweb.fr
Il y a plus de lumière sur votre visage
Mise en scène Émilie Le Borgne
Interprétation Armelle Dousset, Matthieu Sinault, Émilie Le Borgne
Collaboration artistique Hélixe Charier, François Ripoche
Régie plateau Maureen Cleret
Création lumière Hélène Coudrain
Régie son et création sonore François Ripoche
Dispositif et création sonore Michaël Goupilleau
Stagiaire assistant à la mise en scène Arnaud Truillet
Construction Julie Bernard, Jean-Philippe Boule, Maureen Cleret, James Clochard, Samuel Magnan, Charly Pin
Création robes et retouches costumes Janie Le Borgne
Accompagnement production / diffusion Manu Ragot
Logistique Fabien De Lacheisserie
Administration Josselin Tessier
Durée : 1 h 15
TAP, Scène Nationale de Poitiers – En coréalisation avec le Méta, Centre Dramatique National Poitiers-Nouvelle-Aquitaine
du 19 au 26 mars 2024Théâtre Quintaou, Anglet – Scène nationale du Sud Aquitain
les 2 et 3 avrilM270, Floirac
le 12 avril
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