Jennifer Lesage-David s’associe à Emmanuelle Laborit autour d’une création bilingue, intime et délicate sur les violences conjugales au sein des couples sourds.
Les deux co-directrices de l’International Visual Theatre, pourtant proches, n’avaient pas collaboré artistiquement ensemble depuis leur prise de poste en 2014. C’est chose faite avec Tellement sympa. Les deux artistes, metteuses-en-scène, autrices et comédiennes à la tête de l’IVT, institution de référence dans la diffusion de la culture sourde, allient ici leur expertise et leur sensibilité dans une création qui revient sur les violences patriarcales au sein de leur communauté.
Les violences sexistes et sexuelles existent partout mais sont une réalité d’autant plus prégnante dans la communauté sourde rappellent-t-elles. Si l’isolement des femmes victimes est structurel, les outils pour les accompagner sont particulièrement inappropriés aux personnes sourdes : si le 114 (numéro d’urgence national adapté) existe, les services formés à l’accueil des personnes sourdes sont rares dans les structures d’aide aux femmes victimes de violences conjugales. “Le tabou existe encore, admet Wahiba Faure, de l’association Femmes sourdes citoyennes et solidaires, présente à chaque représentation pour échanger avec le public et orienter les personnes qui en exprimeraient le besoin. Les sourds ne se sentent pas forcément concernés par la question, il y a encore un travail important de pédagogie à mener.”
Ici, nous suivons les trajectoires de Béatrice et Sohanne, deux amies d’enfance qui tentent de se soutenir l’une l’autre au travers des méandres de leurs couples respectifs. La première est démunie : son couple dysfonctionne, elle s’en rend bien compte, mais systématiquement malheureuse en amour, elle est persuadée que le problème vient d’elle. Son amie, sourde comme elle, tente tant bien que mal de lui venir en aide, mais ne sais pas toujours l’écouter.
Le texte est signé sur scène par les deux comédiennes, Emmanuelle Laborit – que l’on n’avait pas vu au plateau depuis 2017 avec Dévaste-moi, mis en scène par Johanny Bert – et Isabelle Voizeux. Leurs voix sont données en direct hors plateau par Virginie Lasilier et Isabelle Lelièvre. “Je voulais que l’on se concentre sur le corps des deux comédiennes sur scène, explique Jennifer Lesage-David, au texte et la mise en scène. L’enjeu ça a vraiment été de travailler au rythme entre les deux langues, pour que l’une et l’autre se complètent.” Ici pas de traduction mot à mot, mais un travail linguistique et syntaxique abouti pour que les deux langues cohabitent et participent à leur manière à la théâtralité du récit et que chaque personne présente dans le public, sourde comme entendante, soit immergée au même niveau.
Les contraintes sont pourtant nombreuses : les deux comédiennes doivent signer face au public, en pleine lumière, pour être vu de tous et toutes, tout en étant en dialogue au plateau. La tâche leur est simplifiée par une astuce scénique : chacune des deux amies habitant à l’autre bout de la France, elles échangent souvent par visio. Ainsi, pendant que l’une des deux comédiennes est sur scène, l’autre en coulisse est retransmise par vidéo projection, face au public.
Peu à peu, à demi-mot, la violence transparaît en creux dans les échanges entre les deux femmes, matérialisée au plateau par deux silhouettes noires encapuchonnées, menace anonymes et silencieuses qui plane sur les corps des deux femmes. Silhouettes qui resteront discrètes, un engagement corporel plus marqué aurait peut-être permis de diversifier l’alternance entre le plateau et la vidéo-projection qui, quoique nécessaire, n’en reste pas moins redondante.
Avec une scénographie minimaliste, un récit simple et puissant, l’enjeu ici ne réside pas dans l’innovation narrative ou visuelle, mais bien dans le regard unique et précieux de Jennifer Lesage-David et d’Emmanuelle Laborit qui, de par leur expertise et leur sensibilité savent à merveille créer des ponts entre deux cultures, celles des entendants et celle des sourds, tout en faisant résonner la langue des signes comme matériau visuel, corporel et syntaxique inestimable.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Tellement sympa
Écriture, scénographie et mise en scène : Jennifer Lesage-David
Avec Emmanuelle Laborit, Isabelle Voizeux, Virginie Lasilier et Isabelle Lelièvre
Assistanat à la mise en scène : Marine Servain
Création vidéo : Virginie Premer
Création lumière : Elsa Revol
Costumes : Elodie Hardy
Régie générale et lumière : Mille Zhong
Régie son et vidéo : Charlotte NotterProduction IVT – International Visual Theatre
Coproduction Théâtre du Point du JourDurée : 1h
Du 05 au 16 mars 2024
International Visual Theatre – ParisDu 26 au 29 mars
à l’institution Notre Dame des Minimes, et au Lycée Branly, Lyon
dans le cadre de la saison du Théâtre du Point du Jour3 avril
Université Paris Cité, Paris
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