Lors de sa conférence de presse, le président de la République, Emmanuel Macron, a souhaité « que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine ». Initier les enfants au théâtre, les artistes le font au quotidien dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle. Une bonne nouvelle ? Avec quels moyens ? Les réponses de Laëtitia Guédon, metteuse en scène et directrice des Plateaux Sauvages à Paris, Olivier Letellier, metteur en scène et directeur des Tréteaux de France – CDN, et Joris Mathieu, metteur en scène et directeur du CDN – Théâtre Nouvelle Génération à Lyon.
Quelle a été votre réaction à l’annonce d’Emmanuel Macron ?
Laëtitia Guédon : Aux Plateaux Sauvages, nous avons développé un lieu unique qui est au carrefour des mondes, au carrefour de la création professionnelle et de la transmission artistique. On ne peut donc que se réjouir du fait que l’école soit renforcée dans sa dimension de transmission. Chez nous, les artistes viennent à la fois créer et partager leur processus de travail. Ils viennent rencontrer des jeunes gens et monter des ateliers avec une dimension très importante sur la question de la transmission. J’aime beaucoup cette phrase d’Antoine Vitez qui disait : « Au fond, le théâtre, c’est partir de soi ». Le théâtre, c’est aussi regarder l’autre dans une dimension nouvelle. Les réseaux sociaux utilisés par les jeunes prônent une société de l’instantanéité, plus que du présent. Or, le théâtre est un art résolument au présent, qui permet aux gens d’aller vers l’autre, de le regarder dans son unicité et donc de se regarder soi-même. Je suis vraiment très heureuse que le théâtre soit mis en avant dans une époque où le numérique envahit nos vies.
Olivier Letellier : Je me réjouis d’entendre qu’il est essentiel qu’on soit en contact avec la culture, avec les œuvres dès le plus jeune âge et notamment, surtout, au niveau du théâtre. Alors, après, cela pose la question de savoir si cela se fera plutôt par une approche avec des écritures contemporaines ou avec des textes classiques. Est-ce que ce sera de la littérature en costume, de l’analyse de textes ou bien des ateliers pour rencontrer les œuvres ?
Joris Mathieu : La première réaction, la mienne et celle de notre secteur, c’est d’être intéressé par la proposition. Mais, tout de suite, la deuxième question qui se pose, c’est comment cet enseignement va être mis en œuvre et comment ce projet sera articulé de manière transversale entre le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Culture afin de garantir aux élèves des collèges que l’enseignement proposé se fasse en lien direct avec les professionnels de la culture et qu’il s’inscrive dans des parcours artistiques avec nos théâtres et nos équipes pour proposer, à la fois, de la pratique artistique, de la pratique de spectateur et une mise en perspective critique de cette expérience. C’est comme ça que se construit la transmission à l’enfance et la jeunesse.
Quelles sont les vertus du théâtre sur la jeunesse ?
Laëtitia Guédon : C’est vraiment une expérience cathartique totalement merveilleuse. Aux Plateaux Sauvages, on accueille énormément de jeunes. On se rend compte qu’il y a une appétence très, très forte pour le théâtre. On est dans cette expérience de la suspension du temps. À chaque fois que des jeunes viennent au théâtre, on les prépare, on travaille avec eux, on les rencontre et c’est quelque chose de puissant. Donc oui, cette expérience est valable pour les enfants, mais aussi pour les grands enfants que nous sommes. Le théâtre pour tout le monde aujourd’hui devrait être un rituel hebdomadaire et régulier, que l’on s’impose pour revivre cette expérience d’être avec l’autre et de le regarder différemment.
Olivier Letellier : C’est une expérience du collectif, du vivre-ensemble, de partager des émotions, de fabriquer quelque chose, de s’exprimer avec des mots d’auteurs, de s’exprimer devant les autres. Ça donne confiance en soi. Ça permet aussi d’avoir un autre regard sur les autres. C’est forcément une expérience qui permet de grandir différemment. Et je ne peux que me réjouir de savoir que les collégiens pourront avoir cette expérience-là.
Joris Mathieu : La prise de confiance en soi, la maîtrise de l’oralité, l’apprentissage de la langue française, la découverte des grands textes, ce sont des éléments importants et fondateurs. Mais pour moi, la vertu principale, c’est ce déclic de l’imaginaire, la stimulation de la créativité et la confrontation avec l’autre, l’inconnu, l’étranger, celui qui va jouer avec nous et qui va nous surprendre. Celui qui a écrit une œuvre et qui pose des questions que l’on ne se posait pas avant de s’en emparer. L’acte théâtral permet, au-delà de la pratique orale, de parler et de débattre du monde, de la société et de projeter des imaginaires.
Se posera très vite la question des moyens financiers, avez-vous les budgets nécessaires pour augmenter l’éducation artistique et culturelle au sein de votre structure ?
Laëtitia Guédon : Ce que l’on espère avec ces mesures, c’est qu’elles permettent d’avoir des moyens pour renforcer les liens et les passerelles qui existent déjà entre les théâtres et le corps enseignant. Parce que préparer des enfants pour aller au théâtre, les accompagner sur des ateliers de transmission artistique en marge des spectacles, ça demande du temps et des moyens. Il y a énormément de lieux partout en France engagés dans ce travail. Il va falloir que les enseignants disposent de plus de temps pour accompagner ces projets. Ce qu’on espère, c’est de mobiliser aussi les acteurs culturels car on travaille avec des artistes qui inventent de nouvelles formes pour les salles et qui circulent aussi dans des collèges, des lycées, des foyers de jeunes travailleurs, des associations de retraités, des centres sociaux.
Olivier Letellier : Alors je ne sais pas qui sera chargé de cet enseignement. Les artistes ? Les enseignants ? Est-ce qu’on va demander aux comédiens, metteurs en scène, auteurs d’y participer ? Ce serait génial dans leur cursus. Mais là, cela ne peut se faire qu’avec les moyens de l’Éducation nationale. Nos maisons n’en ont pas les moyens. Ce qui est intéressant, c’est que les théâtres vont devoir accueillir plus de jeunes spectateurs, des collégiens sur le temps scolaire. Donc là, on va poser la question des spectacles qui leur sont dédiés dans tous les lieux de programmation. J’espère qu’il y aura un échange entre le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale pour se coordonner.
Joris Mathieu : La question des moyens est une réelle question. Je souhaite qu’elle soit transversale entre l’Education nationale et la Culture. Mais, au-delà de la question financière, ce qui me semble important de dire aujourd’hui, avec la nomination de ce nouveau gouvernement et l’arrivée d’une nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, c’est que, alors que l’on entend évoquer fortement le terme de « réarmement civique », on attend de notre ministre que ce « réarmement » passe par une réaffirmation du soutien et de la solidarité à l’action des directions et des équipes des lieux de service public de la culture qui, au quotidien, œuvrent déjà pour le partage de l’art et de la culture. On entend fleurir, ici et là, dans les commentaires, une petite musique populiste qui dit que notre secteur est celui de l’entre soi, qu’il est élitiste. Or, notre projet est tout sauf élitiste. La ministre de la Culture a cette responsabilité de mettre un terme à ce refrain qui est insultant par rapport au travail mené au quotidien sur le terrain par les acteurs de la démocratisation culturelle.
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