Le 6 décembre 1989 à l’École polytechnique de Montréal, au Québec, Marc Lépine, âgé de 25 ans, ouvre le feu sur vingt-huit personnes. Il tue quatorze femmes et blesse treize autres personnes, avant de se suicider. Depuis cinq ans, Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher se penchent sur le choc de ce féminicide pour en mesurer les conséquences encore aujourd’hui. Après avoir créé un laboratoire et une émission balado, ils viennent de créer un spectacle de théâtre documentaire, en tournée au Québec.
Peut-on expliquer l’intelligence artificielle, raconter un féminicide de masse ou la problématique autour des OGM… sur les planches ? C’est le pari fait par le théâtre documentaire québécois qui ne cesse de se développer et d’attirer les foules dans la province francophone canadienne. Comme pour un film documentaire, tout commence par une longue enquête qui donne la parole à tous les protagonistes, aux points de vue différents… Reste ensuite aux acteurs à trouver comment mettre en scène cette matière.
« Amener le réel sur scène est un défi » d’autant plus que « l’on aborde des sujets complexes », raconte à l’AFP Marie-Joanne Boucher, actrice qui a co-monté Projet Polytechnique. Les deux acteurs principaux de cette pièce documentaire racontent le drame mais poussent également le public à s’interroger avec eux : que peut-on faire pour prévenir d’autres fusillades de cette ampleur ?
Tour à tour, le spectateur est confronté à la parole d’une survivante, d’un des premiers policiers sur place, celle d’un amateur d’armes à feu, puis au discours de masculinistes qui continuent des années plus tard à justifier en ligne l’attaque ou vénérer le tueur.
« On dit au spectateur: Venez au théâtre, vous allez être divertis mais vous allez aussi sortir avec une meilleure vue d’ensemble de la société d’aujourd’hui », renchérit Annabel Soutar, cofondatrice de la compagnie Porte Parole, pionnière du genre dans la province. Au cours des deux dernières décennies, sa compagnie a produit une vingtaine de pièces sur des thèmes aussi divers que l’hydro-électricité, les OGM ou les soins de santé. Depuis, de nombreuses autres compagnies lui ont emboité le pas. « Il y a une mission sociale mais pas de compromis sur le côté spectacle », ajoute Annabel Soutar.
Apparu dans les années 1920 en Allemagne puis en Russie, le théâtre documentaire sert au départ à diffuser l’idéologie communiste. Il se développe ensuite à travers le monde et délaisse la propagande pour se concentrer sur des événements politiques ou sociaux. Au Canada, c’est plutôt dans la partie anglophone du pays qu’il se fait connaitre dans les années 1970 mais c’est maintenant au Québec qu’il est le plus développé. Aujourd’hui, dans la province, une pièce sur quatre appartient au genre, selon Hervé Guay, universitaire qui a codirigé un ouvrage sur ce thème (L’interprétation du réel: théâtres documentaires au Québec). Parmi les raisons de ce succès, entre autres, la « variété esthétique » et la complicité développée avec le public. C’est aussi une façon « de s’ouvrir sur énormément de sujets, parfois surprenants« , raconte Emilie Cabouat-Peyrache, habitante de Montréal et amatrice de théâtre. « Et surtout, ce que j’aime, c’est que l’on y découvre des techniques de mise en scène originales et innovantes », ajoute-t-elle.
« Nous sommes à l’apothéose du théâtre documentaire parce que la société québécoise est mûre pour être connectée à des enjeux sociaux« , estime Justin Laramée. Ce dernier a monté Run de lait, spectacle qui traite de la disparition des petites fermes québécoises, du système des quotas laitiers et de la santé mentale des agriculteurs. Il se félicite d’avoir pu jouer devant des salles où se trouvaient urbains comme agriculteurs. « Cela a ouvert le dialogue et nous en avons besoin actuellement ».
Offrir une « plongée dans un univers » méconnu, c’était également l’objectif d’Anaïs Barbeau-Lavalette et d’Emile Proulx-Cloutier pour leur spectacle Pas perdus. « On vit dans une société avec beaucoup de bruit, de prises de position, mais pas nécessairement beaucoup de profondeur, et je pense que l’on a besoin d’un retour à une authenticité« , explique l’autrice. Ce « documentaire scénique » qui est une réflexion sur l’identité, la mémoire autour de la gigue (une danse), s’appuie sur de longs enregistrements sonores ponctués par des moments dansés. « Nous voulions que le spectateur soit dérouté », explique Emile Proulx-Cloutier. « Et cela fonctionne, nous avons énormément de retours de spectateurs qui se disent bouleversés. »
Marion Thibaut © Agence France-Presse
Projet Polytechnique
Idéation et texte Marie‑Joanne Boucher et Jean‑Marc Dalphond
Dramaturgie et collaboration au texte Alex Ivanovici et Annabel SoutarCollaboration au texte Stéphan Allard
Mise en scène Marie‑Josée BastienCollaboration au texte
Stéphan AllardAssistance à la mise en scène et régie
Stéphanie Capistran‑LalondeDécor
Marie‑Renée Bourget HarveyCostumes
Cynthia St‑GelaisÉclairages
Etienne BoucherSon et musique
Ludovic BonnierConception sonore et sonorisation
Philippe RobertVidéo
Amelia ScottMaquillages et coiffures
Justine Denoncourt‑BélangerAssistance aux costumes
Juliette Dubé-TylerAssistance au décor et accessoires
Marie McNicollProjet Polytechnique est une création écoresponsable de Porte Parole
en coproduction avec le Théâtre du Nouveau Monde, Diffusion Inter‑Centres et Écoumène.Ce spectacle est soutenu par le Fonds national de création du CNA, le Conseil des arts et lettres du Québec, le Conseil des Arts du Canada, et le Conseil des arts de Montréal.
Une création écoresponsable de Porte Parole
en coproduction avec le TNM, Diffusion Inter-Centres et ÉcoumèneEn tournée au Québec en 2024
18 janvier, 20 h, Sainte-Thérèse, Théâtre Lionel-Groulx
23 janvier, 20 h, Québec, Salle Albert-Rousseau
26 janvier, 20 h, Shawinigan, Philippe-Filion du Centre des arts
3 février, 20 h, Saint-Jean-sur-Richelieu, Théâtre des deux rives
8 février, 20 h, Saguenay, Théâtre C
11 février, 19 h 30, Granby, Le Palace
13 février, 20 h, Sherbrooke, Salle Maurice O’Bready
18 février, 20 h, Saint-Jérome, Théâtre Gilles-Vigneault
20 février, 19 h 30, Terrebonne, Salle Desjardins
13 mars, 19 h, Victoriaville, Carré 150
16 mars, 20 h, Joliette, Centre culturel Desjardins
19 mars, 19 h 30, L’Assomption, Théâtre Hector-Charland
28 mars, 20 h, Saint-Hyacinthe, Centre des arts Juliette-Lassonde
5 avril, 19 h 30, Laval, Salle André-Mathieu
10 avril, 19 h, Longueuil, Salle Pratt & Whitney
23 avril, 19 h, Trois-Rivières, Salle J.-Antonio-Thompson
26+27 avril, 20 h, Gatineau, Maison de la culture, salle Odyssée
30 avril, 19 h 30, Drummondville, Maison des arts Desjardins
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