L’événement, l’avortement clandestin traumatisant vécu par l’écrivaine Annie Ernaux dans les années 1960, est porté au Théâtre de l’Atelier à Paris par Marianne Basler. Un « témoignage » mais aussi « une forme d’alerte » en plein débat parlementaire sur l’inscription de l’IVG dans la Constitution.
Dans ce roman publié en 2000 seulement, alors que cette expérience « inoubliable » a eu lieu en 1963-1964, la prix Nobel de littérature 2022 dépeint les trois mois marquants de sa vie lors desquels, étudiante à Rouen, elle apprend sa grossesse, doit se mettre en quête d’une « faiseuse d’ange », débourser « 400 francs » de l’époque, subir un premier échec, recommencer, réussir, mais au prix d’une hémorragie qui lui fera frôler la mort.
Dans cette société, tout est figé: elle ne peut compter ni sur son partenaire, ni sur ses amis, ni sur sa famille et pas non plus sur le corps médical, à une époque où l’avortement clandestin est puni de prison pour celles qui y ont recours comme pour ceux qui les aident.
Au théâtre de l’Atelier, à Paris, jusqu’à fin mars, dans un décor noir et dépouillé, la comédienne belgo-franco-suisse Marianne Basler (59 ans), qui signe aussi la mise en scène, narre cette épreuve sidérante écrite à la première personne, sans fioriture, sous une forme presque clinique.
Dans ses habits noirs, entre une chaise et une table, l’actrice au teint diaphane dépeint cette « chose informe qu’il fallait détruire », la « peur » bien sûr, la violence infligée, l' »obligation d’aller jusqu’au bout » mais aussi « le droit imprescriptible » de ne pas se taire et d’écrire ce qu’elle a vécu.
Ce texte est « fondamental », « c’est un témoignage d’une époque et une forme d’alerte sur ce qui peut toujours se passer », assure Marianne Basler, relevant qu’existe « toujours ce désir d’une part de l’humanité de vouloir réduire l’autre, de contraindre ».
« C’est effarant, on en est toujours là, au Texas, en Hongrie, partout dans le monde, on continue à dire aux femmes que leur corps ne leur appartient pas », ajoute-t-elle.
Et de pointer aussi du doigt, en France, les réticences d’une partie des sénateurs au projet de loi constitutionnelle visant à consacrer la « liberté garantie » d’avoir recours à une IVG. « Ils (ne) peuvent pas lâcher ce morceau-là, ça m’épuise », dit-elle.
Fin janvier, l’Assemblée nationale a très largement adopté ce projet de l’exécutif mais le vote du Sénat sur ce texte examiné en séance mercredi prochain est encore incertain, en raison de fortes réserves sur sa formulation chez des élus de droite.
Pour Marianne Basler, qui interprète aussi « L’autre fille », adaptation d’un roman de la prix Nobel évoquant sa sœur décédée avant sa naissance, « la bonne surprise », ce sont les « retours » du public. Ces « échanges pendant et après », « cette mère et sa fille venues » lui parler, ces « hommes qui (lui) disent +ma mère, ma grand-mère est morte comme ça+ ».
Annie Ernaux sera aussi à l’honneur à partir de mercredi dans une exposition à la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris, liant quelque 150 œuvres à des textes tirés de « Journal du dehors » (1993), des retranscriptions de scènes de vie quotidienne dans les rues, les transports en commun, les magasins entre Cergy-Pontoise et Paris.
Karine Perret © Agence France-Presse
L’évènement de Annie Ernaux
© Éditions GallimardMise en scène et interprétation Marianne Basler
Collaboration artistique Jean-Philippe Puymartin
Création lumière Robin Laporte
Voix et sons Célestine de Williencourt
Mixage Thomas CorderoPhotographie © Mathilde Marc
Production Théâtre de l’Atelier
Avec le soutien du Théâtre du Grenier à Bougival
Remerciements Sophie Sutour et à son équipe du Théâtre de Bougival, Patrice Bertoncini et Lily Kargar, Claude Faber de la librairie Oxymore à Port-Vendres
Théâtre de l’Atelier
Du 13 février au 27 mars 2023
Mar. et merc. à 19h
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