Le metteur en scène oranais propose une nouvelle adaptation sensible et majestueuse de la pièce phare d’Abdelkader Alloula à travers un parti-pris audacieux, celui de présenter une version bilingue non sous-titrée.
« J’écris pour notre peuple avec une perspective fondamentale : son émancipation pleine et entière« . Ainsi Abdelkader Alloula, dramaturge considéré comme l’un des plus influents de la scène contemporaine algérienne, décrivait-il son travail. El Ajouad, traduit par « Les Généreux », écrite en 1984, dix ans avant l’assassinat de l’ancien directeur du Théâtre National Algérien dans un attentat à Oran, est une pièce composée de courtes fables retraçant le destin de travailleurs du quotidien. Au Théâtre-Studio d’Alfortville, chaque récit est présenté en semaine en une heure accompagné de balades. Le week-end l’ensemble des récits sont visibles dans une version de trois heures pour une immersion complète dans la théâtralité d’Alloula.
En cette première semaine de représentation, le destin de Djelloul El Fhaymi nous plonge dans les affres d’un hôpital public. Quand un jour un cadavre se réveille de la morgue suite à une erreur médicale, c’est une aberration de trop pour Djelloul, dont les nerfs sont déjà mis à rude épreuve au quotidien. C’est finalement tout l’hôpital qui se met à courir avec Djelloul, en prise avec ses colères que l’on suppose insurrectionnelles. C’est ainsi le destin de tous les travailleurs et travailleuses de cet hôpital qui se joue en creux : face à l’absurdité d’un système de santé inéquitable et dysfonctionnel, comment exister sans céder à la colère ?
La portée politique d’Alloula, fervent communiste, se joue à travers la poétique des récits de vie, sans jamais de visée péremptoire, engagée uniquement par l’unité des corps et une langue simple et sensible. Habité par la figure d’Arlequin, farceur populaire qui se joue des figures de pouvoir, le travail d’Alloula est celui d’un théâtre dit populaire, promouvant les créations collectives et l’utilisation d’une langue simple. Une esthétique que l’on retrouve ici : le simple horizon du théâtre comme unique décor, un cageot renversé, quelques lumières et des instruments de musique traditionnels algériens.
Mais c’est bien à travers un détail (qui n’en est pas un) que la démarche est poussée à son maximum : la version proposée par la compagnie Istijmam (Rihab Alloula, Houari Bouabdellah, Djaoued Bougrassa, Meryem Medjkane) associé au collectif Gena (Jean-Jérôme Esposito, Julie Lucazeau, Franck Libert) est une version bilingue non sous-titrée. Ainsi, l’étonnement passé, il faut accepter de ne pas tout comprendre (pour les non arabophone) et se laisser porter par la mosaïque des langues, qui se combinent parfaitement, portées par un choeur virtuose qui se distribue la parole, rebondit, traduit certains passages dans une énergie collective saisissante et une attention constante aux partenaires de jeu particulièrement émouvante. Le mime n’est jamais loin pour saisir les idées principales et communiquer l’humour de l’écriture d’Alloula, qui devient alors universelle. Des balades chantées viennent sublimer le tout – notamment grâce à la performance vocale de Houari Bouabdellah, accompagné de tambours, guitare et accordéon – comme des moments suspendus de communion.
L’adaptation de Jamil Benhamamouch est une proposition audacieuse, portée par une distribution de haute volée qui démontre avec sensibilité et finesse qu’un théâtre pour toutes et tous peut être celui, dépouillé d’artifice, d’une fable qui accepte de laisser toute la place à l’implication du spectateur au sein du conte par son seul pouvoir d’imagination.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
El Ajouad – Les Généreux
de Abdelkader Alloula
Nouvelle traduction de Rihab Alloula
Mise en scène : Jamil Benhamamouch
Avec : Djaoued Bougrassa, Franck Libert, Houari Bouabdellah, Julie Lucazeau, Jean-Jérôme Esposito, Meriem Medjkane, Rihab Alloula
Création lumière : Emeric TesteCrédit photos: Tufféry Mathilde
Productions
Compagnie IstijmamCoproduction
Collectif gêna
Théâtre-Studio, Direction Christian Benedetti, Alfortville, France.
Partenaires :
Cité des Arts de la Rue, Marseille, France.
CNAREP, Lieux Publics, France.
Avec le soutien de l’Institut français, Des mots à la scène,à Paris, France.
Avec le soutien de l’ Arab Fund for Arts and Culture – AFAC Beirut, Liban.
Avec le soutien de l’Institut français d’Algérie.
Les compagnies proposent le 1er récit la première semaine, un 2eme récit la deuxième semaine et un 3eme récit la dernière semaine. Les week-end les récits sont présentés groupés .
du 24 janvier au 11 février 2024
au Théâtre-Studio d’AlfortvilleRelâche les 29, 30 janvier et les 5 et 6 février
du mercredi au vendredi à 20h30 (durée 1h)
les samedis et dimanche à 16h (durée 3h avec entracte)
Très bon jeu d’acteur, une mise en scène très particulière, je tire chapeau à cette équipe pour son travail exceptionnel sur la pièce de Alloula ❣️