Léonie Pingeot s’allie avec Mazarine Pingeot pour revenir sur le destin multiple et intime de la chanteuse Juliette Gréco. Bien au-delà d’un biopic, la proposition percute quand elle vient questionner la notion d’identité.
Léonie Pingeot est une habituée des spectacles musicaux – l’une des premières créations de sa compagnie la Comédie Framboise s’appuyait sur les textes et les chansons de Boby Lapointe avec Jeux de mots laids pour gens bêtes en 2006, puis Redis-le me revenait en 2012 sur les facéties de Bourvil et Fernandel entre sketch et chansons. Elle s’associe ici avec Mazarine Pingeot, sa cousine, normalienne agrégée docteure en philosophie et romancière (Le Salon de massage en 2023, Se taire en 2019 ou encore Le Bon petit soldat en 2012) qui signe avec ce texte sa première oeuvre dramaturgie.
“Qui êtes-vous réellement ?” Voilà la question que nous pose d’entrée de jeu un maître de cérémonie particulièrement enjoué en alpaguant au hasard un public amusé. Masques, faux-semblants et carapaces, voilà ce que nous propose d’abandonner l’hôte de cette soirée, pour tenter de sonder en profondeur nos identités authentiques. Quoi de mieux qu’un mythe, qu’une image de papier glacé telle que Juliette Gréco pour se plier à l’exercice. Chanteuse sur laquelle est venu s’agréger au cours de sa carrière de multiples visages, comme autant de surnoms : “jolie môme”, “Jujube”, “la muse de l’existentialisme”, “la fleur vénéneuse de Saint-Germain des Près”, “déesse aux bras flexibles”…
C’est une interview de Juliette Gréco donnée en 1973 dans l’émission Radioscopie de Jacques Chancel qui a servi de matériau initial. Juliette Gréco y apparaît en lutte permanente pour justifier son existence. De ce face-à-face frontal et intime, des scènes et des refrains qui ont marqué sa vie vont émerger. “Qui êtes-vous Juliette Gréco ?” ne cesse de lui répéter le journaliste, qui se transforme rapidement en inquisiteur. Tantôt femme fatale, tantôt fragile, militante, poétesse, enfant livrée à elle-même, Juliette Greco minaude, élude et se dédouble, paradoxale et insaisissable. Images fabriquées, images fantasmées, images accolées : où trouver la sincérité d’être soi quand le désir d’être aimé surplombe l’existence ?
Pour représenter son identité multiple, elle est incarnée par deux interprètes : Elsa Canovas en enfant des rues dépenaillée, cheveux mouillés et grands yeux noirs perdus – car il faut le rappeler, après que sa mère et sa soeur aient été déportées, Juliette Gréco est emprisonnée à Fresnes à l’âge de 15 ans et vivra dans la misère avant de connaître le succès – Geoffroy Rondeau en créature sensuelle et sophistiquée, perchée sur hauts talons, toujours de noir vêtue. Le tout orchestré par un maître de cérémonie (Gaël Sall) cruel et séducteur, qui tour à tour représente l’oeil des journalistes, celui du public ou encore des milieux mondains et intellectuels que la chanteuse fréquentait.
Le travail fin et ciselé de Raphaël Bancou à la musique (claviers, guitare électrique, trompette, percussions) vient répondre avec subtilité au jeu et l’accompagne sans jamais le faire basculer dans la comédie musicale. Ici, le chant est utilisé avec parcimonie et n’est jamais gratuit.
Les tableaux oniriques achèvent enfin d’écarter la proposition d’un simple biopic : si une estrade de music-hall à paillettes glamour accueille initialement les interprètes, des jeux de paravents, des portes voilées qui se découpent dans l’horizon du théâtre, des masques faunes ou encore des nuages de bulles finissent de nous emporter du côté du songe et de nous faire descendre, au delà de la représentation, du côté de la poésie.
Je suis Gréco ravira évidemment les fans de la première heure, et jouis de la tendre sympathie que l’on porte aux interprètes disparus et aimés. Mais sans tomber dans l’écueil de la nostalgie ou du passéisme, Léonie et Mazarine Pingeot parviennent à nous toucher en nous confrontant aux failles, aux petits arrangements et aux dénis qui nous bâtissent pour nous regarder finalement en face et nous demander : qui pensez-vous donc être, réellement ?
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Je suis Gréco
Mazarine Pingeot, Léonie PingeotTexte : Mazarine Pingeot, Léonie Pingeot
Mise en scène : Léonie Pingeot
Avec : Avec Raphaël Bancou (musicien)
Elsa Canovas (Juliette Gréco)
Geoffroy Rondeau (Juliette Gréco)
Gaël Sall (l’inquisiteur)
Collaboration artistique : Lisa Garcia
Création musicale et arrangements : Raphaël Bancou
Scénographie : Damien Rondeau
Création lumière : Quentin Pallier
Création sonore : Raphaël Pouyer
Costumes : Sophie Porteu de la Morandière
Voix enregistrées : Alexis Ballesteros, Benjamin Gomez, François Pérache, Antoine Quintard, Florian Westerhoff
Tapissière : Charlotte Winter
Construction régie plateau : Brice Delorme, Cynthia Lhopitallier, Raphaël Pouyer Mentions de production
Production déléguée EMC (Saint-Michel-sur-Orge) Direction Régis Ferron / Administration Joana Urquijo / Production Léa Laroche Diffusion Olivier Talpaert/ Coproduction Théâtre Romain Rolland – Villejuif, Les Bords de Scènes – Grand-Orly Seine Bièvre, Espace culturel Bernard Marie Koltès – Metz, Comédie Framboise
Avec le soutien du CENTQUATRE-PARIS et du Grand Parquet
Remerciement à Julie Rossini Projet soutenu par le département de l’Essonne – DRAC Île-de-FranceDurée 1h30
17 — 21 décembre 2023
Théâtre Romain Rolland / Villejuif (94)13 janvier 2024
Les Bords de Scènes / Athis-Mons (91)15 et 16 février 2024
Espace Bernard-Marie Koltès / Metz (57)du 31 janvier au 10 février 2024
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
Du mardi au vendredi, 19h30 – Samedi, 18h30 – Dimanche, 15h30
Relâche le lundi 5 février
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !