A la Commune, une dernière « pièce d’actualité » stimule aussi généreusement qu’assez maladroitement l’aspiration à l’art et le désir de jouer des habitants d’Aubervilliers.
C’est déjà la vingtième, et aussi la dernière, des « Pièces d’actualité » programmées par Marie-José Malis depuis son arrivée à la direction du Théâtre de la Commune en 2014. Tout au long de cette longue saga théâtrale aux enjeux à la fois artistiques et politiques, s’est manifesté de la part de nombreux artistes le fort désir de connaître et de tisser des liens étroits avec le territoire et la population d’Aubervilliers, de créer à partir d’eux et avec eux, des formes théâtrales parfois expérimentales qui cristallisent et interrogent le présent. Des lieux, des histoires, des individus, des situations, toujours concernants, émouvants, bousculants, car profondément humains et complexes, se sont donnés à voir et à entendre avec autant d’urgence, de nécessité que de vitalité. Mentionnons Europe : visite à domicile du collectif Rimini Protokoll ou bien encore 81, avenue Victor-Hugo que le metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka a créé avec un groupe de migrants clandestins débarqués d’Afrique et vivant dans un squat d’Aubervilliers, le Hamlet Kebab de Rodrigo Garcia qui plantait Shakespeare en plein cœur des Quatre Chemins et de son agitation urbaine, Désobéir de Julie Berès qui sondait les rêves et les révoltes de jeunes femmes du 93, la révélation par Maxime Kurvers et Marion Sieffert de Güven Tugla, un jeune homme peu prédisposé au théâtre et jouant une pièce portant son nom.
Le dernier opus, dont le titre contracte le nom de la ville d’Aubervilliers et le néologisme par lequel on désigne le cinéma indien, ne figure sans doute pas au panthéon des grandes réussites précitées. Il adopte pourtant un processus de création semblable : répété en seulement quelques semaines, avec une troupe réunissant des comédiens professionnels et amateurs. Sa forme est nécessairement spartiate mais son propos ambitieux, plein d’ampleur, est porté par un fort désir d’ouverture sur le monde et de réenchantement du quotidien. Son signataire, l’artiste franco-indien Koumarane Valavane, ancien comédien du Théâtre du Soleil et fondateur de la troupe Théâtre Indianostrum basée à Pondichéry, avait pour projet d’origine celui de tourner un film bollywood à Aubervilliers. A l’exception d’une scène dansée, trop rares et diffus sont les échos au genre qui semble s’être largement fait supplanter par une autre source d’inspiration, La Mouette de Tchekhov. Écrite à la toute fin du 19e siècle, cette oeuvre parle d’art et d’amour, d’aspirations vitales et de confrontations à l’abîme. Extraits de leur contexte bourgeois, ces thèmes absolument universels irriguent l’intrigue d’Auberlywood où une troupe très hétérogène monte sa libre adaptation de la pièce.
« Il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est, ou telle qu’elle devrait être, mais telle qu’on la représente en rêve » déclare Treplev dans le chef-d’œuvre de Tchekhov. Ce personnage en quête d’innovation et de délivrance trouve son double en la présence d’un jeune metteur en scène albertivillarien confronté aux vicissitudes de la création. Sa Nina est une jeune comédienne en devenir, rêvant de célébrité. Arkadina et Trigorine débarquent en majesté sur un rickshaw coloré, ils seront endossés l’une par une figure incontournable du théâtre amateur à Aubervilliers, l’autre par l’acteur sri-lankais Antonythasan Jesuthasan, reconnu pour son rôle dans le film Dheepan de Jacques Audiard.
Guidés par l’ode à la nouveauté et à l’imaginaire de Treplev, ces artistes s’affichent au travail aussi bien à travers de longues séquences filmées et projetées sur écran qu’au fil de tableaux épars directement joués au plateau. Ils investissent tous les espaces du bâtiment souvent plongés dans l’obscurité. Des dessous aux dessus du plateau où d’anciens costumes suspendus, appartenant à la mémoire du théâtre, figurent des personnages en quête d’acteurs. La pièce assume son allure bricolée et trop peu maîtrisée. Tout n’y est pas vraiment convaincant mais assurément servie par le bel engagement de chacun. Malgré ses faiblesses et ses errements, elle se distingue par sa générosité et sa touchante sincérité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
[Pièce d’actualité N° 20] Auberlywood
La vie telle qu’elle se représente en rêve…
exte et mise en scène, Koumarane Valavane
assistante à la mise en scène Marine Cormorèche
vidéo Sothilingam Thulapan
avec Romain Bénichou-Ayoub, Nabil Berrehil, Marine Cormorèche, Antonythasan Jesuthasan, Emma Laristan, Téclaire Lombi, Michèle Sullyproduction La Commune CDN d’Aubervilliers
coproduction Le théâtre Indianostrum (France-Inde)Durée 1h30
La Commune CDN d’Aubervilliers
du 18 au 31 janvier 2023
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