Avec Cartographie imaginaire, la Compagnie Le 7 au soir mêle théâtre d’objets, scénographie manipulée, inventivité plastique et vidéos pour raconter l’histoire de l’arpentage contrarié d’un territoire à la vie entravée.
Il y a des équipes artistiques dont chaque spectacle est un cadeau, en ce qu’il opère un déplacement toujours renouvelé – déplacement autant dans l’univers même de la compagnie que déplacement esthétique et poétique né de la singularité de la proposition artistique. La compagnie Le 7 au soir créée en 2011 et emmenée par les artistes Yvan Corbineau et Elsa Hourcade est de celles-là, et leur nouvelle création, Cartographie imaginaire, ne déroge pas à cette promesse. Troisième volet d’un travail mené autour de la Palestine et fruit de résidences au long cours dans la ville d’Avion (accompagnées notamment par Culture-Commune, Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais), Cartographie imaginaire réunit trois interprètes.
Sur un plateau occupé à jardin par un dispositif qui accueillera les dessins et animations de la scénographe et plasticienne Zoé Chantre, au centre par une voile – au début du spectacle encore recroquevillée sur elle-même –, Zoé Chantre, Yvan Corbineau et Judith Morisseau viennent à l’avant-scène se présenter face au public quelques secondes. Puis, rapidement, chacun prend place. Judith Morrisseau, qui interprète le personnage du récit à venir, gagne le centre du plateau, tandis que Zoé Chantre prend place derrière ses appareils et qu’Yvan Corbineau lance un vinyle (sur lequel une spirale blanche est dessinée) et la musique, donc, avant de rejoindre le fond de scène. Là, à l’aide d’une machinerie et de nombre de cordages il animera la vaste voile et quelques autres objets. Pour autant ces places ne seront ni définitives, ni calcifiées, et au gré de l’histoire portée par la comédienne, Zoé Chantre et Yvan Corbineau quitteront volontiers « leur » territoire de jeu pour aller jouer ou manipuler d’autres éléments.
À cette fluidité dans les places de chacun répond le délié aussi inventif que ludique du conte à venir. Car oui, Cartographie imaginaire a dans son récit des allures de conte. Dans celui-ci, un personnage – dont on nous dit qu’il peut tout aussi bien être « une femme, un homme ou ni l’une, ni l’autre » – se lance dans la traversée d’un territoire. Celle-ci ne se fera pas sans embûches ni écarts et autres prises de chemins de traverse. Telle Alice – divers éléments faisant référence au livre de Lewis Caroll, de certains des costumes endossés successivement par la comédienne aux jeux de mots, en passant par un livre renvoyant à celui lu par la sœur de la jeune fille – ce personnage se coltine à un monde qui lui échappe. Un monde tout à coup bouleversé par le surgissement intempestif d’un mur qui entrave les déplacements projetés. Un monde pour lequel la carte prévue ne correspondant plus, il faut lancer les dés pour savoir où progresser et « légender la carte » pour que les chemins, comme le sens se dessinent.
Cette pérégrination hasardeuse dont l’issue restera ouverte et à la fois teintée d’une légère inquiétude, la compagnie la déplie dans une forme aussi drôle qu’inventive. Tandis que la voile de couleur écrue ne va cesser par la manipulation de ses cordages de muter, dessinant les multiples paysages traversés comme les atmosphères, les dessins, animations en direct et les vidéos de Zoé Chantre (projetés sur un voile de tulle apparaissant et disparaissant à l’avant-scène) enrichissent le récit en offrant volontiers un contrepoint absurde et cocasse. Surtout, ce travail graphique prolonge à sa façon le décalage ludique et le goût pour les significations à double fond caractérisant l’écriture d’Yvan Corbineau. Car quoique reposant sur des descriptions très concrètes, suscitant indubitablement des images, la langue ouvre en même temps sans cesse à une poésie plus mutine aux accents métaphysiques. Cartographie imaginaire joue, ainsi, en permanence du dédoublement du sens, des sens, propres comme figurés – citons ainsi les listes de points devenant autant de lieux du paysage : point de fuite, point à la ligne, point de suspension, etc.
Ce travail aussi fluide dans son écriture que dans sa forme, et interprété avec une juste distance par la comédienne Judith Morisseau, saisit par son harmonie générale teintée de délicatesse et d’humour. Si d’aucuns pourront regretter un travail de composition musicale qui aurait pu être mené encore un peu plus avant dans l’élaboration des atmosphères, si d’autres trouveront que le spectacle manque encore parfois un brin de temps de respiration, cette création convainc largement, déplace, nourrit. Par sa richesse d’imaginaire autant plastique, scénographique que littéraire, par sa cohérence et sa fantaisie, comme par sa façon de métaphoriser des enjeux politiques. Car au-delà de la fable et de la beauté de l’ensemble, c’est bien une histoire possible de la Palestine qui se dessine. Partant et avec celle-ci, Cartographie imaginaire nous renvoie à un monde en constante transformation, parfois contaminé par le désordre, où le langage lui-même peut mentir ou détourner des voies tracées, et où les outils supposés aider à avancer se révèlent des pièges entravant toute progression. Face à cet univers pouvant autant renvoyer au Pays des Merveilles qu’à l’actualité, Cartographie imaginaire nous invite à ne pas perdre la mémoire et à nous défier des cartes, à scruter et décoder leurs biais et intérêts pour reconsidérer (et réinventer) la vision des territoires qu’elles nous proposent…
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Cartographie imaginaire
une création collective le 7 au SoirSara Bartesaghi Gallo et Véra Grassano, costumes
Zoé Chantre, jeu, dessin et vidéo
Yvan Corbineau, texte et manipulation
Elsa Hourcade, mise en scène
Judith Morisseau, jeu
Thibault Moutin, lumière et conception technique
Jean-François Oliver, composition musicale et diffusion sonore
Thierry Caron, photos
Sabrina Morisson, graphisme
Baptiste Bessette, administration et production
Christelle Lechat, diffusion et productionPartenaires
Producteur : le 7 au Soir
Coproducteur
Culture-Commune, Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, Loos-en-Gohelle (62)
Les Passerelles, scène Paris/Vallée de la Marne, Pontault-Combault (77)
Festival Marto (92)soutiens
DRAC Ile-de-France
Conseil départemental du 77Accueil en résidence
Culture Commune, Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, Loos-en-Gohelle (62)
le Théâtre Jean Ferrat, Avion (62)
Malakoff, scène nationale (92)
La Fonderie, le Mans (72)
le TAG, Grigny (91)
l’Usinotopie, Villemur sur Tarn (31)
An dour meur, Plestin-les-grèves (22)
les Ateliers du spectacle – Jean-Pierre Larroche (45)Durée 1h10
Théâtre Jean Ferrat à Avion (62) (avec Culture commune, scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais)
les jeudi 9 novembre 2023 à 14h et vendredi 10 novembre 2023 à 20h30Les Passerelles à Pontault-Combault (77)
les jeudi 30 novembre 2023 à 14h30 et vendredi 1er décembre 2023 à 20h30Théâtre Berthelot à Montreuil (93)
les jeudi 1er février 2024 à 20h30 et vendredi 2 février 2024 à 14h30 et 20h30Festival MARTO 2024
dans le cadre de la Nuit de la marionnette
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