« À tout rompre », à l’équilibre
Quand deux circassiens (Voleak Ung et Vincent Brière) rencontrent deux comédiens (Alice Vannier et Sacha Ribeiro), cela donne le très abouti, drôle et profond À tout rompre. Ensemble, ils interrogent le mouvement et la langue, comment leurs éléments de langage s’additionnent, s’annulent, se soustraient et, in fine, s’amplifient.
Quand ils traversent l’espace bi-frontal en ligne droite, ils semblent marcher pour la première fois. Sacha Ribeiro, Voleak Ung et Vincent Brière sont ensemble, mais pas côte à côte. Les deux derniers enserrent le premier, qui fait ses débuts au cirque, et en donnent à voir une composante souvent ensevelie dans la virtuosité des cadors de la discipline : la fragilité. Bien sûr, le Was Groupe, émanation créée pour ce spectacle sous la houlette de la compagnie MPTA de Mathurin Bolze, en vue de la première sortie de résidence montrée à Lyon, en 2023, dans le cadre du festival UtoPistes qu’elle organise, ne réinvente pas la roue en jouant de ça. D’autres l’ont fait avec talent et le portent encore haut, comme les Trottola, par exemple. Mais en choisissant de mêler leurs deux arts, ce quatuor, qui s’est rencontré au Pôle National des Arts du Cirque de La Cascade, en Ardèche, lors de stages, accepte aussi de les mettre à nu et d’en interroger les codes autant de sérieux que d’autodérision.
Un numéro raté ? Un circassien a droit à trois chances quand le comédien ne peut se rattraper d’une réplique foirée. Au cirque, chacun a sa spécialité et son numéro ? Au théâtre, un acteur doit tout savoir jouer et ne surtout pas « faire son numéro » – ce serait tomber dans la facilité et la caricature. Binaire À tout rompre ? Non, jamais. C’est plutôt une façon d’étendre le domaine de leurs luttes. Ainsi, Voleak Ung a grandi au Cambodge et convoque, dans une scène très émouvante devant un petit autel improvisé, ses souvenirs et l’absurdité des prières dans lesquelles s’est réfugié tout un peuple, faute de savoir briser le silence d’une histoire récente au cours de laquelle un tiers de la population a été tué. À l’inverse, pour Vincent Brière, la parole est de trop – il n’a pas choisi d’être porteur, celui qu’on n’applaudit pas, par hasard.
Dans un décor fait d’étagères modulables au point de figurer un temple, une chambre, des vestiaires et même une piscine de plongeoir, ils tentent de se remettre de ruptures – amoureuses, des ligaments, comme de la perte d’êtres chers. Ils ont l’espace, sur plusieurs niveaux de hauteur, pour jouer avec la notion de chute dans le vide qui effraie tant la comédienne, protégée jusqu’à l’absurde par des genouillères, des coudières et un casque. Comme Sacha Ribeiro et Alice Vannier l’expérimentent depuis la création de leur compagnie Courir à la catastrophe au sortir de l’ENSATT en 2017 – promotion Aurélien Bory, le cirque était déjà là –, le burlesque n’est jamais loin du sérieux de leurs sujets – le GTPsy de Félix Guattari dans La Brande, l’occupation d’un lieu de travail dans Œuvrer son cri.
Pont entre théâtre et cirque, À tout rompre l’est aussi entre cirque d’hier et d’aujourd’hui quand Sacha Ribeiro, qui, comme les quatre autres, puise dans son enfance pour fabriquer ce spectacle, se souvient avec nostalgie de ses soirées télé devant le Cirque de Monte-Carlo, au point de réclamer à ses nouveaux amis d’enfiler tutu et justaucorps pour retrouver le goût de cette madeleine, qui n’entre jamais en contradiction avec le renouveau de cette discipline, notamment porté par le CNAC, où Voleak Ung et Vincent Brière se sont rencontrés il y a treize ans. Tout juste les costumes sont-ils désagréables à porter, mais la cymbale claque et les roulements de tambour grondent comme sous un chapiteau.
Les imaginaires du cirque traditionnel – ah, la fascination pour la chute et l’accident ! –, leurs origines, leurs amours, leurs blessures, leurs apprentissages en écoles sup’ – Beckett et sa Fin de Partie encerclent ce travail –, leur humilité – et si ce n’était pas le public qui venait les voir, mais eux qui souhaitaient voir des gens ? –, leurs solitudes : ce sont tous ces sédiments accumulés qui leur permettent de trouver un langage pour s’équilibrer un tant soit peu, même (surtout) furtivement, sur une planche de bois qui tournoie dans les airs, au bout d’un plongeoir, et même, soyons fous… au sol !
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
À tout rompre
de et avec Alice Vannier, Voleak Ung, Sacha Ribeiro, Vincent Brière
Scénographie Benjamin Hautin
Création sonore Timothée Langlois
Lumière Clément Soumy
Costumes Romane Cassard
Regard complice Mathurin BolzeProduction Festival utoPistes / Compagnie MPTA
Avec le soutien de Festival utoPistes – Lyon Métropole, Théâtre du Point du Jour – Lyon ; La Cascade – Pôle National cirque Ardèche – Auvergne – Rhône-Alpes – Bourg Saint Andéol ; Compagnie 111 – Aurélien Bory / La Nouvelle Digue – Toulouse ; CDNO – Centre Dramatique National Orléans – Centre-Val de Loire ; Archaos – Pôle National Cirque ; MA Scène Nationale – Pays de Montbéliard ; Le Sirque – Pôle National Cirque Nexon Nouvelle-Aquitaine; Théâtre d’Angoulême – scène nationale ; La Verrerie d’Alès – Pôle National Cirque Occitanie ; APCIAC – Lyon MétropoleLa compagnie MPTA – Festival utoPistes est conventionnée par le ministère de la Culture – D.R.A.C. Auvergne Rhône-Alpes, par la Région Auvergne Rhône-Alpes, la Ville de Lyon et la Métropole de Lyon au titre de son projet artistique et culturel.
Durée : 1h20
Vu en janvier 2024 à l’ENSATT, Lyon, dans le cadre de la programmation du Théâtre du Point du Jour
Biennale internationale des Arts du cirque, Marseille
du 31 janvier au 2 février 2025Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon
les 23 et 24 maiThéâtre La Mouche, Saint-Genis-Laval
le 27 mai
Et pour compléter :
À TOUT ROMPRE
Le Was Groupe
Première ! • Mercredi 06 décembre à 20h
Le Vaisseau – Le Sirque, pôle national cirque à Nexon en Nouvelle-Aquitaine
Séances scolaires • Mardi 05 et jeudi 07 décembre à 14h30 (Niveau collège et lycée)
Production déléguée du Festival utoPistes / Compagnie MPTA (Lyon)
Avec le soutien de Festival utoPistes – Lyon Métropole Théâtre du Point du Jour – Lyon ; La Cascade – Pôle National cirque Ardèche – Auvergne – Rhône-Alpes – Bourg Saint Andéol ; Compagnie 111 – Aurélien Bory / La Nouvelle Digue – Toulouse ; CDNO – Centre Dramatique National Orléans – Centre-Val de Loire ; Archaos – Pôle National Cirque; MA Scène Nationale – Pays de Montbéliard ; Le Sirque – Pôle National Cirque Nexon Nouvelle-Aquitaine ; Théâtre d’Angoulême – scène nationale ; La Verrerie d’Alès – Pôle National Cirque Occitanie ; APCIAC – Lyon Métropole
À voir en région Nouvelle-Aquitaine avec le soutien de l’ONDA
• 12, 13, 14 décembre au Théâtre d’Angoulême, Scène nationale
• 17 décembre à Aubusson, Scène nationale