Expérience individuelle et collective, Lake Life n’est pas à proprement parler un spectacle mais invite les spectateurs à se penser autrement, à rouvrir les possibles de leurs transformations intérieures et de leur rapport au monde. Un pas de côté ludique et intime imaginé par Kate Mc Intosh dans le cadre du festival d’Automne.
Il est un pan du spectacle vivant qui sort le spectateur de sa passivité de regardant pour le placer en acteur de ses propres transformations. Souvent venus d’artistes performeurs, comme les jeux de Yan Duyvendak, ces œuvres se vivent comme des expériences à part. Elles peuvent décevoir nos attentes habituelles, elles n’offrent pas de performances de jeu, de personnages cocasses, ni d’histoires à rebondissement. Tout au contraire, elles essayent de mettre en place les conditions d’une réflexion sur soi et d’une expérimentation d’autres manières d’agir, qui, si elles font trembler un tant soi peu le carcan de nos habitudes, auront touché au but.
Lake Life conçu et dirigé par Kate Mc Intosh nous envoie ainsi dans un drôle d’univers peuplé d’étranges créatures nommées changelings. Renseignement pris – merci Wikipedia – ce sont à l’origine des enfants d’elfes ou autre trolls échangés dans le berceau avec des enfants humains. Notamment présents dans les folklores irlandais, écossais et scandinave, ils se métamorphosent sous la houlette de l’artiste belgo-néo-zélandaise en des créatures multiformes, fluides, gélatineuses – un peu semblables à des méduses – capables de se transformer en ce qu’elles veulent (une personne, un objet, un animal, une idée…). Elles se réunissent régulièrement dans un grand lac – d’où Lake Life – où elles se dissolvent, mêlant à cette occasion leurs êtres – leurs expériences, leur savoir, leurs sentiments, leur savoir… – à ceux des autres. Comment ne pas s’enfermer dans son être, dans ses habitudes, ses peurs, ses blocages, et comment dépasser ces barrières qui nous maintiennent malgré tout, malgré tous nos efforts, éloignés de l’autre ? Ce sont là deux des enjeux principaux de l’expérience.
Alors parfois, bien sûr, on a l’impression de se retrouver dans un groupe d’illuminés ésotériques qui s’adonneraient au team building ou à quelque séance de développement personnel tantrico-ayurvédique dans un animé de Miyazaki. On sent bien en même temps que le dispositif mis en place et dirigé par Kate Mc Intosh fonctionne avec justesse. Accueil où le spectateur est équipé d’un petit récepteur souplement installé sur l’épaule via une écharpe, on laisse sur place ses chaussures, son smartphone et son blouson – un peu de soi donc – avant d’entrer dans une vaste salle dont le sol est couvert de motifs colorés et sinueux, dessinant à terre comme les courbes de niveau multicolores ostréiformes d’une carte topographique. Peut-être les rives du lac. Via le récepteur l’équipe explique avec force bienveillance les règles d’un jeu dans lequel il faut se laisser aller à suivre les instructions pour mieux parvenir à faire tomber ses barrières intérieures. Petit à petit, on entre ainsi en confiance, les « ateliers » ne mettent jamais en cause la sphère intime, et au fur et à mesure que tombent les timidités, nous voilà embarqués dans une expérience d’élargissement de soi-même.
S’imaginer autre, dans une relation différente au monde et aux autres. Dépasser les blocages qui nous empêchent de nous réinventer. « Qu’est-ce qu’on pourrait changer chez l’être humain ? Cela est-il possible ? ». Les questions s’enchaînent, qui tournent toutes autour de cette thématique d’une plus grande fluidité des identités, de ce rêve de devenir changeling, créature multiforme capable de se transformer sans se désindividuer. Pensée pour les jeunes et les plus grands, l’expérience est peut-être un peu trop conceptuelle pour les moins de vingt ans. Mais qui sait ce qu’en ont pensé les jeunes gens présents à cette session ? Le grand bain des esprits, la fusion finale dans le lac de la vie n’a pas permis le partage télépathique des esprits. L’échec faisait partie d’un jeu qui ne laisse jamais de côté la réalité. Personnellement, dans une ultime identité, un dernier souhait que chacun tenait secret, on aurait voulu se transformer en « l’essence de la danse ». Il fallait pour ça avoir été sacrément touché.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Lake Life
Un projet de Kate McIntosh en collaboration avec Arantxa Martinez
Installation visuelle, Nadia Lauro
Son, Eric Desjeux
Lumière, Eduardo Abdala
Conseil artistique, Harun Morrison, Sarah Parolin, Tim Etchells
Direction technique Koen De Saeger, Tatiana Carret
Recherche sonore, Charo Calvo
Assistante studio, Maria O’Herce, Ashley Van Pouke
Dessins, Dari Gatti
Cartes, Marzia Dalfini
Harnais, Karolien Nuyttenss
Production SPIN (Bruxelles) ; Backbone Berlin GbR (Berlin)
Coproduction Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) ; BRONKS (Bruxelles) ; Kaaitheater (Bruxelles) ; Viernulvier Kunstencentrum (Gand) ; PACT Zollverein (Essen) ; Festival d’Automne à Paris ; T2G Théâtre de Gennevilliers Centre Dramatique National ; MDT (Stockholm) ; SPRING Performing Arts Festival (Utrecht) ; BIT Teatergarasjen (Bergen) ; SCHÄXPIR Festival (Linz) ; figuren.theater. festival (Erlangen) ; Teatro Municipal do Porto
Avec le soutien de Backbone Berlin GbR ; Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC) / Résidence Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC) ; GC Pianofabriek (Bruxelles
Le T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en coréalisation.Durée 1h30
Du 11 au 18 Décembre 2023
T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National
Festival d’Automne à Paris
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