Dès le début, tout tourne autour de la mère, et ça ne s’arrête jamais. Dans la vie comme dans Sans faire de bruit. Avec un dispositif de jeu très original, le spectacle conçu par Tal Reuveny et Louve Reiniche-Larroche raconte la détonation créée dans la famille par l’accident de santé d’une fille-mère-femme. Un théâtre documentaire subtil et d’une sensibilité hors pair.
On ne sait jusqu’où aller dans la relation avec ce spectacle de peur d’en altérer le plaisir. Tout commence avec la surprise du dispositif auquel, peu à peu, l’histoire apporte une grande résonance. Commençons donc par le début : dans un salon un brin vieillot – fauteuil, abat-jour – Louve Reiniche-Larroche, telle une reporter, apporte silencieusement sur scène du matériel d’enregistrement – micro, magnéto – qu’elle pose au sol. Elle se déplace ensuite lentement derrière un fauteuil roulant vide. On commence à entendre la voix d’un vieil homme, puis la comédienne se glisse dans le siège devant elle, esquisse quelques postures, quelques mimiques, comme si petit à petit son personnage envahissait son corps. Puis, la voix reprend et, avec une parfaite synchronisation labiale, l’actrice joue silencieusement son grand-père interviewé, accompagne en play-back, avec de subtils mouvements et expressions corporelles, les paroles de son aîné, comme si elles la traversaient.
Ce dispositif qui perdure durant tout le spectacle pourrait ne constituer qu’une bonne idée – magnifiée par la diabolique précision de Louve Reiniche-Larroche et son art corporel de la suggestion – s’il ne rentrait pas en écho avec le récit qui s’y développe. Sans faire de bruit tourne en effet autour d’un personnage qu’on n’entendra qu’à la fin : la mère de la comédienne, de laquelle cette dernière a constitué, grâce à des entretiens réalisés avec des membres de sa famille – son grand-père, sa grand-mère, son frère, sa belle-sœur et sa petite nièce –, un émouvant portrait. Un portrait qui avance par fragments, par facettes, et se double du récit des conséquences sur la famille de cette chose grave qui lui est arrivée, comme le répète chacun.e. On en saura plus au mitan du spectacle. Tout portrait dessinant en creux celui de son auteur, tous les membres de cette famille ordinaire laissent filtrer des traits de personnalité que le dispositif de représentation rend touchants et amusants.
Tout s’opère en délicatesse, finement, comme en apesanteur, avec la fluidité d’un rêve, dans une atmosphère ouatée que favorise le beau travail sonore. La dramaturgie parfaitement composée, via un travail de montage des documents sonores et une mise en scène subtile de Tal Reuveny, permet que tout s’enchaîne d’un personnage à l’autre en suivant le parcours sinueux de leurs relations, jusqu’à ce que le fameux accident survienne. Celle que jamais l’on n’a entendu, mais dont chacun.e parlait, perd l’ouïe, devient brusquement sourde, s’en aperçoit au réveil, un matin, alors que sa petite fille surgit dans sa chambre en lui criant « Coucou », et qu’elle ne l’entend plus. L’horreur. Désormais, la comédienne se coiffe d’un abat-jour, rejette les nuages de fumée de sa vapoteuse à travers un rideau de cheveux ou se masque de mouchoirs. Bascule soudaine dans une sorte de fantastique surréaliste qui ne perd pas la réalité de vue.
Ce sont finalement les absentes qui investissent la scène. La fille, Louve, l’intervieweuse, aux expressions tout en retenue – comme sa mère probablement – dont on entendait jusque-là que la voix. Et sa mère qui trop souvent s’efface et menace de disparaître dans son silence. Face-à-face final émouvant, quand l’artiste regarde et écoute l’astre au cœur de son travail, quand le dialogue miraculeusement peut se renouer. Déclaration d’amour implicite, explosive, encore plus qu’à la mère, aux liens familiaux souvent silencieux qui nous constituent.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Sans faire de bruit
Conception Tal Reuveny, Louve Reiniche-Larroche
Mise en scène Tal Reuveny
Avec Louve Reiniche-Larroche
Scénographie Doriane Ayxandri, Goni Shifron
Musique Jonathan Lefèvre-Reich
Lumière Louise RustanProduction Compagnie Nachepa
Soutiens Ville de Paris, Association Beaumarchais SACD, SPEDIDAMDurée : 1h
Festival Off d’Avignon 2024
Théâtre du Train Bleu
du 3 au 21 juillet (relâche les 8 et 15), à 12h05Théâtre d’Étampes
le 13 décembreJeune Théâtre National, dans le cadre du Festival Impatience
du 14 au 16 décembre
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