Au théâtre de Caen avant une reprise à Paris, une nouvelle production du David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier, portée en fosse par l’Ensemble Correspondances de Sébastien Daucé et mise en scène par Jean Bellorini, émeut profondément.
Jamais amour plus fidèle et plus tendre eut-il un sort plus malheureux ? chante-t-on au cours du dénouement tragique de l’opéra dont le sujet inspiré de la Bible voit la puissante amitié qui lie le jeune berger David, combattant pour les Philistins, et Jonathas, le fils de Saül, roi d’Israël, lutter en vain contre l’adversité de la guerre. La folie meurtrière des hommes est annoncée d’emblée par la Pythonisse éclatante et excentrique de Lucile Richardot. Composé pour un petit nombre de choristes mais un chœur très important, l’ouvrage pas mal défendu par William Christie et ses Arts florissants demeure rarement monté. Il est aujourd’hui revisité par un éminent familier de la musique de Charpentier : le chef Sébastien Daucé dont l’ensemble musical en résidence au Théâtre de Caen est né et a grandi avec ce répertoire.
Entre passion et déploration, l’ensemble Correspondances suit les lignes pleines de langueur de la partition et déploie toute en souplesse et subtilité autant d’allant que de tendresse. Sans aucune baisse de régime, est mise en valeur toute la sensibilité ardente ou larmoyante du prologue et des cinq actes chantés grâce au son modelé et habité des instruments baroques à l’étoffe soyeuse, sans pour autant passer pour éthéré. Les interventions du Chœur dont la rondeur sonore est innervée de dramatise, participent pleinement à intensité tragique.
Autant de beauté musicale enjolive la dureté d’un sujet qui place la guerre en son centre. Jean Bellorini a soigneusement évité de donner dans l’illustration appuyée du conflit israélo-palestiniens, ni d’évoquer précisément aucun autre conflit spécifiques, sinon tous les conflits imaginables qu’il convoque sur un plateau pentu et extrêmement dépouillé qui s’apparente à un simple terrain vague devenu champ de bataille puis fosse commune. La pastorale a laissé place à l’errance et l’exode d’un peuple nomade et déshérité. Le soin porté à l’universalisme du propos se fait au moyen d’une esthétique bien singulière dont l’inspiration un peu gitane à la Emir Kusturica favorise une étonnante déréalisation.
On pourrait d’abord craindre difficilement crédible cette représentation de l’œuvre aux frontières de l’humain et de la marionnette. Mais nul grotesque carnavalesque ne s’échappe des tenues clinquantes aux couleurs enluminées et des masques qui camouflent, déforment ou atrophient les traits des interprètes qui les portent. Les situations chantées et jouées se présentent comme les visions hallucinées d’un tyran autrefois arrogant et désormais traumatisé. C’est un Saül vieilli, déchu, défait, qui se présente à peine vêtu et sombrant dans le délire, alité dans sa chambre d’hôpital et secondé par son aide-soignante compatissante. Le personnage profite de l’incarnation superbement convaincante de Jean-Christophe Lanièce.
Le metteur en scène a moins creusé les héros éponymes de l’opéra dont la nature du sentiment qu’il se porte réciproquement semble trop édulcorée car réduite à une simple camaraderie enfantine mais dépourvue de la sensualité amoureuse qu’on pourrait attendre. Voix bien galbée et jeu fervent, Petr Nekoranec est un ténor épatant de solidité et de flexibilité vocale qui atteint aisément l’extrême aigu du personnage de David écrit initialement pour un jeune haute-contre. Magnifiquement investie dans son air A-t-on jamais souffert une plus rude peine, Gwendoline Blondeel, fait un Jonathas on ne peut plus cristallin. Le duo de jeunes chanteurs porte l’émotion à son comble jusqu’à l’issue funeste qui l’accable.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
David et Jonathas
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
tragédie biblique en cinq actes avec prologue sur un livret du Père François de Paule Bretonneau (1660-1741) créée au théâtre du collège Louis-le-Grand, le 28 février 1688Correspondances orchestre et chœur
Sébastien Daucé direction musicale
Jean Bellorini mise en scène, scénographie et création lumières
Wilfried N’Sondé livret théâtral
Véronique Chazal scénographie
Delphine Bradier collaboration artistique
Fanny Brouste création costumes
Cécile Kretschmar création maquillages, masques, coiffures et perruques
Bruno Jouvet accessoiriste
Léo Rossi création son et vidéo
Olivier Allemagne assistanat création lumières
Ateliers du TNP Villeurbanne construction des décors
Ateliers de l’Opéra National de Lorraine fabrication des costumesavec
Petr Nekoranec David
Gwendoline Blondeel Jonathas
Jean-Christophe Lanièce Saül
Lucile Richardot La Pythonisse
Étienne Bazola Joabel
Alex Rosen Achis, l’Ombre de Samuel
Hélène Patarot comédienneDurée : 2h30
Théâtre de Caen
9 et 11 novembre 2023Opéra national de Lorraine
Dimanche 14, mardi 16 et jeudi 18 janvier 2024Théâtre des Champs-Élysées
Lundi 18 et mardi 19 mars 2024Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg
Vendredi 26 et dimanche 28 avril 2024Opéra de Lille
Vendredi 6, dimanche 8 et mardi 10 décembre 2024
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