Au Théâtre de la Renaissance, le dramaturge et metteur en scène Alexis Michalik livre une nouvelle odyssée politico-sociétale qui, malgré le talent et l’engagement des sept comédiennes et comédiens présents au plateau, tend, à force d’angélisme, à gommer l’extrême dureté du quotidien des exilés.
Sur le sol de la mal-nommée « Jungle de Calais », un jeune homme agonise. Victime d’une violente agression, il ne tarde pas à être pris en charge par Peggy, membre de l’association « Help Calais », puis par des pompiers qui arrivent, bon an, mal an, avant de le transporter aux urgences. Les médecins découvrent alors qu’il a le nez et la mâchoire fracturés, ce qui change la physionomie de son visage, et qu’un hématome sous-dural le prive de sa mémoire. À son réveil, cet exilé, devenu totalement amnésique, ne se souvient plus de son parcours de vie, des nombreuses étapes qui l’ont conduit jusqu’ici, mais parvient, grâce à son passeport, à retrouver une partie de son identité : il s’appelle Issa et vient d’Érythrée. Une fois remis sur pied, le jeune homme décide, sous l’impulsion des bénévoles présents sur place, de quitter la « Jungle » en compagnie de deux camarades d’infortune, Arun et Ali, originaires d’Inde et de Syrie. D’abord transféré dans un Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO) de la Vienne, au coeur de la commune un peu trop tranquille de Mignaloux-Beauvoir, le trio choisit, finalement, de mettre le cap sur Paris. Dans l’attente de leur régularisation, soumise aux procédures aussi draconiennes que kafkaïennes de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), les trois hommes essaient, grâce à quelques combines, de survivre et de s’intégrer, et trouvent bientôt un toit, puis un emploi dans un restaurant du coin.
En parallèle de ce premier fil narratif, Alexis Michalik en tisse un second, comme pour ausculter l’autre face d’une même réalité. Dans l’histoire d’Issa, le dramaturge imbrique celle de Lucas, un tout jeune gendarme chargé de faire respecter l’ordre aux abords de la « Jungle ». Originaire de Mayotte, adopté par deux parents calaisiens, l’homme empêche désormais les exilés de passer en Angleterre et participe à des opérations en forme de coups de filet qui débusquent les femmes et les hommes montés à bord des camions en transit. Visiblement à l’aise avec ses nouvelles missions, Lucas se met à douter à la faveur de sa rencontre avec Jeanne, une journaliste engagée qui, à travers ses articles, documente la dureté de la vie des exilés. Fille de parents maliens, mais originaire de Toulouse, la jeune femme ne laisse pas Lucas insensible et une idylle commence à naître entre les deux tourtereaux. Jusqu’au jour où, à l’occasion d’un repas avec les parents du jeune homme, leur passion vole en éclats, percutée par une dispute entre Jeanne et Michel, le père de Lucas, qui, avec tout son aplomb d’ancien militaire, fait montre de sa relative hostilité envers les exilés présents dans la « Jungle de Calais ».
Dans la foulée d’Une histoire d’amour, créé en 2020, Alexis Michalik s’essaie pour la seconde fois à la fable politico-sociétale. Après avoir entremêlé le deuil et la GPA, l’auteur et metteur en scène aborde le thème, furieusement d’actualité, de l’immigration à travers une fresque en forme d’odyssée où toutes les facettes de ce sujet brûlant, des rapports avec les forces de l’ordre aux exigences de l’Ofpra, de l’insertion des exilés sur le marché du travail à leurs conditions de vie précaires, en passant par les réticences des « autochtones », semblent être abordées. Problème, avec le penchant mélodramatique qui caractérise son travail et qui, dans Une histoire d’amour, produisait déjà un tsunami de bons sentiments, Alexis Michalik pêche par excès d’angélisme et tricote un Passeport pour le monde des Bisounours. Sans révéler le retournement dramaturgique final, qui ne fait qu’aggraver le côté fleur bleue de la pièce, son voyage ne cesse d’enfoncer des portes déjà grandes ouvertes et d’enjoliver le quotidien, pourtant extrêmement difficile, des exilés présents sur le sol français. Des conditions d’accueil déplorables aux violences policières à répétition, des difficultés d’intégration au rejet systémique, de l’exploitation illégale aux conditions inhumaines de leur exode, l’auteur ne dit rien, ou si peu, et transforme le chemin de croix du réel en success story dopée à la bienveillance et au sentiment amoureux quasi-généralisés.
D’aucuns pourront arguer qu’il s’agit là d’un feel good spectacle, dont l’objectif premier est de montrer, voire de démontrer, que l’immigration peut être une chance pour le pays d’accueil, à condition que les « autochtones » soient capables d’apprécier la richesse de ceux qui arrivent sur leur territoire. Las, cette façon de voir le verre à moitié plein, même si elle peut se réfugier derrière le voile de la fiction, tend surtout à édulcorer la réalité et à en donner une image biaisée, où les patrons de restaurants qui embauchent des sans-papiers seraient des bons samaritains, où les marchands de sommeil propriétaires de logements insalubres ne seraient que vaguement véreux, où le banquier se montrerait capable, après un bon repas, d’accorder sans sourciller un prêt à des exilés, où les forces de l’ordre, si elles peuvent parfois individuellement déraper, ne constitueraient pas le bras armé d’une violence d’État qui peut, notamment, intimer l’ordre de lacérer des tentes Quechua et transformer la mer Méditerranée en cimetière. Si le spectacle profite du savoir-faire indiscutable d’Alexis Michalik en matière de mise en scène, de son aversion obsessionnelle pour les temps morts et du talent de ses sept comédiennes et comédiens, dont la diversité, qui fait plaisir à voir, n’a d’égal que leur envie de croquer le plateau à pleines dents, cette naïveté du propos, qui se retrouve dans l’ensemble des personnages dont les personnalités sont nourries aux poncifs, se révèle problématique dans sa manière de travestir le réel et de paver de bonnes intentions l’enfer vécu, au quotidien, par l’immense majorité des exilés, ici érigés en uniques maîtres de leur destinée.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Passeport
Texte et mise en scène Alexis Michalik
Avec Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini
Assistante mise en scène Clotilde Daniault
Musiques Sly Johnson
Décor Juliette Azzopardi, assistée de Arnaud de Segonzac
Accessoires Pauline Gallot
Costumes Marion Rebmann
Vidéo Nathalie Cabrol, assistée de Jérémy Secco
Lumières François Leneveu
Son Julius TessarechDurée : 1h45
Théâtre de la Renaissance, Paris
du 26 janvier au 30 juin 2024
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