Pour sa dernière mise en scène comme directrice du Théâtre national Bordeaux en Aquitaine, Catherine Marnas signe une adaptation réussie du chef-d’œuvre de Stendhal.
Le Rouge et le noir fait figure de classique parmi les classiques, le roman de Stendhal est rarement monté au théâtre. Une intrigue trop foisonnante, peut-être. Une image trop scolaire, aussi, sûrement ; celle d’un texte canonique étudié au lycée (parfois), décortiqué en classes préparatoires (souvent), loué par les tenants de la haute littérature (toujours). En préambule de son ultime pièce en tant que directrice du Théâtre national Bordeaux en Aquitaine, Catherine Marnas contextualise sa publication en 1830 : Stendhal choquait alors critiques et lecteurs avec la représentation des tristes amours vécus par Julien Sorel, son emblématique protagoniste corrompu par l’orgueil et l’ambition. Façon de signifier qu’en 2023, Stendhal peut encore provoquer ; à condition de l’entendre correctement.
Et de le montrer dans le plus grand dénuement. C’est le mérite de cette scénographie, à la fois très kitch (et assez laide) mais efficace (et particulièrement ingénieuse). Un plateau vide d’accessoires, hormis une porte. Une plateforme surplombant les premiers gradins, comme un catwalk (de défilé de mode) ou la scène d’un concert de rock (en stade). De longues toiles verticales à cour et à jardin, sur lesquelles sont projetées de malheureuses photos d’étoffes aux couleurs criardes, de bien tristes dessins de l’Arc de Triomphe peinturlurés en bleu-blanc-rouge, et les séquences post-coïtales de Julien Sorel avec Madame de Rênal et Mathilde de la Mole que l’on dirait tirée d’un porno soft des années 80. Mais, trêve de méchanceté (un peu excessive) ; cette scénographie a le mérite de focaliser l’attention sur la troupe virevoltante et cette intrigue remarquablement adaptée.
Catherine Marnas et son dramaturge (qui se fait curieusement nommer Procuste Oblomov) insistent : Julien Sorel est, ce que l’on appelle aujourd’hui un « transfuge de classe » (citation d’Édouard Louis à l’appui, projetée en fond de scène). La pièce s’ouvre sur la fin du roman, avec le procès de Besançon, où l’antihéros, fils de charpentier, est jugé par une cohorte de bourgeois pour la tentative de meurtre à l’encontre de Madame de Rênal. Façon de mettre en perspective la dimension sociale de sa vaine ascension. Il commencera en tant que précepteur chez les de Rênal, dans la ville franc-comtoise de Verrières, tombera amoureux de la mère de famille, se réfugiera au séminaire, se retrouvera au service d’un aristocrate parisien, le marquis de la Mole, et s’entichera de sa fille… Avant de plonger, à deux doigts du mariage et de l’anoblissement, quand sa première maîtresse révèlera sa nature ambitieuse et hypocrite.
Catherine Marnas et son dramaturge en tirent une intrigue, certes illustrative (telle est souvent la limite des adaptations romanesques), mais rythmée à merveille, multipliant les rôles (pour certains comédiens), enchâssant narration et dialogues, scènes d’actions quasi-cartoonesques (et plutôt drôles) avec d’émouvants instants dramatiques. Le talent des acteurs y est beaucoup dans cette alchimie. Mention spéciale à Jules Sagot (inoubliable Sylvain Ellenstein dans Le Bureau des légendes), naïvement arriviste ; Laureline Le Bris-Cep, joyeusement effrontée ; et Simon Delgrange, hilarant et toujours à-propos. Tous enchantent à vrai dire, et font filer ces deux heures quinze à toute vitesse. Ainsi se termine le mandat de Catherine Marnas : sur une jolie réussite.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Le Rouge et le Noir
Texte Stendhal
Adaptation et mise en scène Catherine Marnas
Dramaturgie Procuste Oblomov
Avec Simon Delgrange, Laureline Le Bris-Cep, Tonin Palazzotto, Jules Sagot, Bénédicte Simon
Assistanat à la mise en scène Odille Lauria
Scénographie Carlos Calvo
Création sonore Madame Miniature
Lumière MichelTheuil
Vidéo Ludovic Rivalan
Costumes Catherine Marnas assistée de Kam Derbali
Régie générale Emmanuel Bassibé
Régie son Samuel Gutman
Régie lumière Benoit Ceresa, Damien Pouillart
Régie vidéo Cyril BabinProduction Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Durée 1h45
Création du 7 au 17 novembre 2023
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine29 novembre au 1er décembre 2023
Comédie de Béthune10 au 12 janvier 2024
Le Quai CDN Angers Pays de la Loire10 au 12 avril 2024
Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia
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